"Je sais rien, mais je dirai tout"

Publié le par la Rédaction

Tous les squats n’abritent pas des terroristes

Surveillance. Jean-Pierre Pochon a été longtemps en charge de la surveillance des groupes d’extrême droite, d’extrême gauche, et terroristes en France. Il évoque la difficulté du renseignement sur ces groupuscules.

LA GAZETTE : Peut-il y avoir une résurgence de la lutte armée en France ?


JEAN-PIERRE POCHON : Il y a eu des actes significatifs avec des violences, et l’affaire de Tarnac.

Justement, sur cette dernière histoire, il y a, a priori, une guerre police-gendarmerie. Julien Coupat aurait été sur les lieux, mais avec des policiers qui le surveillaient… Que savez-vous de cette affaire ?

Je ne sais que ce que la presse a écrit. Cette histoire médiatiquement n’a pas été bien présentée dans la mesure où il y a deux positions. D’un côté les autorités disent qu’elles ont des éléments. A contrario, tous les supporters des droits de l’homme, ou de l’ultragauche, disent que c’est un acharnement thérapeutique sur des jeunes voulant vivre paisiblement dans un village. Je ne connais pas forcément bien le fond du dossier. Mais de l’extérieur, je pense que la vérité se situe entre les deux.

Pourquoi ?

Quand vos lisez la prose de ces garçons… je veux bien être tolérant, mais je crois que cela nécessitait que l’on s’intéresse à eux ! D’ailleurs, ils avaient déjà été aperçus dans des lieux de violence extrême. Franchement, cela méritait d’être attentif. Après, la qualification de «terroriste», ce sont les magistrats qui l’ont donnée à ce dossier. Je ne sais pas quels éléments sont dans les mains de la justice. Je tiens à mesurer mes propos : tous ceux qui participent à des manifestations altermondialistes ne sont pas des casseurs. Et même parmi les casseurs, ils ne sont pas tous terroristes. Le travail de renseignement est difficile. Il faut éviter tout amalgame. Il faut relier des individus entre eux pour voir quelles sont leurs véritables intentions. Quelquefois, on se trompe. Se sont-ils fourvoyés, je ne sais pas.

Pourquoi l’extrême gauche refait-elle parler d’elle ?

Parce que nous sommes en crise. Il est vrai aussi que l’élection présidentielle de Sarkozy a radicalisé, de manière très forte, un certain nombre d’individus. Il y a eu des comparaisons très osées pour un régime démocratique. Mais il ne faut pas exagérer ! J’ai combattu dans les années 80 des gens faisant de la guérilla urbaine en Europe. Ils ont commencé par des manifestations anti-nucléaires, etc. Mais un noyau dur a estimé que les effets n’étaient pas concluants, alors ils se sont radicalisés. Dans une démocratie, il est important que s’expriment toutes les opinions. Mais ces dernières ne doivent pas s’exprimer par la violence.

Quelles sont les différences entre les groupes d’extrême gauche des années 80, et ceux qui existent actuellement ?

Il n’y a guère de différence dans la phraséologie. Les squats, par exemple, sont des lieux de macération pour un certain nombre d’individus, qui décident de vivre en marge de la société, un peu comme les hippies d’autrefois. Puis il y a ceux, qui au fil de temps, s’enfermant dans une idéologie, vont se radicaliser. Ce sont des lieux qui traversent le temps. Les squats ont toujours été des endroits particuliers. Ils nécessitent l’attention. Non pas pour interdire de vivre en squat, mais cela ne doit pas se transformer en refuge pour n’importe quoi. Mais tous les squats n’abritent pas des terroristes.


Quelle est la meilleure méthode pour endiguer ces phénomènes de violence ?

Si je le savais, ça serait super. Il faut aller le plus loin possible en matière de renseignement, afin de récolter un maximum de preuves. À partir de là, il faut frapper. Il faut faire une action judiciaire. Quand nous avons voulu frapper les premiers éléments du GIA (ndlr : Groupe d’intervention armée ; terroristes algériens) sur le sol français, nous avons travaillé pendant plusieurs mois. Nous avons accumulé un maximum de renseignements. Quand c’était susceptible d’être exploité, nous nous sommes rapprochés de la police judicaire qui a pu prévenir la justice. À partir de là, nous avons travaillé de concert, et c’est cela qui a permis les arrestations.

Mais alors que s’est-il passé dans les années 90 quand Khaled Kelkal, et ses amis, ont fait sauter le métro parisien ?

C’est à partir de ces années-là, que nous nous sommes rendu compte que nous sommes vulnérables. Mais comment se fait-il que les attentats de 2001 ont eu lieu ? Nos sociétés sont fondamentalement ouvertes et technologiques. La mouvance islamique a parfaitement utilisé les failles de nos sociétés. Mais jusqu’à présent, nous avons été assez bons en la matière. On ne peut pas tout éviter. Sinon, il faudrait fliquer tout le monde, et ce n’est pas le but. D’ailleurs, ça serait impossible.

Pour être bien renseigné sur un milieu, il faut en être proche. Est-ce que cela passe forcément par de l’infiltration ou des indics ?

Cela passe par toute la panoplie des renseignements, mais surtout par le facteur humain. Cela s’opère par de l’infiltration quand on peut. L’infiltration qui consistait à mettre un policier dans un milieu n’est plus valable aujourd’hui. Les risques d’entraînement et de corruption sont trop importants. Il est capital d’avoir une source humaine bien placée, soit qu’on recrute, soit qu’on retourne. Cela permet d’avoir des éclairages sur la mouvance, sur le groupe… j’ai écrit un livre (Stores rouges, Éd. Équateur) relatant mes aventures avec Action directe. J’y raconte les méthodes que nous avons employées à l’époque.

Propos recueillis par Jérémie Demay
Leur presse (La Gazette de Côte-d’Or), 10 décembre 2009.
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