"Zéro de Conduite" spécial grève de mai-juin 2008
Réformes Darcos
Appel de l’assemblée des écoles de Paris, 19 mai 2008
La publication annoncée [Le ministère renoncerait (provisoirement ?) à cette mesure] des résultats des évaluations école par école mettrait en concurrence les écoles. Ce mode de gestion conduirait à l’instauration du salaire au mérite à travers l’évaluation des enseignants en «intégrant les progrès des élèves».
Annulation des 80.000 suppressions de postes programmées et création des postes nécessaires aux besoins du service public et des élèves. Ces moyens permettront un abaissement des effectifs d’élèves dans les classes, une augmentation du nombre de remplaçants, le maintien et le développement des RASED.
Abandon des stages dits de «remise à niveau» pendant les vacances scolaires. Ces stages renvoient hors temps scolaire le traitement de la difficulté scolaire, alors que c’est sur le temps de classe qu’il faut mettre les moyens et aider les élèves en difficulté.
L’AG parisienne se prononce pour le maintien du droit de grève et contre un service minimum sous quelque forme que ce soit.
L’AG parisienne a décidé le 10 juin de revendiquer le paiement des jours de grève et de mettre en place une solidarité financière avec ceux qui seront pénalisés.
L’AG demande aux organisations syndicales départementales qu’elles se prononcent sur cet appel en s’y joignant et qu’elles appellent à la grève reconductible.
Face à la mobilisation massive des enseignants et des parents, le ministère ne répond que par le mépris et l’intransigeance. Devant une telle attitude, les enseignants déclarent publiquement qu’ils n’appliqueront pas les mesures Darcos. Ils n’appliqueront pas les nouveaux programmes. Ils n’effectueront pas les évaluations nationales visant à mettre en concurrence les écoles. Ils ne mettront pas en place les 60 heures de «soutien» ni les «stages de remises à niveau». Ils bloqueront l’installation de Base-élèves.
Les enseignants des écoles parisiennes appellent tous les enseignants de France à tenir la même ligne de conduite et à la poursuite et l’amplification de la mobilisation. Pour un service public d’éducation !
Tentative pour mieux comprendre la structuration du mouvement
Les AG d’arrondissement pour se rencontrer, échanger sur l’actualité des «réformes», mettre en forme nos revendications, se «compter», faire le point sur la mobilisation, ses forces, ses faiblesses, liée à nos réalités d’écoles. Une organisation collective prend forme : modalités de la grève (ponctuelle, reconductible, en relais, etc.), directions du mouvement et élaborations de stratégies collectives (motions). Ces AG sont «décisionnelles» : c’est un grand mot qui veut simplement dire que c’est là que les personnes qui sont en mouvement se retrouvent. Les décisions ne peuvent pas être remises en cause ailleurs ou par des personnes qui n’ont pas participé à l’AG, même si elles sont informelles, simple échange d’infos sur des initiatives d’écoles ou de l’arrondissement, a fortiori quand elles sont formalisées à travers un vote. C’est le lieu clairement identifié où on doit porter ses initiatives, réflexions individuelles et/ou d’école pour tenter de trouver une démarche collective (motions) en relation avec notre réalité de terrain…
L’AG parisienne est le lieu de coordination des actions et initiatives des arrondissements, d’unification des revendications, d’échanges sur l’analyse collective des AG d’arrondissements, du point sur la mobilisation. Des prises de paroles individuelles peuvent avoir lieu ; nous ne sommes pas formalistes ! Et prêts à s’enrichir de toutes les réflexions et analyses… L’écueil à éviter est connu : redites, accaparement de la parole, dérives par rapport à l’ordre du jour…
Ce qui nous amène à parler de la tribune : dans ce mouvement, elle est composée par des représentants d’AG d’arrondissement… Tout simplement parce qu’il est légitime que ce soit des acteurs du mouvement qui l’organisent ! La tribune propose à l’AG un ordre du jour, veille à son respect (horaires et tour de paroles), aide l’AG lors des débats, en propose des synthèses… La tribune aide l’AG dans son travail décisionnel, d’analyse de la situation, pour un déroulement constructif… Et l’AG aide la tribune dans ce travail délicat. Mais la tribune ne peut décider pour l’AG. Il faut parfois procéder à plusieurs votes pour trouver la formulation adéquate, la motion la plus rassembleuse…
Les motions, les revendications, les initiatives peuvent être adoptées au consensus. Souvent, on procède à un vote afin de mesurer la tendance générale (tout le monde ne parle pas). C’est essentiel pour que les décisions aient une chance d’être mises en œuvre. Les AG sont décisionnelles (voir «AG d’arrondissement»).
