Dans le monde, une classe en lutte - Juillet 2010

Publié le par la Rédaction

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LA LUTTE RADICALE DES MIGRANTS DE L’ASIE

 

Depuis trente ou qua­rante ans, le capi­tal, pour faire face à la baisse du taux de profit, puise dans l’énorme rés­ervoir de force de tra­vail des pay­sans (plus de la moitié des deux tiers de la population mon­diale) chassés des cam­pa­gnes par la moder­ni­sa­tion des tech­ni­ques agri­co­les et la compé­tition mon­diale. L’Est et le Sud-Est asia­ti­ques sont ainsi deve­nus les ate­liers du monde avec des concen­tra­tions d’exploités inconnues jusqu’alors et des condi­tions d’une exploi­ta­tion du tra­vail dignes des tout débuts du capi­ta­lisme, bien qu’œuvrant avec des tech­ni­ques moder­nes pour fabri­quer les mar­chan­di­ses les plus élaborées déversées sur les mar­chés mon­diaux. La crise éco­no­mique, qui est une des conséqu­ences des déséq­ui­libres rés­ultant de l’évo­lution de cette nou­velle orga­ni­sa­tion du marché capi­ta­liste, a frappé d’autant plus dure­ment ces tra­vailleurs surex­ploités que leur migra­tion réc­ente de la cam­pa­gne vers les villes s’est faite dans la pré­carité et l’insé­curité les plus tota­les. On ne peut qu’être frappé par la vio­lence des luttes qui se sont déroulées réc­emment et sur les­quel­les les capi­taux, à la recher­che des plus bas coûts de production, se sont jetés depuis des déc­ennies et qu’ils ten­tent de pres­su­rer encore davan­tage pour main­te­nir leur pro­fi­ta­bi­lité. Nous ne pou­vons dans ces quel­ques pages que donner un aperçu des luttes les plus réc­entes et seu­le­ment de celles qui par­vien­nent jusqu’à nous. Les médias, et à leur remor­que une bonne partie de l’ultra gauche, insis­tent beau­coup sur ce qui se passe en Chine sans considérer le fait que ce n’est pas seu­le­ment la Chine qui est le champ d’acti­vités des prédateurs capi­ta­lis­tes, mais aussi tous les pays en dével­op­pement qui peu­vent garan­tir les plus bas coûts d’exploi­ta­tion de la force de tra­vail, et qu’entre les sous-trai­tants négriers de ces pays, une féroce compé­tition dép­lace les acti­vités indus­triel­les selon les néc­essités du profit et selon la dimen­sion de la lutte de classe qui contraint à élever ces coûts. 

 

Thaïlande (voir pré­cédent bul­le­tin) — Petits sol­dats de l’oppo­si­tion poli­ti­que d’une classe moyenne mon­tante, plus de 100'000 pay­sans pau­vres, rés­ervoirs à migrants et ouvriers passés réc­emment de la terre à l’usine, occu­pent le centre finan­cier et com­mer­cial de la capi­tale Bangkok, s’y ins­tal­lent pen­dant des semai­nes, s’y bar­ri­ca­dent, assiégés par l’armée, paci­fi­que­ment d’abord (ne réc­lamant que des élections et le res­pect des élites), puis se radi­ca­li­sant. Ils sont encore entre 5000 et 10'000 le 20 mai lors d’un der­nier assaut. Ils fini­ront par se rendre ou se disper­ser, lais­sant 85 morts et plu­sieurs mil­liers de blessés, non sans avoir incen­dié des bâtiments publics, tout un centre com­mer­cial et des ban­ques, ciblant sél­ec­ti­vement les pro­priétés de l’aristo­cra­tie domi­nante sou­te­nue par l’armée.

 

Malaisie 6/06 2010 — 200 immi­grants illégaux vietna­miens et bir­mans par­qués dans le camp de dét­ention d’Ajil près de Kuala Berang se révoltent et incen­dient les bâtiments admi­nis­tra­tifs. Par crainte d’une exten­sion de l’extérieur, l’armée isole le camp. Près de 5 000 illégaux sont ainsi par­qués en Malaisie. En 2009, 700 Birmans s’étaient révoltés dans un autre camp.

 

Birmanie 7/02/2010 — 2000 ouvrières en grève occu­pent deux usines (chaus­su­res et confec­tion) pour les salai­res et la réd­uction du temps de tra­vail dans la ban­lieue de la capi­tale Rangoon. Elles sont encer­clées par l’armée (le sec­teur compte 130 usines de confec­tion exploi­tant 45'000 ouvrières essen­tiel­le­ment).

 

Vietnam — Bien que toutes les grèves soient illé­gales depuis jan­vier 2010, 82 d’entre elles ont impli­qué entre 15'000 et 30'000 tra­vailleurs, uni­que­ment pour les salai­res. Le 14 mars, 3000 ouvriers d’une usine d’ameu­ble­ment, 4000 de quatre com­pa­gnies de firmes étrangères à Dong Nai sont en grève pour les salai­res ; arrêt de tra­vail dans une com­pa­gnie taï­wan­aise du tex­tile. Une com­pa­gnie japo­naise de pro­duits chi­mi­ques évite le conflit en met­tant en vacan­ces forcées tous ses tra­vailleurs menaçant de faire grève pour «dis­cu­ter et régler la situa­tion». Le 5 mai dans une firme élect­ro­nique japo­naise, 800 tra­vailleurs se ras­sem­blent devant l’usine, tou­jours pour les salai­res. Le 28 mai, 100 tra­vailleurs d’une firme de Hong Kong (tex­tile) ces­sent le tra­vail pour les salai­res, les congés payés et le paie­ment des heures sup­plém­ent­aires. Le 28 juin, des pay­sans de la pro­vince de Thanh Hoa protes­tent contre les cou­pu­res d’élect­ricité et contrai­gnent les diri­geants locaux du trust d’État EVN à rester assis en plein soleil (cela semble une revan­che contre ce sup­plice infligé réc­emment à des ouvriers d’une usine qui avaient osé se mettre en grève).

