Une brève histoire de la rafle / Pas de trêve estivale pour les expulsions

Publié le par la Rédaction

Une brève histoire de la rafle


Les 16 et 17 juillet 1942, le régime de Vichy organise la rafle du Vél d’Hiv dont la commémoration approche. Le 10 juin 2010, des hommes et des femmes ont comparu devant le tribunal de grande instance de Pau suite à la plainte déposée contre eux par Philippe Rey, préfet des Pyrénées-Atlantiques, en vertu de l’article 433-5 du code pénal qui sanctionne le délit d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique. Leur tort ? Avoir, pour certains d’entre eux, utilisé le terme «rafle» pour dénoncer les arrestations d’étrangers en situation irrégulière.

 

Consultons donc le Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française en sept volumes, dit le Robert, couronné par l’Académie française. «Rafle» est ainsi définie : «Spécialt. (fin XIXe siècle) Arrestation massive opérée à l’improviste par la police dans un quartier suspect, un établissement mal famé.» Et, à titre d’illustration, les auteurs citent un extrait de Nana, où Émile Zola relate la situation de péripatéticiennes parisiennes. «L’été, à douze ou quinze, ils (les agents) opéraient des rafles sur le boulevard, ils cernaient un trottoir, pêchaient jusqu’à trente femmes en une soirée.»

 

Intéressante définition et précieuse citation. De façon concordante, précise et circonstanciée, toutes deux prouvent ceci : la rafle est une technique utilisée dès la seconde moitié du XIXe siècle par la police contre les membres des classes pauvres, souvent jugées dangereuses, les prostituées et les vagabonds, notamment. À la fin de la IIIe République, des rafles furent aussi employées suite au décret du 18 novembre 1939 autorisant l’internement de tous les individus, nationaux ou étrangers, considérés comme «dangereux pour la défense nationale» et la «sécurité publique». Le 19 mars 1940, le radical-socialiste Albert Sarraut, ministre de l’Intérieur, y a recours lors d’opérations policières dirigées contre les militants du Parti communiste. 10'550 perquisitions, 3400 arrestations et 499 internements, tel est le bilan qu’il dresse fièrement à la tribune de l’Assemblée nationale. Pour la première fois dans l’histoire de la France contemporaine et démocratique, les rafles et l’internement administratif étaient utilisés contre des nationaux pour des motifs politiques.

 

Contrairement à ce que beaucoup soutiennent — par ignorance ou par démagogie —, le régime de Vichy n’a nullement inventé cette technique policière dont il n’a pas le monopole quand bien même il en a fait un usage particulièrement important et criminel en collaborant ainsi de façon active au génocide des Juifs perpétré par les nazis. Dans un tout autre contexte, et à des fins complètement différentes, les IVe et Ve Républiques ont elles aussi procédé à des rafles. À preuve ce rapport rédigé en juin 1947 par le préfet de police de la Seine à l’intention du ministre de l’Intérieur. «Les statistiques récentes établies par mes services ont fait apparaître un important pourcentage d’originaires de l’Afrique du Nord parmi les individus coupables d’agressions ou de cambriolages nocturnes. […] Des rafles journalières sont menées […] par la Brigade volante de la police municipale.» Inutile d’être un universitaire ou un philologue de haute volée pour comprendre que le terme rafle, dépourvu ici de toute connotation péjorative, désigne des pratiques dont on découvre qu’elles sont alors quotidiennes.

 

Rappelons enfin que les 17 et 18 octobre 1961, des policiers agissant sous les ordres de Maurice Papon, préfet de police de la capitale, ont arrêté 14'000 manifestants algériens rassemblés pacifiquement à l’appel du FLN pour protester contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé depuis le 5 octobre de la même année. Au regard des moyens mobilisés et de la définition du dictionnaire précité, nous sommes parfaitement en droit de qualifier ces opérations de rafles. C’est d’ailleurs le terme utilisé par Jean-Pierre Elkabbach le 13 octobre 1991 lors d’une émission de la Cinq consacrée à ces événements. En présence de Maurice Papon, il déclarait alors : «On a raflé ceux qui sortaient du métro, ceux qui sortaient des autobus, et on les a envoyés […] au Palais des sports et à Coubertin.» Nul ne s’est offusqué de l’emploi de ce mot, pas même le préfet mis en cause puisqu’aucune plainte ne fut déposée contre le journaliste.

 

Aujourd’hui, celles et ceux — nous en sommes — qui emploient le terme rafle pour désigner certaines actions policières dirigées contre des étrangers en situation irrégulière, le font donc à bon escient. Être poursuivi pour avoir usé correctement de la langue française est pour le moins singulier. Être condamné pour ce fait le serait plus encore au regard des principes et des droits fondamentaux inscrits dans la Constitution de la Ve République et dans son préambule. Si l’injustice venait à s’ajouter au ridicule de la situation, alors je demanderais à être poursuivi également en tant que directeur et auteur d’un ouvrage intitulé : Douce France. Rafles. Rétentions. Expulsions, publié en 2009 aux éditions du Seuil avec l’aide du Réseau Éducation sans frontières.

 

Olivier Le Cour Grandmaison
Libération, 15 juillet 2010.

 

 

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Pas de trêve estivale pour les expulsions

 

Pas loin de 15'000 «reconduites à la frontières» pour la première moitié de l’année : 2010 sannonce comme un excellent cru pour Éric Besson, ministre des Expulsions, qui travaille en même temps au durcissement de la législation.