L’AG de grévistes, comité de grève habituellement constitué par arrondissement. Dans ce mouvement, une AG unique pour tout Paris. Il s’agit d’organiser la journée de grève : tournées d’écoles, actions, actions futures décidées en AG, relations presse, réalisation de tracts et matériel d’information, débats à organiser, etc.
En fait, il s’agit d’un comité de grève qui garantit que les décisions d’AG parisienne ou d’arrondissement sont mises en œuvre. Il est important de ne pas confondre ces AG grévistes avec les autres AG au risque de doublons, de ne pas mettre en œuvre les décisions d’AG, donc de démotiver toute tentative de s’organiser collectivement… On sait bien que ce que nous avons appris à l’école c’est de fonctionner individuellement et surtout pas collectivement !
Les syndicats impliqués dans les AG participent au comité de grève en mettant à disposition leurs moyens de reproduction et de diffusion, en soutenant les appels et les décisions d’AG via leurs outils d’information (journaux, listes internet, contacts presse, etc.) et en participant aux rendez-vous sollicités par les AG. Les intersyndicales sont à éviter… car il y a de fortes chances qu’elles changent les décisions d’AG (qui ne sont alors plus souveraines !). Mais bon, on peut parfois, faute de grives…
Les parents. La grande particularité de ce mouvement 2008, c’est la présence de parents solidaires avec les grévistes. Des parents acteurs de la mobilisation. Ils sont même invités à participer aux AG, au même titre que les enseignants. Un vote formel valide l’appellation «AG parents-enseignants en lutte». Ils restent discrets dans les débats, posant des questions utiles par leur point de vue extérieur, mais il sont de toutes les actions : maquettage et tirage de tracts, manifs, occupations d’écoles et d’inspection, envois de communiqués aux médias et à notre hiérarchie, participation à la délégation de l’AG parisienne chez l’IA sur la question de la répression des grévistes, délégation au ministère… À ce sujet, c’est amusant de voir certains parents apostropher les inspecteurs ou l’adjoint de mairie sans la retenue qui caractérise peut-être un peu trop souvent les enseignants !
À l’époque où le syndicalisme s’est engagé ouvertement dans l’impasse de la collaboration avec le gouvernement, l’ouverture de la lutte aux personnes concernées — les usagers — est sans doute une voie à développer.
Différentes formes de lutte
Cependant, il faut bien voir où nous en sommes. Le roulement des grévistes dans une école a permis d’impliquer plus de collègues. Beaucoup ont ainsi été aux AG de grévistes, ont fait des tours d’écoles, ont occupé une inspection, parfois pour la première fois. Quelle meilleure formation que la lutte auto-organisée ? Quelle meilleure perspective pour l’avenir (oui, il y a un autre futur !) qu’une bonne cohésion d’école, en mesure de lutter, de dire non à l’injustice ?
Le roulement a aussi permis de développer et maintenir un lien étroit avec les parents avec, comme conséquence, l’implication décisive de beaucoup d’entre eux.
Les grévistes à plein temps, à temps partiel, les parents et même les enfants lors des manifs de quartier ont su très souvent unir leurs efforts vers un même but. Et c’est ce que nous retiendrons de cette magnifique grève de mai-juin 2008.