 

Bangladesh — On a sou­vent évoqué les rév­oltes réc­urr­entes prin­ci­pa­le­ment dans les usines tex­ti­les — dans la confec­tion, 4500 usines exploi­tent 4 mil­lions de tra­vailleurs, prin­ci­pa­le­ment des femmes voire des enfants, avec un salaire men­suel moyen de 19 euros, les reven­di­ca­tions oscil­lant entre 58 et 72 euros men­suels et les patrons en offrant 22. Ces rév­oltes ont connu de dures répr­essions pro­vo­quant des rép­onses radi­ca­les : incen­dies d’usines et de matériels divers, des­truc­tions de machi­nes et de mar­chan­di­ses, bar­ra­ges rou­tiers et batailles géné­ralisées avec les flics et les sec­tions spéc­iales anti-émeutes (outre la police et l’armée, une sec­tion spéc­iale mili­taire, le Rapid Action Battalion, est chargée de la police des émeutes, de plus une milice spéc­iale armée, Ansars, force d’appui de la police formée de volon­tai­res, dis­pose de bases à proxi­mité des usines). Mais depuis le début de l’année, l’aggra­va­tion des condi­tions de vie et la pres­sion patro­nale sur les condi­tions d’exploitation pour faire face à la crise ont entraîné une explo­sion sans pré­cédent de grèves et d’affrontements. Le 20 avril, plu­sieurs mil­liers de tra­vailleurs sont en grève à Narayanganj, bloquent les routes pour les salai­res et pour une prime de vacan­ces ; des usines sont van­da­lisées et incen­diées, 40 blessés. Le 7 mai, les 150'000 tra­vailleurs de la navi­ga­tion ces­sent le tra­vail, c’est la 4e grève en dix-sept mois mais cette fois, c’est une grève illi­mitée (dans le sud du Bangladesh, les deltas du Gange et du Brahmapoutre for­ment un réseau dense de canaux et de rivières où la cir­cu­la­tion flu­viale est vitale, notam­ment pour l’ache­mi­ne­ment des mar­chan­di­ses vers les ports). Le 12 mai, la grève, lancée par un syn­di­cat, est déclarée illé­gale. Elle est marquée par des affron­te­ments, des mena­ces phy­si­ques, du chan­tage (retrait du permis de travail), et par le sabo­tage d’un pét­rolier. La grève cesse, alors que la pénurie de car­bu­rant s’installe, par un accord prévoyant entre 50 et 100% d’aug­men­ta­tion, la libé­ration de tous les empri­sonnés et le retrait de toutes les pour­sui­tes. Le 13 juin à Ashulia dans la ban­lieue de Dhaka, 8500 tra­vailleurs se met­tent en grève suite au refus d’une aug­men­ta­tion par le patron d’Envoy Group, qui est aussi le pré­sident du syn­di­cat natio­nal patro­nal du tex­tile. Suite à l’assaut du barrage rou­tier par les flics, la guér­illa s’ins­talle dans tout le sec­teur : les patrons fer­ment les usines, ce qui accroît le nombre des mani­fes­tants. Le mou­ve­ment s’étend aux bidon­vil­les voi­sins et devient une reven­di­ca­tion géné­rale contre les condi­tions de vie, les bagar­res com­mencées le diman­che s’étendent au lundi. Plus de 40 blessés. Le mardi 15 juin, dans le centre de Dhaka cette fois, à Tejgaon, l’usine Shomaker Sweaters Ltd fermée depuis le 10 juin ne rouvre pas comme prévu. Nouveaux affron­te­ments. Le 19 juin à Savar (ban­lieue de Dhaka), 7000 tra­vailleurs du Nasa Group mani­fes­tent à l’intérieur de l’usine, reven­di­quant un salaire men­suel de 58 euros. Comme ils blo­quent les axes rou­tiers pro­ches, ils sont rejoints par les ouvriers de 16 autres usines voi­si­nes et ils sont des dizai­nes de mil­liers à se battre avec les flics ; 35 usines sont pillées et van­da­lisées et 75 autres contrain­tes de fermer. Le lundi 21 juin à Ashulia, tou­jours dans la banlieue de Dhaka, ils sont 50'000 à se battre avec les flics et les forces spéc­iales RAB ; 300 usines sont fermées, 85 van­da­lisées, cer­tai­nes incen­diées, de même que les camions de livrai­son. Le len­de­main, le minis­tre du Tra­vail annonce que les salai­res seront révisés … dans les trois mois. Des pour­sui­tes sont engagées nommément contre 180 tra­vailleurs, col­lec­ti­ve­ment contre 60'000. Le 27 juin, les syn­di­cats liés au parti d’oppo­si­tion le BNP orga­ni­sent une journée de grève nationale qui para­lyse le pays : plus de 1000 arres­ta­tions, cer­tai­nes prév­en­tives, et plus de 500 blessés. Mais cela ne calme en aucune façon la reven­di­ca­tion ouvrière. Le 27 juin, tou­jours à Ashulia, les 1800 tra­vailleurs sont prêts à repren­dre le tra­vail suite à un accord. Apprenant que 3 d’entre eux sont licen­ciés, ils repren­nent la grève imméd­ia­tement, rava­gent l’usine, moles­tent les diri­geants et blo­quent l’auto­route. Police et Ansars les atta­quent ; ces der­niers sont pris à partie par des tra­vailleurs qui ten­tent de leur dérober leurs armes et ils tirent pour se dégager : deux blessés dont un mor­tel­le­ment. De nou­veau, toutes les usines du sec­teur explo­sent, les ouvriers occu­pent et van­da­li­sent les usines, atta­quent le camp des Ansars qui de nou­veau tirent à balles : 40 blessés. C’est fina­le­ment l’armée (RAB) qui met fin à l’émeute. Le 29 juin, des mil­liers d’ouvriers ten­tent de gagner le zone éco­no­mique spéc­iale de Dhaka pour pro­tes­ter contre la mort de 2 d’entre eux et se bat­tent avec les flics : 100 blessés. Dispersés ils se regrou­pent en peti­tes bandes qui incen­dient plu­sieurs usines et maga­sins où 8000 machi­nes sont détr­uites, et retournent sur les axes rou­tiers pour blo­quer les voi­tu­res de pom­piers. Les mêmes mini-émeutes conti­nuent en juillet pour les mêmes pro­blèmes. Le 17 juillet, c’est le 3e jour de grève de 12'000 ouvriers aux ate­liers de tis­sage de Narsingli pour les salai­res et la sécurité de l’emploi, avec le tradi­tion­nel blo­cage rou­tier et le non moins tra­di­tion­nel affron­te­ment avec les flics et autres séides du capi­tal. Un patron déc­lare que c’est une «grève irra­tion­nelle». Le 20 juillet à Gazipur, les tra­vailleurs de l’usine Advance Sweater réc­lamant aug­men­ta­tion et paie­ment d’arriérés saccagent l’usine, moles­tent les diri­geants et vont de nou­veau blo­quer l’auto­route, ils seront reçus par les flics : 10 blessés. Le 23 juillet, à Nishchintapur près d’Ashulia (Dhaka), les trois usines du Nasa Group sont fermées suite à l’atta­que par la police et les sbires du patro­nat des tra­vailleurs qui mani­fes­tent et blo­quent les axes rou­tiers : 25 blessés dont 4 flics, etc.

