Petite histoire d'une année de luttes
Les vacances sont arrivées après une année de luttes, de résistances, de trahisons syndicales…
Bref une année banale. L’institution scolaire cherche à dresser des bilans, des évaluations finales, et tout cela avec une notion de rentabilité à peine voilée. En tant que syndicalistes, il est certainement de notre rôle de faire le point sur cette année écoulée, mais avec une notion de lutte des classes tout à fait assumée.
Acte I : les Universités
Dans la continuité des réformes (harmonisation européenne avec le système européens de transfère des crédits d’enseignements ou ECTS, réforme des LMD supprimant le Deug), le gouvernement s’est fendu durant l’été 2007 d’un projet de loi visant à boucler le processus : la réforme LRU, ou loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités. Afin de privatiser, sans le dire, la recherche l’État se désengage en partie du financement des Universités. Elles devront donc rechercher leurs financements vers d’autres partenaires, en utilisant par exemple le mécénat d’entreprise. Ça tombe bien car cette loi comporte aussi un volet pour les institutions universitaires qui doit permettre de donner un rôle supplémentaire aux financeurs. Déjà relais du pouvoir des pontes et des valeurs paternalistes, les Conseils d’administration sont transformés par cette loi LRU : vote à la majorité absolue (et non plus aux deux-tiers), fin du quorum d’une moitié d’élus nécessaires, voix prépondérante du président pour le partage des voix, concentration des pouvoirs du CA (il décide des créations et suppressions de filières, gère la répartition des crédits, entre autres…) et sa composition est restreinte avec une proportion réduite d’étudiants et de salariés, pour faire la part belle aux «partenaires extérieurs» nommés par le président : représentants des collectivités locales et surtout du patronat. Et voilà la boucle est bouclée. L’État se désengage, les entreprises financent et ont un pouvoir de décision dans une institution de service public, alors que eux défendent forcément des intérêts privés.
Évidemment, les étudiants-es conscients des attaques précédentes et des dangers de cette loi, pour eux et les personnels, se sont vite mobilisé-es et organié-es. Assemblées générales, diff. de tracts, discussions à bâtons rompus… et vote de la grève et du blocage dans certains endroits. En tout plus d’une soixantaine de facs s’est battue tout au long du premier semestre. Un travail d’analyse, d’argumentation et de communication a été fait tout en structurant le mouvement en assemblées générales souveraines, en coordination nationale. Les manifestations ont réuni au moins autant de personnes que lors de la lutte contre le CPE. Quelle a été la réponse du gouvernement après l’accession de l’ancien ministre de l’Intérieur au pouvoir : la répression forcément. Charges des forces de l’ordre contre les manifestants, interpellations arbitraires, piquets de grève attaqués par les CRS comme à Nanterre, intrusions de la police dans les facs comme à Rennes II, violences de responsables universitaires contres des étudiants comme à Grenoble… Finalement, le pouvoir est passé en force, en espérant mettre à genoux toute résistance dans les milieux universitaires. Raté ! Ce n’est que partie remise. La mobilisation continue au sujet du découpage du CNRS et se poursuivra encore !
Acte II : les lycées professionnels
Depuis maintenant plusieurs années la formation professionnelle publique subit une succession d’attaques. En 2001, c’est le PS qui a cédé aux demandes du MEDEF en créant le lycée des métiers. Finie l’indépendance pour les lycées qui sont labellisés. Les formations doivent alors être ouvertes en fonction du bassin local d’embauche (donc en fonction des besoins de main d’œuvre bon marché des entreprises). Début octobre 2008, le ministère faisait ses annonces tonitruantes au sujet des LP. Fini le BEP qui se poursuit par un bac en deux ans ; maintenant le ministère veut que les élèves n’aient le choix qu’entre un CAP, et un bac pro en trois ans. La disparition des BEP s’accompagne d’une diminution des champs de formations professionnelles dont l’éventail permettait de répondre au plus près aux envies des élèves. Cela va aggraver l’orientation des élèves alors que celle-ci est déjà globalement négative pour ceux qui vont en lycée professionnel. En effet la majorité d’entre eux ne sont pas affectés dans les filières qu’ils avaient demandées et qui correspondent à leur projet professionnel. Avec la généralisation des bacs pro en trois ans, les élèves sont condamnés à suivre des formations qu’ils ne souhaitent pas jusqu’au bac en admettant qu’ils arrivent à tenir aussi longtemps. En effet sur 100 élèves entrant actuellement en BEP, seuls 30 décrochent leur bac. Mais on pourra toujours se plaindre du nombre trop important d’élèves sortant du système sans diplôme ! En effet on peut craindre que beaucoup d’élèves vont décrocher en cours de scolarité. Aucun problème : ils auront déjà développé des compétences professionnelles et pourront donc être embauchés à moindre coût car ils n’auront pas de diplôme à faire valoir. Encore une fois le patronat sort renforcé et les classes populaires fragilisées, car ne nous y trompons pas malgré les discours en faveur de la filière professionnelle, la majorité des élèves de LP sont issus des classes populaires : peu d’enfants d’enseignants et de médecins !