Les Nantais nous avaient montré la voie pendant trois semaines. Mais le mouvement ne s’est pas étendu comme c’était nécessaire. À l’échelle nationale, il faudra réfléchir sur l’absence de mobilisation et l’incapacité des syndicats majoritaires à impulser et coordonner les luttes. Le syndicalisme institutionnel est dans l’impasse, il nous faut reconstruire l’union des travailleurs et des usagers avec des formes novatrices. C’est ce que nous avons commencé à faire.
Paiement des jours de grève
Le mouvement ouvrier n’a jamais justifié que les grévistes soient ponctionnés sur leur salaires. Les revendications d’AG intégraient le paiement des jours de grève, qui conditionnait la reprise ou non du travail. Le 26 mai, l’IA exerce des pressions alors qu’aucun état de grève n’est remonté. Le rapport de force ne se mesure pas à ces feuilles d’émargement. Ni au nombre de grévistes : combien de journées «massives» et même reconduites (en 2003) sans satisfaction des revendications ? Le rapport de force c’est l’élargissement, l’activité des grévistes (d’où la tentative de repression sur la directrice de Binet qui parle à la presse…). Les feuilles d’émargement constituent un usage, pas la loi. Les prélèvements sur salaires participent de la répression.
Le projet de loi qui devrait sortir avant l’été va dans ce sens : sous couvert d’organisation d’un accueil minimum, il imposerait aux grévistes de se déclarer. C’est une énorme régression. Propositions : le paiement des jours de grève intègre la plate-forme revendicative de l’AG parisienne ; les feuilles d’émargement ne sont pas légales, les grévistes émargent la case «ayant assuré son service» ; les syndicats soutiennent en signant la plate-forme et font barrage à toute tentative de répression.
Pour info, voici ce qui est écrit sur le site du SNUIPP 75 : «Le SNUIPP rappelle que dans l’état actuel de la législation rien n’oblige les enseignants à se déclarer grévistes à l’avance. Par ailleurs, en aucun cas la fonction de directeur d’école n’oblige à signaler le nombre de grévistes passé ou futur, a fortiori de communiquer des noms. C’est à l’administration et donc à la hiérarchie d’apporter la preuve qu’un collègue est gréviste.»
Mise en œuvre de la solidarité financière. Quoique nous décidions, nous allons perdre de l’argent… Contre cela aussi, nous pouvons nous organiser. Organisation de concerts, ventes, reversements d’une partie de nos salaires quand nous ne sommes pas ponctionnés, collectes lors de manifestations publiques. L’association «Le mouton qui bouge» est une structure créée en 2003 pour recueillir les fonds d’une caisse de solidarité, elle est toujours opérationnelle. Enfin, les caisses de solidarité permettent d’organiser des péréquations pendant et après le mouvement.
À propos du rapport entre la lutte et les médias
Rappelons quelques faits. Les patrons de presse sont les industriels qui dirigent l’économie et la politique. Les journalistes influents et les politiciens sont issus des mêmes écoles, fréquentent les mêmes lieux, les mêmes personnes, se marient entre eux, ont les mêmes intérêts. Leurs subordonnés, les petites mains du journalisme, ont des contrats précaires, risquent leur place, ont très peu de temps pour écrire, pour réfléchir, pour se documenter. Ils ne peuvent suivre longtemps les acteurs de mouvements sociaux. Ils se contentent donc d’idées toutes faites, écrivent des articles qui rentrent dans le schéma attendu. Nous avons eu la surprise de voir une journaliste de Politis rester une demi-journée à nos côtés lors d’une occupation d’inspection ! De fait, l’article fut correct.