 

Chine — Bien que les médias aient donné beau­coup de publi­cité aux sui­ci­des de l’usine Foxconn de Shenzhen et aux arrêts de tra­vail chez Honda et ses sous-trai­tants, il est dif­fi­cile de recen­ser toutes les grèves visant tant les salai­res que les condi­tions de tra­vail, toutes grèves sau­va­ges mais qui condui­sent les diri­geants à envi­sa­ger autre chose que le syn­di­cat unique Acftu, cour­roie de trans­mis­sion du pou­voir d’État comme intermédi­aire entre la force de tra­vail et les diri­geants de l’entre­prise. Un autre aspect dans la méd­ia­ti­sation de ces conflits permet à cer­tains d’y voir une stig­ma­ti­sa­tion des entre­pri­ses étrangères (plus de 50% de l’appa­reil indus­triel chi­nois) s’inscri­vant dans les affron­te­ments éco­no­miques et finan­ciers à l’éch­elle mon­diale. Quoi qu’il en soit, les tra­vailleurs de ces entre­pri­ses ont obtenu des aug­men­ta­tions de salai­res de 20% et plus. Mais la répr­ession n’est jamais loin dans ces grèves sau­va­ges, notam­ment si elles ne cadrent pas avec la pro­pa­gande offi­cielle ou si elles ces­sent d’être loca­lisées. Le 14 mai 2010, 5000 travailleurs sont en grève dans une fila­ture et tis­sage de coton dans le Henan. C’est une entreprise d’État qui a été pri­va­tisée et le nou­veau pro­priét­aire veut se déb­arr­asser des différents avan­ta­ges du statut antérieur (congés payés, retraite, salaire de base…). Des piquets blo­quent l’entrée de l’usine, Le 1er juin, 3000 flics inves­tis­sent l’usine : 20 arres­ta­tions et des pour­sui­tes judi­ciai­res pour avoir «per­turbé la pro­duc­tion». Début juin, à Kunshan près de Shanghai, 2000 ouvriers de l’usine taï­wan­aise KOK (valves et joints) sont en grève pen­dant cinq jours ; atta­qués le 5 juin par la police anti-émeutes, blessés et arres­ta­tions. Il y a eu des aug­men­ta­tions de salaires mais lorsqu’on a pro­posé de désigner des délégués pour dis­cu­ter des reven­di­ca­tions, personne ne s’est présenté par peur de représailles. Le 7 juin à Huizhou dans le Guangdong, 2000 ouvriers d’une firme coré­enne sont en grève. Pendant tout le mois de juin, ce sont les sous-traitants de Toyota et d’Honda qui sont tou­chés par des grèves pour les salai­res qui contrai­gnent les usines de mon­tage de Toyota à Tianjin et d’Honda à Canton et Wuhan. Le fait que d’impor­tan­tes aug­men­ta­tions de salai­res aient résolu ces conflits n’a pas du tout exclu les répr­essions et arres­ta­tions habi­tuel­les en Chine, mais pour tenter d’endi­guer cette mul­ti­pli­ca­tion des conflits, cer­tai­nes pro­vin­ces décident d’une aug­men­ta­tion du salaire mini­mum de 20%. Le 1/07, 3300 ouvriers de l’usine de com­po­sants élect­riques de Tianjin (le Japonais Mitsumi Electric), en grève en rép­onse à une pro­messe d’aug­men­ta­tion des salai­res de 20% pas appli­quée, reprennent le tra­vail après un nouvel accord. Le 22/07, la grève de 100 tra­vailleurs (la moitié de l’effec­tif) de l’usine Astumitec Auto Parts (boîtes de vitesse), sous-trai­tante entre autres d’Honda à Foshan près de Canton, depuis le 12/07 contre une réf­orme du système des équipes, abou­tit en fait à une réd­uction des salai­res (à la suite d’une offen­sive géné­rale dans le sec­teur chi­nois de l’auto­mo­bile pour réd­uire les coûts de pro­duc­tion). Les salai­res moyens sont de 120 euros mensuels dont il faut déd­uire des coti­sa­tions qui les réd­uisent à 100 euros : les ouvriers demandent une aug­men­ta­tion de 50% ; les sanc­tions tom­bent le 13/07 avec la sup­pres­sion des repas, le 14/07 avec la fer­me­ture des dor­toirs et le licen­cie­ment des grév­istes ; mais les ouvriers sont rejoints par 105 employés non-pro­duc­tifs. La direc­tion embau­che 100 tem­po­rai­res de remplace­ment mais la grève sur le tas bloque pra­ti­que­ment l’usine. La police est prés­ente mais n’inter­vient pas. Une autre usine (élect­ro­nique de voi­ture) de la région de Canton, sous-trai­tante d’Honda, est aussi en grève pour une aug­men­ta­tion des salai­res de 40%.

