ManifestantEs ? Terroristes !

Publié le par la Rédaction

Retours de la manif à Paris

Ne cherchez pas de compte rendu dans les médias. Malgré la présence de nombreux photographes et caméramen, omerta totale ou presque. Seul Politis relate l’interpellation de trois personnes particulièrement visées. Il a donc fallu aller chercher quelques informations à la source, c’est-à-dire auprès des participants. Motivations communes, émotions et ressentis différents, et, pour certains, prise de conscience d’une certaine réalité policière.

Voyage organisé… et accompagné !

Les cars ne risquaient pas de se perdre : tout le long de la route, une escorte policière les a suivis et/ou précédés mais jamais lâchés. On peut trouver rassurant une telle sollicitude, d’autant que, pour que chacun soit sûr de retrouver son véhicule au retour, les immatriculations ont été soigneusement relevées, sur le site de départ à Tarnac tout au moins. Le comité d’accueil fut courtois, presque bienveillant : «Emportez vos pique-niques» recommandait-il.


Un cortège vu comme hétéroclite

Des militants de la Fédération anarchiste, des jeunes et des moins jeunes, des familles avec enfants, des gens masqués, il y avait là un mélange étonnant. C’était, d’après certains, une «manifestation d’individus», mais d’individus «concernés, informés» mêlés à des «habitués de la manif». Ceux que nous avons rencontré y sont allés pour protester contre la «surveillance constante», la «suspiscion systématique des citoyens», la banalisation de la violence policière et l’insécurité qu
elle engendre, parce quils sentent leur «quotidien bafoué», parce quils nont plus limpression de faire partie dune société mais dun système au fonctionnement «mafieux». Parce que «tout ce qui sort des clous est réprimé».

Quelques-uns ont regretté un «manque d
organisation», auraient voulu plus de «lisibilité» quant à la raison de leur présence, des slogans «fédérateurs», pouvoir se différencier des groupes «traditionnels» de ce genre de manifestation. Pour dautres la question ne se pose pas, ils ont trouvé leur place dans le cortège sans problème, le thème en était suffisamment clair.

Forces de l
ordre ou de loppression ?

Pour la plupart de ces personnes, c
était un baptême, leur première «grosse manif» à Paris, et le dispositif policier conséquent (un CRS pour deux manifestants) les a abasourdis. Simples citoyens soucieux dexprimer leur colère, ils ne se sentaient pas si dangeureux que ça et n’ont pas compris la nécessité dun tel déploiement des forces de lordre. Jusquà présent, les exactions policières ne les concernaient que très vaguement. Tellement peu en fait quil sen est trouvé pour aller manifester avec leur couteau dans la poche ! Ainsi cet Aveyronnais qui, la manifestation terminée, sort son Laguiole pour entamer son saucisson et se retrouve à terre, menotté, bras et jambes repliés dans le dos, traîné jusquau car de police et emmené en garde à vue. Lagression, violente, sest déroulée sous les yeux des autres, impuissants, choqués. Ce genre dagissement était jusquà présent réservé à une certaine frange de la population. Mais voilà que tout à coup, de braves gens, parfaitement intégrés, se voient traités comme de vulgaires et dangeureux malfaiteurs, et font lexpérience de loppression brutale et aveugle, incompréhensible. Une réalité qui simpose crûment et laisse un goût amer.




Ré-pressions

Dans la seule fin du mois de janvier, cinq manifestations différentes ont donné lieu à une répression et/ou à des interpellations et inculpations féroces. Dans le même temps, les gendarmes développent sur le Plateau une surveillance ostentatoire. Tableau des interventions policières … et de leurs conséquences.

Ainsi qu’ils ont pu nous le raconter, nombre de manifestants ont été impressionnés par le dispositif policier qui encadrait la manif de soutien aux inculpés de l
antiterrorisme. Poussant par derrière, encadrant par devant, postés en nombre dans toutes les rues adjacentes, dispersés en civil dans les rangs, filmant les manifestants à chaque carrefour, prenant des photos au téléobjectif depuis une chambre d’hôtel … et ce canon à eau devant la maison d’arrêt de la Santé…

À travers cette présence quasi militaire de plus de 1300 agents des «forces de l
ordre», le message était clair : «Tenez-vous à carreau, on vous surveille, et on vous écrase quand on veut».