Mais il y a plus pernicieux. La volonté de faire des actions médiatiques tend à déposséder le mouvement de son expression. On pressent bien souvent une angoisse à «être vu». Notre parole est alors remise entre les mains du gang médiatique. Une représentation se développe alors, séparée de ceux qui luttent, avec un sentiment de dépossession et d’impuissance. Plus les médias montent en épingle une contestation, plus elle paraît forte, et moins chacun ressent sa participation comme indispensable. La relation de complicité dans la lutte s’efface au profit d’une relation entre spectateurs et spécialistes qui défendent en leur nom dans des coups médiatiques leur point de vue [Voir le Comité d’action de Serre-de-la-Fare, «Complément d’enquête sur un engagement différé», hiver 1990].
Un mouvement qui se concentre sur son activité réelle se renforce et se place en position de supériorité : les médias deviennent alors demandeurs. L’objectif n’est pas «qu’on parle» d’une lutte, mais qu’elle parle elle-même dans ses propres termes.
Le 15 mai 2008, le succès de la journée de grève entraîne quelques enseignants à démarrer une grève reconductible. Celleci est votée lors de l’assemblée générale parisienne du matin. Une quinzaine de personnes vont faire des tours d’écoles, préparer des tracts et communiqués pour informer autour d’eux du démarrage du mouvement. Dès le lundi 19 mai, une trentaine de collègues les rejoignent. Lors de l’AG du soir, une plate-forme revendicative est votée. Vous pouvez la lire dans ce numéro. La grève durera plus de trois semaines.
Ce Zéro de Conduite spécial grève de mai-juin 2008 esquisse une réflexion sur ce mouvement social du nord-est parisien. Une grève qui, pour nous, marque un tournant important : après le coup de massue de 2003, nous avons affirmé que la grève reconductible restait possible. Il restera à le prouver après l’adoption de la loi scélérate dite du «service minimum d’accueil». Le syndicalisme institutionnel étant moribond, c’est à nous de nous en donner les moyens.
Appel de l’assemblée des écoles de Paris, 19 mai 2008
Retrait du décret sur la réaffectation des heures de classe supprimées du samedi matin et annualisant nos horaires (108 heures). Abandon du projet de nouveaux programmes. Contre la Base-élèves. Contre la mise en concurrence des écoles.
La publication annoncée [Le ministère renoncerait (provisoirement ?) à cette mesure] des résultats des évaluations école par école mettrait en concurrence les écoles. Ce mode de gestion conduirait à l’instauration du salaire au mérite à travers l’évaluation des enseignants en «intégrant les progrès des élèves».
Annulation des 80.000 suppressions de postes programmées et création des postes nécessaires aux besoins du service public et des élèves. Ces moyens permettront un abaissement des effectifs d’élèves dans les classes, une augmentation du nombre de remplaçants, le maintien et le développement des RASED.
Abandon des stages dits de «remise à niveau» pendant les vacances scolaires. Ces stages renvoient hors temps scolaire le traitement de la difficulté scolaire, alors que c’est sur le temps de classe qu’il faut mettre les moyens et aider les élèves en difficulté.
L’AG parisienne se prononce pour le maintien du droit de grève et contre un service minimum sous quelque forme que ce soit.
L’AG parisienne a décidé le 10 juin de revendiquer le paiement des jours de grève et de mettre en place une solidarité financière avec ceux qui seront pénalisés.
L’AG demande aux organisations syndicales départementales qu’elles se prononcent sur cet appel en s’y joignant et qu’elles appellent à la grève reconductible.
Face à la mobilisation massive des enseignants et des parents, le ministère ne répond que par le mépris et l’intransigeance. Devant une telle attitude, les enseignants déclarent publiquement qu’ils n’appliqueront pas les mesures Darcos. Ils n’appliqueront pas les nouveaux programmes. Ils n’effectueront pas les évaluations nationales visant à mettre en concurrence les écoles. Ils ne mettront pas en place les 60 heures de «soutien» ni les «stages de remises à niveau». Ils bloqueront l’installation de Base-élèves.