 

Inde — Ici aussi, il y a tout un arrière-plan de grèves loca­lisées et celles qui fran­chis­sent la barrière des médias sont celles qui durent, notam­ment dans l’auto­mo­bile. Celle de Hyundai s’est prolongée pres­que six mois. Elle concerne l’usine de mon­tage de Sriperumbudu sise à 40 kilomètres de la capi­tale Chennai de l’État de Tamil Nadu, dans l’extrême sud de l’Inde. Sur plus de 7000 tra­vailleurs, 1600 ont le statut de tra­vailleurs per­ma­nents, les autres sont des préc­aires aux divers sta­tuts et sur­tout aux salai­res très bas (entre 60 et 90 euros men­suels). Suite à une grève en 2009 pour la reconnais­sance du syn­di­cat, 67 ouvriers ont été licen­ciés. La grève qui com­mence dans la nuit du 6 juin est présentée comme visant à la réint­égration des licen­ciés. Mais en fait, elle part d’une réaction suite à des sanc­tions prises contre 4 ouvriers qui n’avaient pas été assez assi­dus à des séances de for­ma­tion ; imméd­ia­tement, 300 ouvriers de l’équipe de nuit com­men­cent une grève sur le tas, sou­te­nus par l’ensem­ble des tra­vailleurs. Mais au matin, les portes de l’usine sont fermées et les autres équipes mises en congé. Après deux jours d’occupa­tion, la police entre dans l’usine, arrête et empri­sonne 282 ouvriers. Le syn­di­cat conclut alors un accord sur le pré­cédent litige de la représ­en­tation syn­di­cale et 35 des 67 licen­ciés sont réintégrés. La grève qui avait été lancée après le lock-out est sus­pen­due ; les 282 entôlés sont libérés. Pour en savoir beau­coup plus sur les luttes et l’exploi­ta­tion en Inde, allez sur le site Gurgaon­ Wor­kers­ News.

 

Pakistan 5/072010 — Les chan­tiers de démo­lition de navi­res de Gadani emploient une foule de migrants dans d’incroya­bles condi­tions, en plus des pol­lu­tions de toutes sortes, payés de 2 à 2,50 euros pour chaque journée de 12 à 14 heures. Plus de 10'000 d’entre eux mani­fes­tent pour une aug­men­ta­tion de 100% et pour des avan­ta­ges sociaux mini­maux. Avant même qu’ils puis­sent attein­dre un quel­conque bâtiment offi­ciel, ils sont cueillis sans ména­gement par la police. Nombre de blessés inconnu.

 

Indonésie 22/04/2010 — Les trois chan­tiers navals (d’une société de Dubaï) de Batam, une des îles Riau à 20 kilomètres de Singapour, exploi­tent 16'000 tra­vailleurs dont la majo­rité par le canal de 30 sous-trai­tants pour des salai­res d’envi­ron 80 euros men­suels. La plu­part d’entre eux sont des migrants, essen­tiel­le­ment indonésiens et indiens. En juillet 2008, les chan­tiers ont connu une grève pour les salai­res et les condi­tions de tra­vail. Il semble que les dis­pa­rités de salai­res entre les tra­vailleurs locaux et les étr­angers (prin­ci­pa­le­ment indiens et qui sem­blent occu­per des positions hiér­arc­hiques) ali­men­tent des diver­sions racis­tes d’un conflit de classe. Ce sont les propos inju­rieux d’un contre­maître indien envers un tra­vailleur indonésien qui cris­tal­li­sent cette hos­ti­lité et qui décl­enchent une émeute des quel­que 9000 Indonésiens qui, non seu­le­ment font la chasse à l’Indien mais incen­dient plus de 20 voi­tu­res et 3 immeu­bles. Plus de 400 flics ramènent le calme mais les tra­vailleurs indiens doi­vent être évacués.