Il n
y a pourtant eu, au cours du défilé, ni charge ni utilisation des gaz lacrymogènes. On pourrait penser que les policiers se sont satisfaits de leur masse intimidante ; mais en réalité, il savère quils attendaient plutôt la dispersion pour intervenir.

Un habitant de Tarnac raconte : «Je suivais les copains à quelques mètres en arrière, alors qu
on voulait quitter la place Denfert. Ils ont commencé à traverser un des cordons de CRS qui ceinturait la place, et alors que jallais mengager aussi, un CRS me retient dune main sur le torse et dit à ses collègues “Allez, on interpelle”. Ils les ont alors embarqués tous les quatre.» Trois de ces personnes ont passé 48 heures en garde à vue, et 20 heures supplémentaires au dépôt, avant dêtre présentées à un juge dinstruction. Ils sont accusés davoir jeté des bouteilles vides, et pour lun, un feu dartifice, sur les policiers. «Cest impossible, poursuit lhabitant de Tarnac. Jétais avec eux toute la manif, ils nont rien fait. Ils se savaient surveillés depuis le début, et ont bien fait attention à ne pas commettre dactes quon pourrait leur reprocher.» En attendant, les trois amis subissent bel et bien un contrôle judiciaire avec interdiction de se voir, et pour l’un, interdiction d’aller en région parisienne.

Autre témoignage, dans le métro : «Les portiques étaient ouverts pour que tout le monde puisse passer rapidement, mais alors qu
un jeune Noir venait de passer à son tour, ils se sont jetés sur lui, laccusant de ne pas avoir son titre de transport, et lui demandant ses papiers. Les personnes autour ont alors essayé de le protéger et dempêcher linterpellation. La tension est encore montée dun cran. Deux policiers l’ont ceinturé violemment, le plaquant contre le mur en lui tordant les poignets. Comme il se débattait à cause de la douleur, les flics ont redoublé les coups, le faisant tomber. Les personnes autour ont essayé de sopposer physiquement ; jai alors vu un flic coller une méchante patate à une manifestante. Pour se dégager, ils ont copieusement usé de la matraque, peinant toutefois à se frayer un chemin. Appuyés par une dizaine d’autres policiers venus en renfort, ils ont fini par emporter leur proie, laissant derrière eux un copieux nuage de gaz.» La personne interpellée à ce moment-là est passée en comparution immédiate, mais ayant demandé un délai, son jugement a été reporté au 3 mars, devant la 23e chambre correctionnelle. Ses amis disent lavoir vu sortir de garde à vue «salement amoché»…

Rappelons également l’interpellation de cet Aveyronnais qui voulait casser la croûte au départ du bus. Arrêté pour port d
arme, il a été emmené au commissariat et maintenu en garde à vue, malgré lintervention de plusieurs élus qui avaient pris le bus avec lui. Relâché le lendemain, il comparaîtra le 23 mars à 9 heures devant la 29e chambre.

À l
heure où nous écrivons, nous navons pas trouvé de témoignages des autres interpellations qui ont suivi cette manif. Il semble cependant que tous ceux qui avaient été interpellés ont été relâchés.

Les interventions policières musclées ont en fait été courantes lors de plusieurs manifs de la fin janvier.

Ainsi, le 24 janvier à Paris, les 200 participants à la manifestation parisienne «en soutien avec tous les prisonniers et révoltés incarcérés», dont l
affiche appelait à «propager les feux de la révolte», étaient à peine rassemblés à Barbès lorsque les forces de lordre ont décidé de les encercler, au motif que le rassemblement n’était pas autorisé par la préfecture. À coups de charges et de lacrymos, ils ont repoussé les manifestants vers le métro, puis refermé leur nasse et gazé les personnes enfermées. Plus de 120 personnes ont été interpellées et conduites dans différents commissariats, la plupart pour un contrôle didentité.

