Un samedi à Givors (près de Lyon)

Publié le par la Rédaction

 

Retour sur la manifestation pour exiger la vérité sur la mort suspecte de Farid Lamouchi et contre les violences policières à Givors, ce samedi 26 février. Probablement furieux de ne pouvoir intervenir sur les manifestants, les flics de Givors se sont rabattus sur un mariage, où des participants ont été gazés, insultés et ont pris des coups de matraque et de taser, ainsi qu’une convocation en justice !

 

Manifestation à Givors : nous exigeons la vérité sur la mort suspecte de Farid Lamouchi

 

C’est parce qu’il est de notre devoir de condamner fortement la guillotine carcérale que l’association Faites la Lumière en Détention appelle à une manifestation non silencieuse le samedi 26 février 2011 à 14h30 place Charles de Gaulle (quartier des Vernes) à GIVORS.

 

Le 10 jan­vier 2011, Farid LAMOUCHI a été retrouvé mort dans une cel­lule du quar­tier arri­vant (depuis deux jours seu­le­ment) de la prison de Corbas, près de Lyon, alors que celui-ci pré­sen­tait une fra­gi­lité cer­taine.

 

Une fra­gi­lité confir­mée par un méde­cin de la Maison d’Arrêt de Corbas qui avait isolé Monsieur LAMOUCHI en disant qu’il ris­quait d’être dan­ge­reux pour autrui et pour lui-même. Si Farid était dan­ge­reux pour lui-même, com­ment se fait-il qu’il n’ait pas été placé à l’UHSA ou au SMPR (service médi­cal psy­cho­lo­gi­que régio­nal) ?

 

Comment se fait-il qu’aucune des 20 recom­man­da­tions sur la pré­ven­tion sui­cide n’est été mise en place, comme le maté­riel adapté «kit de pro­tec­tion d’urgence» que le minis­tère de la Justice avait mis en avant comme une des solu­tions phares ?

 

Comment se fait-il que son cou ne porte pas véri­ta­ble­ment les traces de pen­dai­son, mais plutôt de coups portés sur lui ?

 

Comment se fait-il que l’admi­nis­tra­tion péni­ten­tiaire ait pré­tendu qu’il ait fait une lettre d’adieu, ce qui est com­plè­te­ment faux, puisqu’au contraire, dans sa lettre, il ras­sure sa famille et il leur demande même de l’argent pour can­ti­ner ?

 

Comment se fait-il qu’on n’ait pas tenu compte, juste avant son incar­cé­ra­tion, de la vio­lence de l’inter­pel­la­tion des poli­ciers de la BAC de Givors ?

 

Les ques­tions demeu­rent pour la famille qui ne peut croire au sui­cide de leur proche et qui est déter­miné à faire toute la lumière sur cette tra­gé­die.

 

 

«Ils viennent nous provoquer même une fois qu’ils ont fini leur service»

 

Une soixan­taine de per­son­nes sont pré­sen­tes place Charles de Gaulle pour pren­dre le départ de la mani­fes­ta­tion dans le quar­tier des Vernes, là-même où habi­tait Farid, et beau­coup sont des proches. Dans la cité, les gens s’arrê­tent pour nous dire que c’est ce qu’il faut faire, il ne faut pas fermer sa gueule devant les coups de pres­sion des flics et leur bru­ta­lité.

 

Ici, tout le monde se connaît. À tra­vers la mort de Farid, les habi­tants envi­sa­gent ce tra­gi­que acci­dent pour tout à chacun, dans les confron­ta­tions avec la police, en ser­vice ou non… «Ils vien­nent nous pro­vo­quer même une fois qu’ils ont fini leur ser­vice. Y en a un là, il vient taper des freins à main juste en bas des immeu­bles les soirs…»

 

Apparemment Givors, pour la police c’est une espèce de zone de non droit depuis bien long­temps, où les flics se per­met­tent beau­coup plus d’exactions qu’ailleurs.

 

Départ de la mani­fes­ta­tion avec un maxi­mum de bruit ! C’est chouette. On n’est pas beau­coup, mais la manif se fait remar­quer. «Police assas­sin», «Justice nulle part», quel­ques doigts d’hon­neur quand les flics (peu nom­breux) se rap­pro­chent un peu trop, les gens sont moti­vés. Tout se passe bien dans le centre de Givors jusqu’au lâcher de bal­lons devant la mairie, on applau­dit en mémoire de Farid. Le Maire vient serrer des palu­ches, la famille Lamouchi le reçoit cor­dia­le­ment. Enfin les gens se sépa­rent et ren­trent au quar­tier.

 

Réunion stra­té­gi­que dans un appar­te­ment pour savoir ce que l’on va faire pour pour­sui­vre la lutte et exiger la jus­tice. Les gens pré­sents débat­tent… Soudain quelqu’un nous annonce qu’une vingtaine de minu­tes après notre pas­sage place de la Mairie, les flics vien­nent de gazer un mariage ! Alors on décide de sortir.

 

 

«Ils n’acceptent pas qu’on puisse bien vivre !»

 

Des per­son­nes pré­sen­tes au mariage sont retrou­vées et elles se confient rapi­de­ment à nous. Elles nous expli­quent briè­ve­ment la situa­tion et on peine à les croire. «Ils n’accep­tent pas qu’on puisse bien vivre, c’est parce qu’on est des Arabes qu’ils nous font chier !»

 

Curieusement, dans le centre de Givors, la pré­sence poli­cière s’est ren­for­cée après le départ des mani­fes­tants. Il sem­ble­rait que deux camions de CRS étaient plan­qués der­rière l’église, probablement pour la mani­fes­ta­tion.