 

Les différentes formes d’irruption de la violence de classe dans le monde

 

Manifestations socia­les sous cou­vert poli­ti­que, grèves et émeutes conséqu­entes

 

On ne peut énumérer toutes les grèves de 24 heures ou un peu plus dans la plu­part des pays d’Europe — bien contrôlées même si elles connais­sent par­fois quel­que déb­or­dement — contre les plans d’austérité qui font payer aux tra­vailleurs les mesu­res sup­posées aider le capi­tal à surmonter une crise due à sa nature même de régime d’exploi­ta­tion du tra­vail. Renouvelées périodiq­uement, grèves et mani­fes­ta­tions n’ont d’autre effet que de lasser les par­ti­ci­pants, d’épuiser une com­ba­ti­vité là où elle existe ponc­tuel­le­ment et fina­le­ment d’aider — objec­ti­ve­ment ou pas — les pou­voirs éco­no­miques et poli­ti­ques à rogner chaque jour un peu plus la part de plus-value attri­buée aux tra­vailleurs pour leur repro­duc­tion comme force de tra­vail exploi­ta­ble. 

 

États-Unis — En Californie, à Santa Cruz au sud de San Francisco, la mani­fes­ta­tion tra­di­tion­nelle du 1er mai se trans­forme le soir en une mini-émeute avec plus de 300 jeunes qui bri­sent les vitri­nes après avoir été appelés à mani­fes­ter par un tract ano­nyme : «Récupérez ce jour. Frappez avec nous pour une folle nuit de des­truc­tion.» Les 8 flics en ser­vice sont sub­mergés et doi­vent faire appel à leurs collègues des villes voi­si­nes qui ne trou­vent plus per­sonne lorsqu’ils arri­vent sur les lieux. On peut rap­pro­cher cette émeute de celles qui vont secouer Toronto (Canada) en marge du G20 où, malgré le déplo­iement de 7000 flics et 6 kilomètres de bar­belés de pro­tec­tion, les mani­fes­tants réuss­issent à s’affir­mer, d’où plus de 600 arres­ta­tions. Aussi, émeutes de jeunes à Montréal Nord qui se ter­mi­nent par 60 arres­ta­tions. Le 18 juin, à Los Angeles après un match de basket, les jeunes mani­fes­tent, brûlent les voi­tu­res et se col­ti­nent avec les flics : 3 blessés, 12 arres­ta­tions.

 

Bolivie 6/05/2010 — Grèves et mani­fes­ta­tions contre le gou­ver­ne­ment Moralès. Grève de 24 heures des ensei­gnants, hos­pi­ta­liers, femmes de flics en grève de la faim, ouvriers, orga­nisée par des dis­si­dents du syn­di­cat COB. Essentiellement pour les salai­res.

 

La grève et rien d’autre, sou­vent bien contrôlée

 

France mai 2010 — La mul­ti­na­tio­nale Unilever a 4 sites indus­triels en France dont Fralib (condition­ne­ment de thé implanté à Gémenos près de Marseille, Bouches-du-Rhône). Depuis 2006, suite à 46 sup­pres­sions d’emploi, le sous-effec­tif entraîne des arrêts de tra­vail que la direc­tion com­pense par l’emploi d’inté­rim­aires. En mars 2010, la plu­part des 185 tra­vailleurs enta­ment des actions qui finis­sent par payer après deux mois et des ten­ta­ti­ves d’inti­mi­da­tion : prime de 1200 euros, aug­men­ta­tion de 16 euros et différents avan­ta­ges.

 

8/07/2010 — Chez Teleperformance (leader mon­dial des cen­tres d’appel, voir pré­cédents bul­le­tins), nou­veaux débra­yages contre un plan qui prévoit la sup­pres­sion de 830 postes (13 % de l’effec­tif total).

 

14/07/2010 — Usine Faurecia (filiale de PSA à Saint-Nicolas-de-Redon, Loire-Atlantique) : la grève com­mencée le 18 juin se ter­mine par un accord approuvé par les 188 tra­vailleurs (ils étaient 300 en 2008) : l’effectif actuel sera main­tenu jusqu’à la fer­me­ture en 2011, une prime sera payée et les journées de grève indem­nisées. Les pour­sui­tes engagées contre 34 tra­vailleurs pour le blo­cage de l’usine sont aban­données.

 

 

17/06/2010 — Reprise du tra­vail chez Gifa (cons­truc­tion d’ambu­lan­ces) à Argentan (0rne), après 4 jours de grève avec blo­cage, les 43 tra­vailleurs obtien­nent 2,43 % d’aug­men­ta­tion.

 

17/07/2010 — Après 24 jours de grève, les pos­tiers repren­nent le tra­vail après avoir obtenu le gel d’un plan de réor­ga­ni­sation qui sup­pri­mait 6 emplois.

 

Juin 2010 — Dans toute la France, mou­ve­ments ponc­tuels de grève dans les cli­ni­ques privées pour les salai­res. À Clermont-Ferrand, au siège de l’Agence rég­io­nale de santé d’Auvergne où se dér­oulent des pour­par­lers, la salle de réunion est enva­hie et les diri­geants séqu­estrés plu­sieurs heures.

 

Australie juin 2010 — Nouvelles Galles du Sud, mine de Tahmoor du trust minier Xstrata : 23O tra­vailleurs en grève totale pour les salai­res et la sécurité d’emploi, suite à cinq mois de grèves tour­nan­tes qui ont para­lysé la mine.

 

La grève sau­vage, les grèves de soli­da­rité et l’exten­sion de la lutte

 

L’occu­pa­tion de l’espace public, des usines et de tous bâtiments - France 13/07/2010 — Proma en liqui­da­tion judi­ciaire (sous-trai­tant de l’auto­mo­bile, siège à Gien, Loiret) 83 tra­vailleurs occu­pent le site menacé de fer­me­ture après avoir rejeté une pro­po­si­tion d’indem­nité de départ de 20'000 euros contre une demande de 32'000 euros. Le direc­teur avait été séqu­estré le 26/04/2010. L’occu­pa­tion cesse le 24 juillet après accord pour le paie­ment d’une indem­nité sup­plém­ent­aire de 35'000 euros en cas de licen­cie­ment avant le 31/12/2010, et de 32'000 en cas de plan social.

