"Zéro de Conduite" spécial grève de mai-juin 2008

Publié le par la Rédaction

Réformes Darcos

Le 15 mai 2008, le succès de la journée de grève entraîne quelques enseignants à démarrer une grève reconductible. Celleci est votée lors de l’assemblée générale parisienne du matin. Une quinzaine de personnes vont faire des tours d’écoles, préparer des tracts et communiqués pour informer autour d’eux du démarrage du mouvement. Dès le lundi 19 mai, une trentaine de collègues les rejoignent. Lors de l’AG du soir, une plate-forme revendicative est votée. Vous pouvez la lire dans ce numéro. La grève durera plus de trois semaines.
Ce Zéro de Conduite spécial grève de mai-juin 2008 esquisse une réflexion sur ce mouvement social du nord-est parisien. Une grève qui, pour nous, marque un tournant important : après le coup de massue de 2003, nous avons affirmé que la grève reconductible restait possible. Il restera à le prouver après l’adoption de la loi scélérate dite du «service minimum d’accueil». Le syndicalisme institutionnel étant moribond, c’est à nous de nous en donner les moyens.


Appel de l
assemblée des écoles de Paris, 19 mai 2008

Retrait du décret sur la réaffectation des heures de classe supprimées du samedi matin et annualisant nos horaires (108 heures). Abandon du projet de nouveaux programmes. Contre la Base-élèves. Contre la mise en concurrence des écoles.

La publication annoncée [Le ministère renoncerait (provisoirement ?) à cette mesure] des résultats des évaluations école par école mettrait en concurrence les écoles. Ce mode de gestion conduirait à l
instauration du salaire au mérite à travers lévaluation des enseignants en «intégrant les progrès des élèves».

Annulation des 80.000 suppressions de postes programmées et création des postes nécessaires aux besoins du service public et des élèves. Ces moyens permettront un abaissement des effectifs d
élèves dans les classes, une augmentation du nombre de remplaçants, le maintien et le développement des RASED.

Abandon des stages dits de «remise à niveau» pendant les vacances scolaires. Ces stages renvoient hors temps scolaire le traitement de la difficulté scolaire, alors que c
est sur le temps de classe quil faut mettre les moyens et aider les élèves en difficulté.

L
AG parisienne se prononce pour le maintien du droit de grève et contre un service minimum sous quelque forme que ce soit.

L
AG parisienne a décidé le 10 juin de revendiquer le paiement des jours de grève et de mettre en place une solidarité financière avec ceux qui seront pénalisés.

L
AG demande aux organisations syndicales départementales quelles se prononcent sur cet appel en sy joignant et quelles appellent à la grève reconductible.

Face à la mobilisation massive des enseignants et des parents, le ministère ne répond que par le mépris et l
intransigeance. Devant une telle attitude, les enseignants déclarent publiquement quils nappliqueront pas les mesures Darcos. Ils nappliqueront pas les nouveaux programmes. Ils neffectueront pas les évaluations nationales visant à mettre en concurrence les écoles. Ils ne mettront pas en place les 60 heures de «soutien» ni les «stages de remises à niveau». Ils bloqueront linstallation de Base-élèves.

Les enseignants des écoles parisiennes appellent tous les enseignants de France à tenir la même ligne de conduite et à la poursuite et l
amplification de la mobilisation. Pour un service public déducation !


Tentative pour mieux comprendre la structuration du mouvement

Les AG d
arrondissement pour se rencontrer, échanger sur lactualité des «réformes», mettre en forme nos revendications, se «compter», faire le point sur la mobilisation, ses forces, ses faiblesses, liée à nos réalités décoles. Une organisation collective prend forme : modalités de la grève (ponctuelle, reconductible, en relais, etc.), directions du mouvement et élaborations de stratégies collectives (motions). Ces AG sont «décisionnelles» : cest un grand mot qui veut simplement dire que cest là que les personnes qui sont en mouvement se retrouvent. Les décisions ne peuvent pas être remises en cause ailleurs ou par des personnes qui nont pas participé à lAG, même si elles sont informelles, simple échange dinfos sur des initiatives décoles ou de larrondissement, a fortiori quand elles sont formalisées à travers un vote. Cest le lieu clairement identifié où on doit porter ses initiatives, réflexions individuelles et/ou décole pour tenter de trouver une démarche collective (motions) en relation avec notre réalité de terrain…

L’AG parisienne est le lieu de coordination des actions et initiatives des arrondissements, d’unification des revendications, d’échanges sur lanalyse collective des AG darrondissements, du point sur la mobilisation. Des prises de paroles individuelles peuvent avoir lieu ; nous ne sommes pas formalistes ! Et prêts à senrichir de toutes les réflexions et analyses… Lécueil à éviter est connu : redites, accaparement de la parole, dérives par rapport à lordre du jour…