Les enseignants des écoles parisiennes appellent tous les enseignants de France à tenir la même ligne de conduite et à la poursuite et l’amplification de la mobilisation. Pour un service public d’éducation !
Tentative pour mieux comprendre la structuration du mouvement
Les AG d’arrondissement pour se rencontrer, échanger sur l’actualité des «réformes», mettre en forme nos revendications, se «compter», faire le point sur la mobilisation, ses forces, ses faiblesses, liée à nos réalités d’écoles. Une organisation collective prend forme : modalités de la grève (ponctuelle, reconductible, en relais, etc.), directions du mouvement et élaborations de stratégies collectives (motions). Ces AG sont «décisionnelles» : c’est un grand mot qui veut simplement dire que c’est là que les personnes qui sont en mouvement se retrouvent. Les décisions ne peuvent pas être remises en cause ailleurs ou par des personnes qui n’ont pas participé à l’AG, même si elles sont informelles, simple échange d’infos sur des initiatives d’écoles ou de l’arrondissement, a fortiori quand elles sont formalisées à travers un vote. C’est le lieu clairement identifié où on doit porter ses initiatives, réflexions individuelles et/ou d’école pour tenter de trouver une démarche collective (motions) en relation avec notre réalité de terrain…
L’AG parisienne est le lieu de coordination des actions et initiatives des arrondissements, d’unification des revendications, d’échanges sur l’analyse collective des AG d’arrondissements, du point sur la mobilisation. Des prises de paroles individuelles peuvent avoir lieu ; nous ne sommes pas formalistes ! Et prêts à s’enrichir de toutes les réflexions et analyses… L’écueil à éviter est connu : redites, accaparement de la parole, dérives par rapport à l’ordre du jour…
Ce qui nous amène à parler de la tribune : dans ce mouvement, elle est composée par des représentants d’AG d’arrondissement… Tout simplement parce qu’il est légitime que ce soit des acteurs du mouvement qui l’organisent ! La tribune propose à l’AG un ordre du jour, veille à son respect (horaires et tour de paroles), aide l’AG lors des débats, en propose des synthèses… La tribune aide l’AG dans son travail décisionnel, d’analyse de la situation, pour un déroulement constructif… Et l’AG aide la tribune dans ce travail délicat. Mais la tribune ne peut décider pour l’AG. Il faut parfois procéder à plusieurs votes pour trouver la formulation adéquate, la motion la plus rassembleuse…
Les motions, les revendications, les initiatives peuvent être adoptées au consensus. Souvent, on procède à un vote afin de mesurer la tendance générale (tout le monde ne parle pas). C’est essentiel pour que les décisions aient une chance d’être mises en œuvre. Les AG sont décisionnelles (voir «AG d’arrondissement»).
L’AG de grévistes, comité de grève habituellement constitué par arrondissement. Dans ce mouvement, une AG unique pour tout Paris. Il s’agit d’organiser la journée de grève : tournées d’écoles, actions, actions futures décidées en AG, relations presse, réalisation de tracts et matériel d’information, débats à organiser, etc.
En fait, il s’agit d’un comité de grève qui garantit que les décisions d’AG parisienne ou d’arrondissement sont mises en œuvre. Il est important de ne pas confondre ces AG grévistes avec les autres AG au risque de doublons, de ne pas mettre en œuvre les décisions d’AG, donc de démotiver toute tentative de s’organiser collectivement… On sait bien que ce que nous avons appris à l’école c’est de fonctionner individuellement et surtout pas collectivement !