 

30/06/2010 — ST Ericsson (élect­ro­nique) à Colombelle (près de Caen, Calvados, voir pré­cédents bul­le­tins). Fermeture défi­ni­tive de l’usine, 144 licen­cie­ments avec des indem­nités com­pri­ses entre 50'000 et 150'000 euros et des congés de reclas­se­ment de vingt mois.

 

14/07/2010 — La grève de 400 tra­vailleurs avec occu­pa­tion de Thomson Technicolor à Rennes (Grass Valley) depuis le 21 juin est sus­pen­due pen­dant les vacan­ces pour repren­dre en septembre. La direc­tion veut sup­pri­mer 625 postes dont 327 en France (autres usines à Brest et à Conflons) et 182 à Rennes. Ils jugent insuf­fi­san­tes les pro­po­si­tions d’indem­ni­sa­tion supplémentaire de 20'000 euros pour les moins de cinq ans d’acti­vité, et de 45'000 euros pour les plus de vingt ans d’ancien­neté.

 

11/07/2010 — 20 tra­vailleurs de MK2 Bibliothèque à Paris occu­pent les trot­toirs devant le cinéma pour leurs salai­res et leurs condi­tions de tra­vail. Les diri­geants séqu­estrés, inju­riés, mal­menés, exécutés.

 

18/06/2010 — Bobcat à Pontchâteau (Loire-Atlantique, cha­riots téles­co­piques) ferme pour une délo­ca­li­sation en Tchéquie en licen­ciant 130 tra­vailleurs sur 207. 5 diri­geants séqu­estrés pour une reven­di­ca­tion d’une indem­nité de licen­cie­ment de 62'000 euros plus 3200 euros par année de prés­ence. Libérés en vue de pour­par­lers sur le mon­tant.

 

10/07/2010 — Du ven­dredi 13 heures au samedi matin, 2 diri­geants de la Société nou­velle de pani­fi­ca­tion à Confouleux (Tarn) sont séqu­estrés : l’usine doit fermer avec 80 licen­cie­ments (ainsi qu’une autre usine dans les Deux-Sèvres). Déjà, les 23 et 24 avril, le direc­teur avait été «retenu» pen­dant 36 heures. Revendication de 80'000 euros de prime de licen­cie­ment plus trois mois de salaire par année d’ancien­neté. Le 17/07, les pour­par­lers s’éter­nisent bien que les tra­vailleurs aient levé le blo­cage 4 jours durant d’un dépôt de la société au Passage d’Agen, dans le Lot-et-Garonne.

 

28/06/2010 — Les pos­tiers des Hauts-de-Seine (92, ouest de Paris) sont en grève depuis 58 jours ; 16 d’entre eux sont pour­sui­vis pour séqu­est­ration lors de l’occu­pa­tion de la direc­tion rég­io­nale des postes mais leur procès a été ren­voyé en juin 2011.

 

13/07/2010 — Colesco (Ploudaniel, Finistère), entre­prise géné­rale du bâtiment mise en redres­se­ment judi­ciaire depuis le 26 mai, veut licen­cier 39 tra­vailleurs sur 117. Le patron est séqu­estré puis libéré avec la reprise des pour­par­lers pour fixer les indem­nités de licen­cie­ment.

 

1/07/2010 — Brive (Corrèze), groupe Jacob Delafon (partie du trust Kohler, céra­mique sani­taire, 27 000 tra­vailleurs dans 46 sites dont 24 aux USA). L’usine doit fermer fin juillet pour délocalisation au Maroc et en Algérie avec le licen­cie­ment de 139 ouvriers et de 20 inté­rim­aires. Séquestration de 2 diri­geants pen­dant une journée et blo­cage des stocks. La direc­tion cède pour des indem­nités de licen­cie­ment autour de 30'000 euros.

 

Quand on n’a pas d’autres recours

 

Couper les appro­vi­sion­ne­ments - Mali 28/05/2010 — Après une grève de 48 heures sans effet, le Syndicat natio­nal des constructions civi­les, des mines et de l’énergie (Synacome) lance une grève de 72 heures et coupe l’élect­ricité et l’eau de la capi­tale Bamako pour des augmentations de salai­res et contre des restruc­tu­ra­tions. 

 

La récu­pération — La récu­pération, ce n’est pas seu­le­ment se servir dans les super­mar­chés indi­vi­duel­le­ment ou col­lec­ti­ve­ment. Aux États-Unis, le squat prend des formes inu­sitées ici : les menacés d’éviction parce qu’ils ne peu­vent pas payer les rem­bour­se­ments de prêts pro­fi­tent notam­ment du fait que les tri­bu­naux sont sub­mergés de deman­des de récu­pération et d’éviction par les prêteurs pour rester en place sans bourse délier. Il y a aussi ceux qui, jugeant que la charge des paie­ments est trop élevée à cause de la chute de leurs reve­nus, ces­sent de payer et atten­dent, ce qui leur permet d’accroître leur niveau de vie. Il y a aussi ces grou­pes locaux qui cher­chent les mai­sons aban­données et les expulsés pour leur pro­po­ser ces loge­ments, après avoir effec­tué les répa­rations néc­ess­aires. Il y a ceux qui squat­tent des ter­rains pour y ins­tal­ler des vil­la­ges de tentes pour les SDF. Il y a aussi les «rés­istants» d’orga­ni­sa­tions loca­les qui aident de toutes les manières pos­si­bles, depuis les déf­enses juri­di­ques jusqu’à la rés­ist­ance pas­sive, ceux qui sont en ins­tance d’expul­sion. La plu­part de ces mou­ve­ments défin­issent leur action comme suit : «Ce n’est pas contre la loi, c’est au dessus de la loi. Être logé, c’est un droit.» 