Les personnels de LP ont eu connaissance tardivement de cette réforme mais ont réagi immédiatement. Plusieurs établissements, en particulier dans l’académie de Bordeaux se sont mobilisés : manifestations, délégations au rectorat, lettre en direction des parents, reconduction de la grève… La réponse de l’État ne s’est pas fait attendre. En effet certains lycéens se sont joints au mouvement et ont essayé de faire la jonction avec leurs camarades étudiants. La police a donc chargé, à Rennes par exemple, les cortèges de lycéens. Malheureusement cette attitude violente n’a pas produit d’électrochoc dans les milieux enseignants. Les grèves reconductibles, passées les vacances de Noël, n’ont pas reçu le soutien espéré. Il faut dire qu’une partie des syndicats (Snetaa et Unsa entre autres) ont décidé de participer à une «discussion» avec le ministère au sujet de cette réforme qui était déjà lancée dans les rectorats. En outre les autres syndicats se sont montrés particulièrement frileux sur le registre du «Attendons, ce n’est pas le moment». Malgré tout des AG départementales ont été impulsées, des rassemblements et des journées de grèves (ponctuelles malheureusement) ont été organisés, la revendication du refus de la généralisation des bacs pro en trois ans a été intégrée dans les plate-formes syndicales mais sans réelle visibilité de cette lutte. Il est vrai que l’annonce des suppressions de postes est venue télescoper cette actualité. De nombreux bacs pro 3 ans vont donc voir le jour à la rentrée de septembre dans l’improvisation la plus totale : les conseillers d’orientation et donc les élèves ont été informés tardivement des créations, les programmes ne sont pas clairement définis. La lutte doit donc reprendre à la rentrée afin de mettre des bâtons dans les roues du 38 tonnes MEDF-UMP. Affaire à suivre donc.
Acte III : les suppressions de postes
Depuis maintenant plusieurs années, restrictions budgétaires oblige et haine du fonctionnaire, le service d’éducation public est touché par des suppressions de postes (personnels non remplacés) et son corrélat qui est le développement du recrutement de personnels sur des contrats précaires. La politique d’ajustement libérale réclamant toujours moins de fonctionnaires, le gouvernement s’est attelé à la tache. L’Éducation nationale étant le ministère employant le plus de personnes, c’est bien sûr l’un de ses terrains de suppression de postes. Les collèges et les lycées ont été particulièrement frappés cette année en attendant les autres travailleurs-ses de l’éducation : c’est 11.200 postes qui vont disparaître à la rentrée de septembre ! En attaquant l’école par cet angle, le ministère veut développer un argumentaire sur la pseudo-rationalité et cataloguer les enseignants de corporatistes cherchant à défendre leur bout de gras sans autre préoccupation. Déjà il n’y a pas de mal à ce que des salariés défendent leurs intérêts. De plus les conséquences d’une telle mesure sont plus profondes qu’il n’y parait. Les conditions de travail vont être évidemment dégradées. De fait moins d’enseignants seront présents dans les salles des profs et devant les élèves en septembre. Dans la plupart des cas, le ministère a remplacé les heures postes (celles correspondant à des enseignants titulaires) par des heures supplémentaires. Certains établissements ont vu leur enveloppe d’heures supplémentaires multipliées par deux. C’est la traduction Éducation nationale du «Travailler plus pour gagner plus». Ainsi les collègues qui acceptent pour augmenter leurs revenus collaborent à la diminution d’effectif enseignant. Ceci va à l’opposé de ce que nous préconisons (travailler tous, moins et autrement) et aggravera mécaniquement le chômage.
