Sur la barbouzerie policière dite de "Tarnac"

Publié le par la Rédaction

 

 

Tarnac : lorsque les éclaircissements policiers jettent le trouble

 

Le rapport des policiers, qui devait éclaircir les conditions dans lesquelles s’est déroulée la filature de Julien Coupat dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, ne semble pas permettre de lever les doutes. Au centre, de celui-ci : la question des horaires.

 

Ils étaient censés apporter des clarifications. Mais les voilà qui se contredisent et embrouillent encore la situation. Sommés dexpliquer au juge dinstruction le déroulement de leur filature de Julien Coupat et de sa compagne Yildune Levy dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 (et non 2009 comme indiqué par erreur), au cours de laquelle fut saboté un caténaire SNCF, les policiers ont mis six mois pour rendre… une copie bien confuse. Lénoncé du devoir était pourtant clairement posé par le juge Fragnoli. Dans la commission rogatoire du 5 novembre, adressée aux enquêteurs de la Sous-Direction antiterroriste et de la Police judiciaire, il leur demandait de préciser un certain nombre de points. Parmi ceux-ci la cruciale question des horaires.

 

 

 

On se souvient que la défense du groupe de Tarnac avait frappé un grand coup à lautomne dernier : décortiquant le PV 104 de la procédure, dans lequel les policiers reconstituent la filature quils disent avoir effectuée de Coupat et de sa future femme, Maîtres Levy, Bourdon et Assous avaient émis des doutes quant à la présence des policiers sur place. Ceux-ci prétendaient avoir suivi la voiture du jeune couple depuis le Trilport jusquà Dhuisy, lieu du sabotage, entre 3h50 et 4 heures du matin. Or les deux points sont distants dune trentaine de kilomètres. Impossible de les rallier en si peu de temps (voir notre enquête du 26 novembre dernier : Tarnac, drôle denquête). Une erreur de retranscription, plaident les policiers dans leur réponse au juge que nous avons pu consulter en exclusivité : «erreur matérielle de prise de note (…), erreur aisément compréhensible lorsque lon sait que les chiffres 3 et 5 peuvent facilement être confondus non seulement en raison de leurs dessins approchants mais aussi eu égard aux circonstances nocturnes de cette prise de note». 3h30, ça fait 20 minutes de gagnées pour le trajet.

 

«Trafic téléphonique sur le lieu des dégradations»

 

Pour les enquêteurs, la filature de Dhuisy a bien eu lieu. Ils en détaillent les conditions : une vingtaine de fonctionnaires, répartie sur plusieurs véhicules et motos, suivait cette nuit là la Mercedes du militant dultra-gauche. La preuve ultime de leur présence sur place ? Les relevés des bornes téléphoniques qui ont capté leurs appels jusquà six heures du matin par les antennes de Dhuisy et Coulombs-en-Valois. Les policiers fournissent au juge trois pages de tableau du «trafic téléphonique sur le lieu des dégradations» entre 5h10 et 6 heures du matin. 28 appels ont été passés ou reçus. La plupart des numéros, précisent les enquêteurs «sont biffés» pour des raisons de sécurité. Deux appels apparaissent en revanche avec les numéros des téléphones concernés. Il sagit de ceux passés entre léquipe présente sur le terrain et le commissaire divisionnaire. Un premier coup de téléphone est donné à 5h23, il dure 1 minute et onze secondes. Le second, à 5h25, dure 34 secondes. A priori, rien danormal : Coupat ayant quitté la zone à 4h20, les policiers fouillent un temps les voies ferrées avant de voir passer le premier train (à 5h10), au passage duquel un bruit sec se fait entendre (le crochet endommageait le caténaire, mais les forces de lordre ne le savaient pas encore). Avant de lever le camp, les fonctionnaires avertissent «immédiatement» leur hiérarchie.

 

«Biffés pour des raisons de sécurité»

 

Pourtant ce relevé téléphonique jette une nouvelle confusion sur une enquête qui nen navait pas besoin. Pourquoi ? Parce quà 5h23 et à 5h25 du matin du 8 novembre, les policiers ont quitté la ligne à grande vitesse depuis près de dix minutes. Le lieutenant L. écrit dailleurs : «après voir franchi les deux portails (daccès à la voie ferrée, ndlr) lensemble des effectifs ont quitté la zone immédiatement afin de se rendre sur la commune du Trilport et de procéder à des recherches dans la poubelle où Julien Coupat avait été observé jetant des objets quelques heures auparavant». Il précise quà 5h30, ils sont au Trilport. Le Trilport qui, à laller comme au retour, est à 27 kilomètres de Dhuisy… Nouvelle erreur de transcription ou incohérence du scénario policier ? Il est impossible de téléphoner à 5h25 de Dhuisy et de fouiller une poubelle cinq minutes plus tard au Trilport. Or jusquà six heures du matin, des coups de téléphone ont été émis de la zone de Dhuisy par des numéros «biffés pour des raisons de sécurité» donc appartenant à des policiers…

 

Le mystère sépaissit

 

Qui était à Dhuisy dans la nuit du 7 au 8 novembre ? Julien Coupat seul ? Les policiers et Coupat ? Les policiers seulement ? Personne ? Le mystère sépaissit. «Les contradictions entre le procès-verbal D104 et lensemble des pièces dexécution de la commission rogatoire démontrent que lun de ces deux documents ou les deux sont un ou des faux», concluent les avocats Thierry Levy et Jérémie Assous dans une note adressée hier au juge dinstruction. Ils lui demandent une nouvelle fois de procéder à une reconstitution. La stratégie de la défense est claire : accréditer la thèse dun montage policier visant à faire de Coupat le responsable dun réseau terroriste à même de mettre en difficulté la gauche française et de justifier les mesures ultrasécuritaires dun sarkozysme au menton levé. Le dénouement politique de Tarnac na pas encore eu lieu. Son épilogue judiciaire pourrait venir rapidement : le 23 septembre prochain, la chambre de lInstruction se réunira pour étudier la demande de nullité déposée par les avocats du groupe. Sont en cause des surveillances vidéo effectuées avant louverture de linstruction et donc jugées illégales par les avocats. Si les magistrats se rangent à cette analyse, le dossier Tarnac pourrait être tout bonnement annulé. Une sortie par la petite porte, qui pourrait faire les affaires de la police anti-terroriste. Elle aurait en effet tout à craindre dun procès où ses méthodes seraient mises en cause. Et ses imprécisions tournées en ridicule.

 

Leur presse (Isabelle Monnin,
Nouvel Observateur), 1er septembre 2010.

 


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
<br /> “La vérité de demain se nourrit de l'erreur d'hier.” Fraternité et camaraderie<br /> <br /> <br />
Répondre