 

La rév­olte des ban­lieues

 

Une autre solu­tion, tout faire sauter, incen­dier - La Chine est deve­nue le bas­tion de l’imprime­rie mon­diale avec des entre­pri­ses qui regrou­pent jusqu’à 600 tra­vailleurs et qui peu­vent imprimer avec la qua­lité requise 5000 exem­plai­res d’un livre délivrés en Europe 3 à 5 semai­nes plus tard. Cela expli­que une bonne partie du marasme des impri­me­ries franç­aises qui ont connu depuis le début de l’année une série de grèves plus ou moins radi­ca­les. Quelques exem­ples. En février der­nier, les 150 tra­vailleurs de l’impri­me­rie Hélio à Corbeil (Essonne) séqu­estrent 2 diri­geants et un consul­tant pour pro­tes­ter contre le licen­cie­ment de 55 d’entre eux. Ils sont libérés contre la reprise des négoc­iations pour fixer les indem­nités et le main­tien de la charge de tra­vail. Le 1/04/2010, les tra­vailleurs du groupe Paragon à Cosne-sur-Loire (Nièvre) sont en grève contre le blo­cage de leurs salai­res. Depuis le début de l’année, l’impri­me­rie Brodard et Taupin de Coulommiers (Seine-et-Marne, groupe Maury) menace de licen­cier suite à des restruc­tu­ra­tions. En avril, les 217 tra­vailleurs, dont 90 sont concernés par un plan social, avaient menacé de faire sauter des bou­teilles de gaz à l’entrée de l’usine. Le 9 juillet, ils avaient bloqué la cara­vane du Tour de France. Le 15 juillet, ils brûlent devant l’usine 3 tonnes d’encre et les bobi­nes de papier, l’ampleur du sinis­tre conduit la police à faire évacuer le super­mar­ché voisin. Ils n’obtien­nent pour le moment qu’une indem­ni­sa­tion sup­plém­ent­aire de 15'000 euros payée en trois mor­ceaux. Le 20 juillet, les 76 tra­vailleurs de l’impri­me­rie S3G Print Roto Garonne à Estillac (Lot-et-Garonne) sont en grève reconduc­ti­ble pour connaître des infor­ma­tions sur un repre­neur éventuel et sur leur sort. 

 

Les batailles autour de l’immi­gra­tion - 20/06/2010 — 28 sans-papiers qui pen­dant huit mois avaient piqueté jour et nuit le siège de la STN à Aulnay-sous-Bois (ban­lieue nord de Paris) obtien­nent une auto­ri­sa­tion pro­vi­soire de tra­vail, pré­lude à la délivr­ance de papiers.

 

LE FUTUR DU CAPITAL ?

 

L’usine de Foxconn de Shenzen (offi­ciel­le­ment Hon Hai Precision Industry, Co Ltd, une entre­prise taïw­ann­aise com­mer­cia­li­sant ses pro­duits sous la marque Foxconn, le plus impor­tant fabri­cant mon­dial de matériel infor­ma­ti­que — Dell, Apple, Hewlett Packard, Sony, etc.), res­sem­ble à un énorme campus uni­ver­si­taire avec ses blocs d’usine de six étages rép­artis sur un carré de 1,5 km de côté. 400'000 tra­vailleurs s’y croi­sent, y sont exploités avec un style mili­taire de mana­ge­ment pour 4 euros par jour, y man­gent et y dor­ment dans des dor­toirs plus que mina­bles. Dans cette «unité de tra­vail», on trouve aussi 3 hôpitaux, une caserne des pom­piers, un super­mar­ché, des res­tau­rants, 5 pis­ci­nes et la mise à dis­po­si­tion de 400 ordi­na­teurs. Il n’y a pas de parc, pas de cinéma, pas de lieux de dét­ente. Si les salai­res sont légè­rement plus élevés que la moyenne, très basse, de ceux de Shenzhen, les condi­tions de tra­vail, 6 jours sur 7 et aux horai­res exten­si­bles, sont par­ti­cu­liè­rement dras­ti­ques avec une dis­ci­pline de fer : l’entraî­nement des jeunes recrues (la plu­part des migrants vien­nent de la cam­pa­gne, sou­vent avec au mini­mum un diplôme de niveau secondaire) se fait en les contrai­gnant à rester immo­bi­les pro­gres­si­ve­ment 10, puis 20, puis 30 minu­tes. Tout retard à l’embau­che est puni par l’obli­ga­tion de rester debout immo­bile pen­dant toute la durée du retard. Si l’on parle, si l’on baille, si l’on mâche durant le tra­vail, on perd des points ce qui entraîne une réd­uction de salaire ; si l’on prend du retard dans la tâche assi­gnée, on est astreint à pren­dre une pause ou à quit­ter son poste lorsqu’on a rat­trapé son retard. Les sanc­tions ne sont pas seu­le­ment finan­cières mais peu­vent s’accom­pa­gner d’humi­lia­tion : un des jeunes qui se sui­ci­dera avait été muté de la chaîne de mon­tage au net­toyage des toi­let­tes. Ce n’est pas tant le taux des sui­ci­des récents chez Foxconn (inférieur à la moyenne natio­nale chinoise) qui est signi­fi­ca­tif du dés­espoir dans l’iso­le­ment des jeunes exploités, mais la manière dont ils sont accom­plis, spec­ta­cu­lai­re­ment, sur le lieu de tra­vail, sou­vent par défen­est­ration lors des chan­ge­ments d’équipe. Le sui­cide étant considéré léga­lement comme un crime contre l’État, ce sui­cide public est une forme ultime de pro­tes­ta­tion. C’est pour cette raison qu’auto­rités et patro­nat s’en inquiètent et ont laissé méd­ia­tiser cette situa­tion tout en annonçant des «mesures» dont une aug­men­ta­tion des salai­res de 20%, comme si cela devait rés­oudre les conditions prés­entes d’exploi­ta­tion et l’exploi­ta­tion tout court.