Mais les enseignants ne pourront pas préparer leurs cours avec le même soin quand ils devront en assurer trois au quatre de plus par semaine. En outre chaque heure de cours amène son lot d’écoute, d’attention, et malheureusement parfois de conflits et de tensions. La disponibilité des enseignants envers leurs élèves sera décroissante en fonction du nombre toujours plus important d’élèves qu’ils auront. Aberration ou casse de l’école lorsque l’on sait que c’est toute cette écoute et cette disponibilité qui sont le creuset d’une école de qualité. En outre il ne faudra pas être surpris face à l’augmentation des arrêts de travail de professeurs dont la charge de travail va augmenter et dont les conditions dégradées d’exercice vont rendre le quotidien de plus en plus difficile. Ces suppressions de postes vont aussi avoir pour conséquence immédiate la fermeture de classes entraînant l’augmentation du nombre d’élèves dans les classes restantes ou la disparition de certaines options (théâtre, arts plastiques, langues peu apprises comme le russe…).
Les élèves ont réagit rapidement à l’annonce de ces mesures pendant que la mobilisation se construisait progressivement chez les collègues. Il est certain que les mobilisations massives de lycéens-nes lors de manifestations très conscientes des enjeux a été un appui précieux pour faire bouger les enseignants-es. Des Ag de ville, des Ag départementales se sont organisées pour pallier à un appel clair des organisations syndicales majoritaires à se lancer dans la grève pour gagner (c’est-à-dire plus de 24 heures !). Cette lutte a permis de réunir dans les mêmes réunions, dans les mêmes cortèges et dans les mêmes actions lycéens-enseignants-parents d’élèves. C’est l’ensemble de la société préoccupée par les questions d’éducation qui s’est rencontrée et qui s’est mobilisée. Faute d’une large volonté syndicale d’entamer une bataille dure et aussi à cause du pessimisme d’un certains nombre de collègues s’avouant vaincus avant de se battre, le mouvement n’a pas pu obtenir gain de cause. Cependant les contacts sont pris, à la base et dans l’unité du terrain, pour permettre la poursuite de l’action.
Acte IV : le premier degré
Dans le premier degré, si le nombre de postes supprimés est inférieur au second degré, de nombreuses attaques sont à l’ordre du jour. La mise en place de nouveaux programmes particulièrement réactionnaires tant sur le plan pédagogique que sur le plan idéologique reste symbolique de celles-ci. Le gouvernement tente de rassurer une population perdue dans les affres de la modernité (chômage de masse, précarité imposée, lendemains incertains), en lui donnant comme point de repère une école inchangée. C’est ainsi que ces dernières années nous avons pu voir revenir au goût du jour la dictée, la récitation, la rédaction, les punitions collectives et les leçons de morale. Derrière cette tendance passéiste de l’enseignement, c’est une vision mécaniste des apprentissages qui est sous tendue. Le côté humain de l’école est nié ainsi que la qualification des enseignants-es. Puisque apprendre c’est simple et ne demande que des exercices systématiques (voir entre autre les discours sur la méthode syllabique pour l’apprentissage de la lecture), il n’y a plus besoin d’enseignant-es formés-es mais seulement de technicien-ne-s qui n’ont pas besoin d’être nombreux-ses (là nous revenons aux suppressions de postes). Dans le même temps, on nous propose une éducation qui se recentre sur le répressif et sur le normatif, avec par exemple la transformation de l’éducation civique en instruction civique et morale. La différence est notable puisque les conseils d’élèves ou de vie de classe seront remplacés par l’étude des maximes («Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres», «Nul n’est censé ignorer la loi»…).