 

Le cor­tège de bagno­les qui pre­nait part au mariage entra­vait appa­rem­ment un peu trop la rue, alors les flics n’ont pas hésité à gueu­ler sur une des voi­tu­res. À l’inté­rieur il y a Medhi qui conduit et sa femme, enceinte.

 

Medhi n’a même pas le temps d’obtem­pé­rer que la police hausse le ton direc­te­ment en l’insul­tant et qu’un flic le chope par l’avant bras. Medhi esquive une pre­mière droite du flic. Il sort de la voiture et reçoit plu­sieurs coups de pieds et des coups de tonfa par der­rière. Un des flics sort son Taser et le shoote. «Je suis resté téta­nisé, je ne pou­vais rien faire !»

 

Pendant ce temps la voi­ture est copieu­se­ment gazée ainsi que le cor­tège qui pro­teste. La jeune sœur de Medhi, 16 ans, qui veut l’aider reçoit des coups de matra­que. Sa grand mère est malmenée elle est pous­sée par des poli­ciers, sa tante qui est asth­ma­ti­que sera même trans­por­tée à l’hôpi­tal.

 

Medhi est embar­qué au com­mis­sa­riat qui est à deux pas. Les portes du four­gon s’ouvrent, les insul­tes racis­tes fusent, les mena­ces aussi : «Allez des­cends, je vais te niquer, dans la cel­lule, je vais te pren­dre et te défon­cer !»

 

— Medhi : «Du coup j’ai repensé direct à cette affaire de Farid… Je vou­lais pas des­cen­dre du camion poings liés, j’aurai pas pu me défen­dre, alors un flic m’a mis sa gazeuse à 2 cen­ti­mè­tres du visage et j’ai dû m’exé­cu­ter. Une fois dans le com­mico, un des flics fait remar­quer aux autres qu’ils auraient dû me sécher depuis le début, j’aurais fait moins d’his­toi­res. Je lui ai fait remar­quer qu’il n’avait pas à dire ça, alors il s’est énervé et m’a sorti des trucs que je ne répé­te­rai pas parce qu’il y a ma mère à côté de moi… Entre autres “Sale arabe !”… et ce genre de choses.» [Par exemple : «Fils de pute, je vais t’enculer.»]

 

Medhi est relâ­ché aux alen­tours de 18h30, son père a négo­cié sa sortie auprès du com­mis­sa­riat, selon le bon vou­loir des fonc­tion­nai­res. Il res­sort avec une convo­ca­tion. Des gens l’encou­ra­gent à porter plainte auprès du pro­cu­reur et à faire attes­ter ses bles­su­res par un méde­cin. Medhi semble le pre­mier convaincu de la néces­sité de pour­sui­vre les flics. «Si tu ne le fais pas, ça va se retourner contre toi.»

 

Medhi et sa famille décident d’aller à l’hôpi­tal et de ter­mi­ner ce mariage. Aucune raison que la peur du flic vienne para­si­ter encore un peu plus cette jour­née.

 

Un après-midi ordi­naire en fait.

 

Voilà, il est 20h, on repart sur Lyon et on laisse la cité des Vernes à son quo­ti­dien :

— Un com­mis­sa­riat de Givors qui visi­ble­ment fait ce qu’il veut même si c’est complète­ment illé­gal, dans l’attente, espé­rons-le, d’une enquête sérieuse de l’IGPN [Inspection Générale de la Police Nationale (la police des polices)] et de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité.
 — Des poli­ciers de la BAC qui font chier les gamins qui ren­trent de l’école.
 — Des coups de pres­sion et des coups tout court comme cet après-midi.

 

Comment ne pas avoir les boules quand on gran­dit ici ? Il n’y a pas une famille qui n’ait jamais eu des ennuis avec la police. Tout le monde a en tête les meur­tres dégui­sés, les affai­res bâclées, les cou­sins, les frères ou les voi­sins humi­liés.

 

Dans ces villes de ban­lieues ouvriè­res où l’indus­trie a déserté, la cam­pa­gne avoi­si­nante ne peut même pas servir de refuge. On n’a pas idée du degré de vio­lence des rap­ports de force entre le pou­voir et les habi­tants des quar­tiers popu­lai­res, et pour­tant ça semble être la norme.

 

 Rebellyon, 28 février 2011.

 

 

Quand la garde à vue conduit au suicide

 

C’est l’histoire d’un petit voleur à la tire, prénommé Farid qui, interpellé le 5 janvier, à Givors (Rhône) sera traité par les policiers comme un grand criminel. Au commissariat, un médecin, qui admet que son état est compatible avec un placement en garde à vue, note malgré tout : «Sous réserve qu’il prenne ses médicaments». En effet, cet homme, âgé de 41 ans, est invalide à 80%, et souffre d’une tumeur au cerveau pour laquelle il est sous traitement. Aucun médicament ne lui sera fourni ! En comparution immédiate devant le tribunal de grande instance de Lyon, les policiers consignent un incident de garde à vue, et qu’ils ont dû le plaquer à terre, et le menotter, au prétexte que Farid les avait menacés et tenter de les frapper. De fait, l’avocat de permanence devait s’inquiéter du fait que l’homme présentait «des marques rougeâtres au niveau du cou, du torse et du dos. Il était en pleurs et dénonçait les conditions de sa garde à vue.» Le 7 janvier, il sera retrouvé pendu avec ses lacets, dans sa cellule, après 48 heures de garde à vue qui n’avaient pas dû être câlines. Avant de se suicider, Farid avait écrit à sa femme, lui racontant que «Les flics de Givors» l’avaient «vraiment fait chier !» (Source Libération, 20 janvier 2011.)

 

Que fait la police ? no 48, mars 2011
Bulletin d’information anti-autoritaire.

 

 

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