Les syndicats impliqués dans les AG participent au comité de grève en mettant à disposition leurs moyens de reproduction et de diffusion, en soutenant les appels et les décisions d’AG via leurs outils d’information (journaux, listes internet, contacts presse, etc.) et en participant aux rendez-vous sollicités par les AG. Les intersyndicales sont à éviter… car il y a de fortes chances qu’elles changent les décisions d’AG (qui ne sont alors plus souveraines !). Mais bon, on peut parfois, faute de grives…
Les parents. La grande particularité de ce mouvement 2008, c’est la présence de parents solidaires avec les grévistes. Des parents acteurs de la mobilisation. Ils sont même invités à participer aux AG, au même titre que les enseignants. Un vote formel valide l’appellation «AG parents-enseignants en lutte». Ils restent discrets dans les débats, posant des questions utiles par leur point de vue extérieur, mais il sont de toutes les actions : maquettage et tirage de tracts, manifs, occupations d’écoles et d’inspection, envois de communiqués aux médias et à notre hiérarchie, participation à la délégation de l’AG parisienne chez l’IA sur la question de la répression des grévistes, délégation au ministère… À ce sujet, c’est amusant de voir certains parents apostropher les inspecteurs ou l’adjoint de mairie sans la retenue qui caractérise peut-être un peu trop souvent les enseignants !
À l’époque où le syndicalisme s’est engagé ouvertement dans l’impasse de la collaboration avec le gouvernement, l’ouverture de la lutte aux personnes concernées — les usagers — est sans doute une voie à développer.
Différentes formes de lutte
Disons-le tout net : pour nous les formes de lutte qui ont vu le jour lors de cette grève l’ont enrichie. Nous sommes les héritiers des syndicalistes révolutionnaires prônant la grève générale comme moyen d’exproprier les patrons et nous ne renions rien. C’est le seul moyen de faire cesser l’exploitation et de nous réapproprier les moyens de production.
Cependant, il faut bien voir où nous en sommes. Le roulement des grévistes dans une école a permis d’impliquer plus de collègues. Beaucoup ont ainsi été aux AG de grévistes, ont fait des tours d’écoles, ont occupé une inspection, parfois pour la première fois. Quelle meilleure formation que la lutte auto-organisée ? Quelle meilleure perspective pour l’avenir (oui, il y a un autre futur !) qu’une bonne cohésion d’école, en mesure de lutter, de dire non à l’injustice ?
Le roulement a aussi permis de développer et maintenir un lien étroit avec les parents avec, comme conséquence, l’implication décisive de beaucoup d’entre eux.
Les grévistes à plein temps, à temps partiel, les parents et même les enfants lors des manifs de quartier ont su très souvent unir leurs efforts vers un même but. Et c’est ce que nous retiendrons de cette magnifique grève de mai-juin 2008.
Les Nantais nous avaient montré la voie pendant trois semaines. Mais le mouvement ne s’est pas étendu comme c’était nécessaire. À l’échelle nationale, il faudra réfléchir sur l’absence de mobilisation et l’incapacité des syndicats majoritaires à impulser et coordonner les luttes. Le syndicalisme institutionnel est dans l’impasse, il nous faut reconstruire l’union des travailleurs et des usagers avec des formes novatrices. C’est ce que nous avons commencé à faire.
Paiement des jours de grève
Le 27 mai, une délégation est reçue par l’IA qui a tenté de faire pression sur les grévistes en demandant des noms. Elle argumente sur l’illégalité de ces pratiques : c’est à l’administration de faire la preuve qu’on est gréviste. L’IA le reconnaît et s’étrangle : «Vous demandez que les inspecteurs passent dans les écoles ?»
Le mouvement ouvrier n’a jamais justifié que les grévistes soient ponctionnés sur leur salaires. Les revendications d’AG intégraient le paiement des jours de grève, qui conditionnait la reprise ou non du travail. Le 26 mai, l’IA exerce des pressions alors qu’aucun état de grève n’est remonté. Le rapport de force ne se mesure pas à ces feuilles d’émargement. Ni au nombre de grévistes : combien de journées «massives» et même reconduites (en 2003) sans satisfaction des revendications ? Le rapport de force c’est l’élargissement, l’activité des grévistes (d’où la tentative de repression sur la directrice de Binet qui parle à la presse…). Les feuilles d’émargement constituent un usage, pas la loi. Les prélèvements sur salaires participent de la répression.