Parallèlement on assiste à la mise en place des heures supplémentaires pour les enseignants-es du premier degré sous la forme des stages de remise à niveau, comme s’il suffisait de travailler plus pour réussir «plus». Ceux-ci ne permettront pas de réduire les inégalités scolaires, mais renverront les familles face à leurs difficultés et permettront de donner une réponse aux exigences d’augmentation des salaires.
Enfin, de manière à renforcer la fonction de tri social de l’école et permettre d’écarter les mauvaises graines, le ministère refond son système d’évaluation nationale. Celui-ci devrait permettre de classer les écoles, de récompenser les «bons enseignants». Pour repérer les enfants au comportement déviant et éviter qu’ils ou elles contaminent les autres, le fichier Base-élève a été généralisé. Les directeurs et les directrices qui continuent de s’y opposer subissent la répression hiérarchique. D’ailleurs cela faisait trop longtemps que les écoles étaient gérées par les équipes enseignantes (le directeur ou la directrice est un collègue qui enseigne souvent), l’établissement public d’enseignement primaire (EPEP) a été inventé pour y remédier. À la tête de celui-ci on trouvera un gestionnaire avec un statut de supérieur hiérarchique. Il sera certainement une personne ressource pour l’institution dans l’art délicat de vaincre les résistances qui perdurent encore.
Ces multiples mesures n’ont pas manqué de soulever l’indignation mais n’ont entraîné que la mise en place de journées-ballon (grève de 24 heures sans suite) de la part des syndicats majoritaires. Par contre en région parisienne et à Nantes des collègues ont su s’auto-organiser pour créer un mouvement de grève reconductible qui a pesé par sa combativité et son inventivité. De nouvelles formes de lutte ont su être imaginées dans la grève et parfois en dehors avec par exemple l’occupation par les enseignants et les parents d’élèves de 680 écoles durant la «Nuit des écoles» le 13 juin. Et le 28 juin c’est plus de 1000 écoles qui ouvrent leurs portes pour des débats avec les parents. Le travail d’information auprès des parents d’élèves, en particulier, a permis de contrebalancer la propagande des médias et de la hiérarchie, mais il a surtout donné aux parents d’élèves l’envie de lutter aux côtés des instits. Le mur que l’institution dresse entre les parents et les «professionnels» de l’éducation a été sérieusement fissuré. De même, dans plusieurs endroits les collectifs contre le fichier Base-élève ont aussi vu le jour et sont intervenus de différentes manières, ce qui a permis d’informer plus largement autour du fichage des enfants. Le premier degré a pris le temps de la mobilisation cette année ce qui parfois a pu créer des décalages avec les collègues du second degré mais le mouvement actuel en est que plus fort et cherche à faire le grand bond par-dessus les vacances d’été car il est certain que les collègues et les parents mobilisés ne comptent pas en rester là.
Acte V : perspectives de rentrée
La rentrée s’annonce difficile : soumission de la communauté universitaire, CNRS envoyé à l’équarrissage, généralisation de bacs pro 3 ans inadaptés aux besoins pédagogiques des élèves, perte de collègues, augmentation de la charge de travail, mise en place des programmes des années 20 dans le premier degré, stigmatisation des élèves en difficultés, fichage, répression pédagogique… et bien sûr dans l’éducation et ailleurs précarité croissante, remise en cause de la sécurité de l’emploi des fonctionnaires, salaires réels en baisse… Il semble que le gouvernement n’ait pas saisi l’ampleur des mobilisations en cours et souhaite tout détruire tel un bulldozer. La preuve : il a déjà annoncé sa volonté de supprimer 85.000 postes d’ici cinq ans.
Il s’agit donc maintenant de poursuivre la mise en place des résistances concrètes à toutes ces contre-réformes. Les pistes sont nombreuses et certaines déjà ébauchées : collectifs contre le fichage, information des familles, boycott des évaluations et bien sûr la grève pour bloquer un pouvoir économique arrogant et violent, dont le gouvernement se fait le relais, et dans le but de poser les bases d’une réflexion pour la construction d'une autre école réellement égalitaire et émancipatrice.
CNT-FTE (Fédération des travailleurs-euses de l’éducation)
Article à paraître dans le Combat syndicaliste.