Ce qui nous amène à parler de la tribune : dans ce mouvement, elle est composée par des représentants dAG darrondissement… Tout simplement parce quil est légitime que ce soit des acteurs du mouvement qui lorganisent ! La tribune propose à lAG un ordre du jour, veille à son respect (horaires et tour de paroles), aide lAG lors des débats, en propose des synthèses… La tribune aide lAG dans son travail décisionnel, danalyse de la situation, pour un déroulement constructif… Et lAG aide la tribune dans ce travail délicat. Mais la tribune ne peut décider pour lAG. Il faut parfois procéder à plusieurs votes pour trouver la formulation adéquate, la motion la plus rassembleuse…

Les motions, les revendications, les initiatives peuvent être adoptées au consensus. Souvent, on procède à un vote afin de mesurer la tendance générale (tout le monde ne parle pas). C
est essentiel pour que les décisions aient une chance dêtre mises en œuvre. Les AG sont décisionnelles (voir «AG darrondissement»).

L’AG de grévistes, comité de grève habituellement constitué par arrondissement. Dans ce mouvement, une AG unique pour tout Paris. Il sagit dorganiser la journée de grève : tournées décoles, actions, actions futures décidées en AG, relations presse, réalisation de tracts et matériel dinformation, débats à organiser, etc.

En fait, il s
agit dun comité de grève qui garantit que les décisions dAG parisienne ou darrondissement sont mises en œuvre. Il est important de ne pas confondre ces AG grévistes avec les autres AG au risque de doublons, de ne pas mettre en œuvre les décisions dAG, donc de démotiver toute tentative de sorganiser collectivement… On sait bien que ce que nous avons appris à lécole cest de fonctionner individuellement et surtout pas collectivement !

Les syndicats impliqués dans les AG participent au comité de grève en mettant à disposition leurs moyens de reproduction et de diffusion, en soutenant les appels et les décisions d
AG via leurs outils dinformation (journaux, listes internet, contacts presse, etc.) et en participant aux rendez-vous sollicités par les AG. Les intersyndicales sont à éviter… car il y a de fortes chances quelles changent les décisions dAG (qui ne sont alors plus souveraines !). Mais bon, on peut parfois, faute de grives…

Les parents. La grande particularité de ce mouvement 2008, c
est la présence de parents solidaires avec les grévistes. Des parents acteurs de la mobilisation. Ils sont même invités à participer aux AG, au même titre que les enseignants. Un vote formel valide lappellation «AG parents-enseignants en lutte». Ils restent discrets dans les débats, posant des questions utiles par leur point de vue extérieur, mais il sont de toutes les actions : maquettage et tirage de tracts, manifs, occupations décoles et dinspection, envois de communiqués aux médias et à notre hiérarchie, participation à la délégation de lAG parisienne chez lIA sur la question de la répression des grévistes, délégation au ministère… À ce sujet, c’est amusant de voir certains parents apostropher les inspecteurs ou ladjoint de mairie sans la retenue qui caractérise peut-être un peu trop souvent les enseignants !

À l
époque où le syndicalisme sest engagé ouvertement dans limpasse de la collaboration avec le gouvernement, louverture de la lutte aux personnes concernées — les usagers — est sans doute une voie à développer.


Différentes formes de lutte

Disons-le tout net : pour nous les formes de lutte qui ont vu le jour lors de cette grève lont enrichie. Nous sommes les héritiers des syndicalistes révolutionnaires prônant la grève générale comme moyen dexproprier les patrons et nous ne renions rien. Cest le seul moyen de faire cesser lexploitation et de nous réapproprier les moyens de production.

Cependant, il faut bien voir où nous en sommes. Le roulement des grévistes dans une école a permis d
impliquer plus de collègues. Beaucoup ont ainsi été aux AG de grévistes, ont fait des tours décoles, ont occupé une inspection, parfois pour la première fois. Quelle meilleure formation que la lutte auto-organisée ? Quelle meilleure perspective pour lavenir (oui, il y a un autre futur !) quune bonne cohésion décole, en mesure de lutter, de dire non à linjustice ?

Le roulement a aussi permis de développer et maintenir un lien étroit avec les parents avec, comme conséquence, l
implication décisive de beaucoup dentre eux.

Les grévistes à plein temps, à temps partiel, les parents et même les enfants lors des manifs de quartier ont su très souvent unir leurs efforts vers un même but. Et c
est ce que nous retiendrons de cette magnifique grève de mai-juin 2008.

Les Nantais nous avaient montré la voie pendant trois semaines. Mais le mouvement ne s
est pas étendu comme cétait nécessaire. À léchelle nationale, il faudra réfléchir sur labsence de mobilisation et lincapacité des syndicats majoritaires à impulser et coordonner les luttes. Le syndicalisme institutionnel est dans limpasse, il nous faut reconstruire lunion des travailleurs et des usagers avec des formes novatrices. Cest ce que nous avons commencé à faire.