Le projet de loi qui devrait sortir avant l’été va dans ce sens : sous couvert d’organisation d’un accueil minimum, il imposerait aux grévistes de se déclarer. C’est une énorme régression. Propositions : le paiement des jours de grève intègre la plate-forme revendicative de l’AG parisienne ; les feuilles d’émargement ne sont pas légales, les grévistes émargent la case «ayant assuré son service» ; les syndicats soutiennent en signant la plate-forme et font barrage à toute tentative de répression.
Pour info, voici ce qui est écrit sur le site du SNUIPP 75 : «Le SNUIPP rappelle que dans l’état actuel de la législation rien n’oblige les enseignants à se déclarer grévistes à l’avance. Par ailleurs, en aucun cas la fonction de directeur d’école n’oblige à signaler le nombre de grévistes passé ou futur, a fortiori de communiquer des noms. C’est à l’administration et donc à la hiérarchie d’apporter la preuve qu’un collègue est gréviste.»
Mise en œuvre de la solidarité financière. Quoique nous décidions, nous allons perdre de l’argent… Contre cela aussi, nous pouvons nous organiser. Organisation de concerts, ventes, reversements d’une partie de nos salaires quand nous ne sommes pas ponctionnés, collectes lors de manifestations publiques. L’association «Le mouton qui bouge» est une structure créée en 2003 pour recueillir les fonds d’une caisse de solidarité, elle est toujours opérationnelle. Enfin, les caisses de solidarité permettent d’organiser des péréquations pendant et après le mouvement.
À propos du rapport entre la lutte et les médias
Contrairement aux grèves précédentes, on a peu entendu de plaintes illusionnées sur le silence des médias. Relative maturité à ce sujet ? De nos jours, tout un chacun se rend compte de la faille grandissante entre la réalité quotidienne et le discours médiatique.
Rappelons quelques faits. Les patrons de presse sont les industriels qui dirigent l’économie et la politique. Les journalistes influents et les politiciens sont issus des mêmes écoles, fréquentent les mêmes lieux, les mêmes personnes, se marient entre eux, ont les mêmes intérêts. Leurs subordonnés, les petites mains du journalisme, ont des contrats précaires, risquent leur place, ont très peu de temps pour écrire, pour réfléchir, pour se documenter. Ils ne peuvent suivre longtemps les acteurs de mouvements sociaux. Ils se contentent donc d’idées toutes faites, écrivent des articles qui rentrent dans le schéma attendu. Nous avons eu la surprise de voir une journaliste de Politis rester une demi-journée à nos côtés lors d’une occupation d’inspection ! De fait, l’article fut correct.
Mais il y a plus pernicieux. La volonté de faire des actions médiatiques tend à déposséder le mouvement de son expression. On pressent bien souvent une angoisse à «être vu». Notre parole est alors remise entre les mains du gang médiatique. Une représentation se développe alors, séparée de ceux qui luttent, avec un sentiment de dépossession et d’impuissance. Plus les médias montent en épingle une contestation, plus elle paraît forte, et moins chacun ressent sa participation comme indispensable. La relation de complicité dans la lutte s’efface au profit d’une relation entre spectateurs et spécialistes qui défendent en leur nom dans des coups médiatiques leur point de vue [Voir le Comité d’action de Serre-de-la-Fare, «Complément d’enquête sur un engagement différé», hiver 1990].
Un mouvement qui se concentre sur son activité réelle se renforce et se place en position de supériorité : les médias deviennent alors demandeurs. L’objectif n’est pas «qu’on parle» d’une lutte, mais qu’elle parle elle-même dans ses propres termes.
Zéro de conduite no 54, juin 2008
Syndicats CNT des travailleurs de l’éducation d’Île-de-France.