 

Vendredi 9 juillet 2010. Le Figaro, qui ose encore placer en exergue cette citation admirable de Beaumarchais : «sans la liberté de blâmer, il nest point déloge flatteur» alors que son directeur en trahit et lesprit et la lettre en flattant comme jamais le pouvoir en place, consacre plus dune demie page aux exploits du ministre des Expulsions et de la Stigmatisation nationale. Lon y apprend ainsi que la lutte contre limmigration clandestine, menée dune main de fer par Éric Besson, na cessé de samplifier et que le nombre de retours forcés, pudiquement appelées «reconduites à la frontière» par les journalistes eux-mêmes, conformément aux éléments de langage forgés par les experts en communication du gouvernement, ont atteint le chiffre de 14'760 au premier semestre 2010. Admirable bilan en effet qui laisse présager des résultats plus remarquables encore puisque pour cette seule année, celui qui est devenu lun des meilleurs soldats du sarkozysme a prévu de procéder à 28'000 expulsions conformément à la lettre de mission qui lui a été envoyée par le président de la République et François Fillon, son très fidèle «collaborateur» à Matignon.

 

Au désordre de laffaire Bettencourt, provoqué par une mauvaise presse, «populiste», «sensationnelle» et «racoleuse», «fasciste» en un mot comme lont dit et répété plusieurs dogues de lUMP qui croient penser au moment même où ils ne font quéructer de façon haineuse contre une liberté fondamentale : celle dinformer de façon indépendante, Le Figaro rappelle opportunément quil est des ministres exemplaires qui ne se laissent pas distraire de leurs «missions-au-service-des-Français» par de vaines polémiques. En ces matières dailleurs, Éric Besson, conformément aux conceptions illibérales de celui qui la fait ministre, a des idées bien arrêtées puisquil affirme que «les médias» devraient consacrer «moins despace à cette affaire et davantage à laction du gouvernement». Lumineux, en effet. Alain Peyrefitte, en son temps, neut pas dit autre chose.

 

Décidément, cette époque est régressive, en tout et pour tout. Suggérons donc à lambitieux Besson, qui a la foi aveugle et intransigeante des nouveaux convertis, de profiter du prochain remaniement ministériel pour demander au chef de l’État dajouter aux grandioses missions qui sont déjà les siennes, celle de ministre de lInformation. Voilà qui ferait un fort beau titre conforme à lesprit thermidorien de saison. Imaginons un instant : ministre de lImmigration, de lIntégration, de lIdentité nationale, du développement solidaire et de lInformation ! Sublime, forcément sublime, et tellement conforme aux principes républicains qui servent désormais à plaider toutes les causes, même les pires. Outre la traque, larrestation et lexpulsion des étrangers en situation irrégulière, Éric Besson pourrait ainsi élargir utilement son domaine de compétences en indiquant aux journalistes comment il conviendrait de rendre compte des réformes engagées par l’Élysée et le gouvernement.

 

En attendant que lordre règne enfin, le même poursuit inlassablement son travail puisquil a entrepris de transposer en droit français trois directives européennes relatives à la situation des étrangers dont celle votée le 18 juin 2008 par les parlementaires réunis à Strasbourg. Parmi eux, se trouvaient, la chose mérite dêtre rappelée, des élus du Parti travailliste de Grande-Bretagne et des socialistes espagnols, notamment. Aussi nommée «directive de la honte» et violemment critiquée par plusieurs chancelleries — celles de lArgentine, du Chili et du Brésil — et chefs d’État — Evo Morales Ayma en Bolivie, Rafael Correa en Équateur — elle porte la durée de la rétention administrative à dix-huit mois, autorise linternement et le retour forcé des mineurs isolés en violation de la Convention internationale des droits de lenfant du 20 novembre 1989 pourtant ratifiée par 192 États dont la France. De plus, les expulsés pourront être interdits de séjour en Europe pendant une durée de cinq ans. Banalisation, extension et triomphe de la double peine qui devient, par la grâce des institutions de lUnion européenne, une mesure communautaire désormais. Partout dans le Vieux continent, ces dispositions légitiment un prurit législatif incessant qui restreint toujours plus les droits des étrangers non communautaires.

 

De même en France, où pour la cinquième fois en sept ans, les autorités sapprêtent à modifier la législation afin dallonger la durée de la rétention qui va passer de 32 à 45 jours et de créer, comme Éric Besson la déclaré au Figaro, «une zone dattente temporaire pour éviter que des situations comme celle de larrivée de Kurdes à Bonifacio ne se reproduisent». Terrible cercle vicieux où les États membres de lUnion font pression sur les institutions communautaires pour quelles adoptent des mesures sans cesse plus dures à lencontre des allochtones pour justifier ensuite leur propre politique xénophobe et nationale. En ces matières, lactuel ministre des Expulsions, comme son prédécesseur dailleurs, est un orfèvre. Pour conclure, donnons la parole au haut-commissaire aux droits de lhomme des Nations unies, Mme Navanethem Pillay qui déclarait le 2 octobre 2008 : «Il y a fortement à craindre que les États de lUE aient recours à la détention de façon excessive et en fassent la règle au lieu de lexception.» Cest aujourdhui chose faite. 

 

Olivier Le Cour Grandmaison 
Mediapart, 14 juillet.
Enseigne les sciences politiques et la philosophie politique à l’université d’Évry-Val-d’Essonne - Dernier ouvrage paru : De l’indigénat : anatomie d’un monstre juridique, coll. Zones, éd. la Découverte, 2010.  

 


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