Après une nuit en garde à vue, huit personnes sont passées en comparution immédiate. Quatorze autres sont convoquées au tribunal à une date ultérieure. Les manifestants sont notamment accusés de «refus de dispersion malgré les sommations» et de jets de projectiles sur les policiers. Un autre manifestant, accusé de «dégradation en réunion sur un véhicule de police» a été placé sous contrôle judiciaire ; il souffre par ailleurs d
une oreille blessée et dun tympan percé suite aux coups reçus lors de son arrestation. Que ce soit lors des contrôles d’identité ou les garde à vue, beaucoup ont été interrogés sur leurs liens supposés avec la «mouvance anarcho-autonome»…

De la même manière, à l’issue des manifestations du 29 janvier à Paris et à Saint-Nazaire, ainsi qu’à Vincennes le 31 janvier, la répression a parfois été violente. Manifestants blessés (dont un par une grenade assourdissante qui lui a éclaté le pied), arrestations multiples…

Près de 140 personnes en garde à vue le 29 à Paris, plusieurs dizaines le même jour à Saint-Nazaire, une quinzaine après la manifestation de Vincennes… au total, une cinquantaine de personnes sont ressorties avec des condamnations ou des convocations à une date ultérieure, voire un contrôle judiciaire.


Il semble donc bien que la pression augmente. Difficile de savoir qui reviendra ou pas d
une manif, et avec quel chef dinculpation. Le moindre heurt avec les forces de l’ordre, le moindre écart au sage défilé syndical, est employé pour justifier des arrestations. Peu importe que les personnes arrêtées aient fait ou non ce qu’on leur reproche, il faut du chiffre. À toute agitation un peu trop forte doit correspondre un certain nombre d’interpellations, et les inculpations sont d’autant plus aisées que les policiers disposent de toute une série de chefs d’inculpation prêts à l’emploi : une vague opposition à un contrôle d’identité se transforme en «outrage», un passage à tabac se justifie par une supposée «rébellion», le port d’une ceinture à clous ou d’un Laguiole est un «port d’arme», le refus de fuir devant les menaces des policiers en rang devient un «attroupement illégal». Autant de prétextes pratiques pour emmener les gens au poste, leur faire subir garde à vue, interrogatoires, pressions diverses, fichage, et parfois des coups. Autant de moyens de pression qui laissent des traces, des souvenirs douloureux censés faire passer l’envie de se révolter.

Et à chaque fois, au procès, c’est la parole du prévenu contre celle du flic. Assermenté. Investi d’un pouvoir sacré qui fait que sa parole compte pour dix, qu’il peut désigner une personne au hasard comme responsable d’un jet de pommes de terre, et obtenir sa condamnation à des peines allant de l’amende à la prison ferme, en passant par le sursis et les TIG. Et pour ceux qui refusent la comparution immédiate, c’est la menace d’un contrôle judiciaire ou d’une détention provisoire qui plane.

Parallèlement à cela, les échos se multiplient autour du Plateau de différentes visites intrusives des gendarmes locaux : ici c’est une personne qui a vu un hélicoptère faire le tour de sa propriété, s’arrêtant à tous les coins et se penchant de côté pour prendre des photos. Son tort ? Vivre dans une caravane, dans les bois. Là, c’est une famille qui reçoit la visite de gendarmes souhaitant savoir qui habite chez eux et ce qu’ils font. Motif : l’association dont le siège est à leur domicile porte un nom suspect. Là encore, ce sont des jeunes installés en colocation qui racontent comment les voitures de gendarmerie sont venues ostensiblement faire demi-tour devant chez eux. Et n’oublions pas cette intervention paniquée à la mi-novembre, assistée par hélicoptère : les gendarmes avaient repéré près de Tarnac une voiture garée dans un chemin qui transportait une malheureuse bouteille de gaz…

Lors de la manif de soutien du 13 décembre à Limoges, un slogan avait pourtant eu un certain succès : «État d’la terreur, on n’a pas peur !»

C’est dire que pour nous aussi, le message doit être clair : On ne se laissera pas intimider. On continuera à se battre pour faire sortir nos camarades et saboter l’antiterrorisme, on continuera à «s’attrouper» et à s’organiser, par tous les moyens qu’on jugera utiles, pour soutenir les inculpés et les embastillés.

Comme disait le poète :
«Prenez-nous pour des cons
Prenez-nous pour des chiens
Continuez, ne vous gênez pas
Vos crachats ça nous fait
Des coquilles de cristal.»

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