Paiement des jours de grève

Le 27 mai, une délégation est reçue par lIA qui a tenté de faire pression sur les grévistes en demandant des noms. Elle argumente sur lillégalité de ces pratiques : cest à ladministration de faire la preuve quon est gréviste. LIA le reconnaît et sétrangle : «Vous demandez que les inspecteurs passent dans les écoles ?»

Le mouvement ouvrier n
a jamais justifié que les grévistes soient ponctionnés sur leur salaires. Les revendications dAG intégraient le paiement des jours de grève, qui conditionnait la reprise ou non du travail. Le 26 mai, lIA exerce des pressions alors quaucun état de grève nest remonté. Le rapport de force ne se mesure pas à ces feuilles démargement. Ni au nombre de grévistes : combien de journées «massives» et même reconduites (en 2003) sans satisfaction des revendications ? Le rapport de force cest lélargissement, lactivité des grévistes (doù la tentative de repression sur la directrice de Binet qui parle à la presse…). Les feuilles démargement constituent un usage, pas la loi. Les prélèvements sur salaires participent de la répression.

Le projet de loi qui devrait sortir avant l
été va dans ce sens : sous couvert dorganisation dun accueil minimum, il imposerait aux grévistes de se déclarer. Cest une énorme régression. Propositions : le paiement des jours de grève intègre la plate-forme revendicative de lAG parisienne ; les feuilles démargement ne sont pas légales, les grévistes émargent la case «ayant assuré son service» ; les syndicats soutiennent en signant la plate-forme et font barrage à toute tentative de répression.

Pour info, voici ce qui est écrit sur le site du SNUIPP 75 : «Le SNUIPP rappelle que dans l
état actuel de la législation rien noblige les enseignants à se déclarer grévistes à lavance. Par ailleurs, en aucun cas la fonction de directeur décole noblige à signaler le nombre de grévistes passé ou futur, a fortiori de communiquer des noms. Cest à ladministration et donc à la hiérarchie dapporter la preuve quun collègue est gréviste.»

Mise en œuvre de la solidarité financière. Quoique nous décidions, nous allons perdre de l
argent… Contre cela aussi, nous pouvons nous organiser. Organisation de concerts, ventes, reversements dune partie de nos salaires quand nous ne sommes pas ponctionnés, collectes lors de manifestations publiques. Lassociation «Le mouton qui bouge» est une structure créée en 2003 pour recueillir les fonds dune caisse de solidarité, elle est toujours opérationnelle. Enfin, les caisses de solidarité permettent d’organiser des péréquations pendant et après le mouvement.


À propos du rapport entre la lutte et les médias

Contrairement aux grèves précédentes, on a peu entendu de plaintes illusionnées sur le silence des médias. Relative maturité à ce sujet ? De nos jours, tout un chacun se rend compte de la faille grandissante entre la réalité quotidienne et le discours médiatique.

Rappelons quelques faits. Les patrons de presse sont les industriels qui dirigent l
économie et la politique. Les journalistes influents et les politiciens sont issus des mêmes écoles, fréquentent les mêmes lieux, les mêmes personnes, se marient entre eux, ont les mêmes intérêts. Leurs subordonnés, les petites mains du journalisme, ont des contrats précaires, risquent leur place, ont très peu de temps pour écrire, pour réfléchir, pour se documenter. Ils ne peuvent suivre longtemps les acteurs de mouvements sociaux. Ils se contentent donc didées toutes faites, écrivent des articles qui rentrent dans le schéma attendu. Nous avons eu la surprise de voir une journaliste de Politis rester une demi-journée à nos côtés lors dune occupation dinspection ! De fait, l’article fut correct.

Mais il y a plus pernicieux. La volonté de faire des actions médiatiques tend à déposséder le mouvement de son expression. On pressent bien souvent une angoisse à «être vu». Notre parole est alors remise entre les mains du gang médiatique. Une représentation se développe alors, séparée de ceux qui luttent, avec un sentiment de dépossession et d
impuissance. Plus les médias montent en épingle une contestation, plus elle paraît forte, et moins chacun ressent sa participation comme indispensable. La relation de complicité dans la lutte sefface au profit dune relation entre spectateurs et spécialistes qui défendent en leur nom dans des coups médiatiques leur point de vue [Voir le Comité daction de Serre-de-la-Fare, «Complément denquête sur un engagement différé», hiver 1990].

Un mouvement qui se concentre sur son activité réelle se renforce et se place en position de supériorité : les médias deviennent alors demandeurs. L
objectif nest pas «quon parle» dune lutte, mais quelle parle elle-même dans ses propres termes.


Zéro de conduite no 54, juin 2008
Syndicats CNT des travailleurs de l’éducation d’Île-de-France.

Publié dans Éducation

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