À propos des événements du 5 mai en Grèce
En attendant la nouvelle journée de manifestation conjointe contre les mesures d’austérité annoncée aujourd’hui et prévue mercredi à Athènes par les deux centrales syndicales du public et du privé…
Quelques éléments de contexte
1. Le 5 mai, trois personnes ont perdu la vie dans l’incendie de la banque Marfin, dans le centre d’Athènes, pendant l’une des plus grandes manifestations qu’ait jamais vu la capitale de la Grèce.
2. 200'000 personnes ont participé. Pour la première fois, même le parti communiste, habituellement patriote, sectaire et légaliste, a rejoint les dizaines de milliers de manifestants qui tentaient d’envahir le Parlement réuni en assemblée. Son secrétaire général a même été forcé de reconnaître ultérieurement que le bloc communiste avait été victime d’une provocation de la part des fascistes, qui agitaient des drapeaux rouges et ont été enregistrés en train d’appeler à la destruction par le feu du Parlement.
3. Les employés des grands médias étaient tous en grève. Aucune information concernant la mobilisation n’a été donnée pendant la matinée. Aussitôt que la mort des trois employés de la banque Marfin a été annoncée, la grève a été levée.
4. Le manager de la banque Marfin située rue Stadiou a menacé les employés de licenciement s’ils prenaient part à la grève générale et ne pointaient pas à la banque, qui s’est avérée ne disposer d’aucune issue de secours ni de matériel pour assurer la sécurité du personnel en cas d’incendie.
5. Vgenopoulos est un ambitieux grand capitaliste financé entre autres, par des capitaux arabes [Des Émirats ?, NDT], acheteur de la compagnie aérienne Olympic Airlines, PDG du fonds d’investissement Marfin, souvent célébré dans les médias et les sondages en tant que «solution aux problèmes économiques grecs».
À propos des événements du 5 mai
En décembre 2008, durant les émeutes qui ont suivi le meurtre d’Alexandros Grigoripoulos, le milieu anarchiste anti-autoritaire répondait aux appels fascistes des médias prônant le retour à la loi et à l’ordre par le slogan : «Vous parlez de vitrines, nous parlons de vies».
Une dangereuse tolérance pleine d’hypocrisie autorise maintenant certains à parler du manque d’installations anti-incendie dans la banque, une distorsion orwellienne de la réalité leur permettant d’évoquer la mort tragique de trois travailleurs comme s’il s’agissait d’un accident domestique.
Ne comprenons-nous pas qu’il s’agit exactement du même discours que tient l’OTAN lorsqu’il est question de «dommages collatéraux» ? Ne voyons-nous pas que les protestations contre le cynisme — peu surprenant — d’un homme d’affaires ayant forcé les employés à rester à l’intérieur de la banque, ne lavera aucune main du sang qu’elle porte ?
Ne comprenons-nous pas qu’en utilisant les tactiques de la Bête, on finit par devenir bien trop proche d’elle ?
Dans une manifestation qui s’est tenue le 6 mai au centre de Thessalonique, à laquelle appelait le syndicat des médecins de l’hôpital public et les syndicats «du premier degré», une des nombreuses manifestations s’opposant à l’attaque sans précédent subie par les conventions collectives et les droits des travailleurs, touchant aux salaires, à la protection sociale et aux retraites afin de satisfaire les prescriptions économiques des banquiers du FMI et de l’UE, beaucoup d’anti-autoritaires à l’arrière de la manifestation répétaient ce slogan : «C’était un meurtre, nous ne nous faisons aucune illusion : l’État et Vgenopoulos ont assassiné les travailleurs». Pour certaines personnes, la facilité de cette conclusion est en effet confortable : «L’État et Vgenopoulos tuent des travailleurs». Pourtant, réalisent-ils ce que cela signifie vraiment ? Et quelles sont les conséquences de ce vœu pieux ?
Nous ne savons absolument pas ce qui s’est passé exactement à la banque Marfin dans l’après-midi du 5 mai. Ce que nous savons de manière sûre est que lorsque nous avons appris cette tragique nouvelle, personne dans nos cercles n’était en mesure de réfuter, avec une certitude absolue, le verdict des médias. Et cela était tout aussi tragique. Parce que si nous ne pouvons rendre inconcevable (et en premier chef pour nous-même) le fait que ces événements n’ont rien à voir avec les personnes de notre milieu, alors nous avons déjà préparé le terrain pour de telles tragédies (que ce soit au travers d’une irresponsabilité fatale, d’une malveillance retorse ou de stratégies périlleuses).
Dans un soulèvement général, il se peut que des morts adviennent dans des circonstances incontrôlables. C’est arrivé à Los Angeles, c’est arrivé en Argentine. Personne n’a jamais reproché la responsabilité de ces morts à un mouvement politique organisé de dissidence. Le simple fait que le meurtre de trois personnes dans la banque Marfin soit associé à l’anarchisme signale la grande responsabilité des anarchistes. Qui peut vraiment ignorer la complaisance des pratiques d’avant-garde envers des logiques qui méprisent la vie ? Bien sûr, les anarchistes sont expérimentés, ils ont brûlé tant de banques sans qu’aucune vie ne soit mise en danger. Bien sûr, Vgenopoulos a forcé les travailleurs à rester à l’intérieur, en ne disposant d’aucune protection anti-incendie. Qu’importe ce que l’on dira, la question de la responsabilité ne peut être évitée. Si même un minuscule nombre de personnes qui se définissent comme des anarchistes sont assez irresponsables pour brûler un bâtiment à l’intérieur duquel se trouvent des gens, nous devons nous demander comment cette irresponsabilité a été permise et cultivée. Si, et c’est encore pire, nous avons préparé un terrain favorable à l’acte de provocation le plus grave de la Grèce d’après les colonels, alors les conséquences à long terme dépassent de loin la tragédie que sont ces trois meurtres.
La réponse à cela ne doit pas être l’apaisante déclaration : l’ennemi n’a aucun scrupule. Nous sommes conscients de ce qui a eu lieu Piazza Fontana à Milan, et à la Scala de Barcelone. La réponse réside dans l’opposition grandissante, qui, dans la mutualité, la solidarité et dans un esprit de communauté et de camaraderie, s’enracine à travers lieux et groupes dans l’ensemble du pays, dans un dur et laborieux travail. La réponse réside dans la lutte collective pour la vie, et non pour la mort.
Signé par les Éditions-Revue Panopticon, Éditions des Étrangers, Éditions Stasei Ekpiptones, Le Poivre Noir d’Euboia, Journal Nyktegersia, Éditions Exarcheia (et diffusé sur la liste Radical Europe).
Traduit de l’anglais pour le JL, 10 mai 2010.