 

Crise et sou­plesse du contrat de tra­vail

 

Qui connaît le «CDD d’usage» qui permet dans nombre de pro­fes­sions (hôte­llerie, res­tau­ra­tion, spec­ta­cle, audio­vi­suel, cen­tres de loi­sirs et de vacan­ces…) d’exploi­ter un tra­vailleur avec un CDD spé­ci­fique pou­vant être renou­velé à perpète et rompu à tout moment sans indem­nité ? Un déguisement du CPE de sinis­tre mém­oire réservé aux acti­vités les plus préc­aires. Qui connaît les sub­ti­lités du tra­vail à domi­cile, notam­ment des cor­rec­teurs (TAD) quand, dans une acti­vité largement concur­rencée par les cor­rec­teurs auto­ma­ti­ques, les patrons impo­sent plus que jamais leurs condi­tions, refu­sant le comp­tage des espa­ces (d’où salaire amputé de 20%), déniant le paie­ment d’une prime d’un mois et demi de salaire pour­tant versée aux collègues tra­vaillant dans l’entre­prise («en pied»), ten­tant de licen­cier ceux qui prét­endent faire valoir leurs droits (par exem­ple un CDI au lieu de CDD suc­ces­sifs, pas seu­le­ment dans des peti­tes boîtes mais chez de gros requins comme Hachette) ?

 

Activités syn­di­ca­les

 

Dans le monde entier, la crise éco­no­mique met sur le pavé des mil­lions de tra­vailleurs et cela ne se ralen­tit pas. La solu­tion à la crise, c’est ce que cla­ment les diri­geants de tous les pays : «l’austérité», c’est-à-dire essen­tiel­le­ment la dimi­nu­tion d’une mul­ti­tude de ser­vi­ces, d’avan­ta­ges divers mais d’abord du salaire et de ses acces­soi­res, et dont le but est la dimi­nu­tion du coût de la force de tra­vail encore employée. Pour l’ensem­ble des tra­vailleurs, cer­tains déjà réduits à la por­tion congrue du salaire et du temps de tra­vail, de l’indem­ni­sa­tion du chômage et autres RSA, de la retraite, par le simple fonc­tion­ne­ment du système capi­ta­liste, c’est à eux que l’on demande encore de se serrer la cein­ture pour que le capi­tal puisse sur­vi­vre plus fort que jamais. En Europe tout au moins, les formes de rés­ist­ance à ces atta­ques de toutes sortes sur la condi­tion des travailleurs sont à peu près iden­ti­ques, à l’excep­tion de flambées ponc­tuel­les de colère et de violence (voir dans les pré­cédents bul­le­tins, la France ou la Grèce), mani­fes­ta­tions sur manifestations accom­pa­gnant des journées spo­ra­di­ques de grève, orga­nisées et fina­le­ment bien enca­drés par les syn­di­cats, tous unis pour cette forme de pres­sion poli­ti­que renou­velée qui n’abou­tit qu’à lasser ceux qui vou­draient agir. Et après ?

 

RUSSIE (fin de l’arti­cle du bul­le­tin de mai 2010)

 

Quelques exem­ples d’actions de rue Pikaliovo

 

La ville de Pikaliovo (région de Leningrad) a été le sym­bole de cette nou­velle vague de protestations. Le 2 juin, les habi­tants ont bloqué le trafic sur la route natio­nale de Saint-Petersbourg à Vologda. Environ 300 per­son­nes, tra­vailleurs des entre­pri­ses de la ville et mem­bres de leurs famil­les, ont par­ti­cipé à cette action spon­tanée. Ils reven­di­quaient de manière très décidée la liqui­da­tion de la dette sala­riale et la remise en route des entre­pri­ses. Comme on le sait, Poutine a réagi aus­sitôt et de façon démo­nst­ra­tive : devant les caméras il a forcé Deripaska, propriét­aire de Baseltesemnt-Pikaliovo, à signer un docu­ment sur la reprise de la pro­duc­tion dans cette entre­prise en dés­err­ance. D’une cer­taine façon, le pro­blème a été réglé. Rappelons que le 20 mai, les habi­tants, plongés dans le dés­espoir, avaient tenté de «pren­dre d’assaut» le bâtiment de la mairie où se dér­oulait une réunion consa­crée aux pro­blèmes de la ville, réunion à laquelle par­ti­ci­paient des fonc­tion­nai­res locaux, des représ­entants de la pro­cu­ra­ture, du four­nis­seur de gaz et des pro­priét­aires des entre­pri­ses.

 

Région de l’Altaï

 

Les tra­vailleurs de l’entre­prise ATE — pièces détachées (et d’autres firmes issues du dépeçage de l’ancienne usine de trac­teurs, un géant de la pér­iode sovié­tique) — ont com­mencé à bran­dir la menace d’un nou­veau Pikaliovo : dans des let­tres ouver­tes ils ont fait part de leur inten­tion de dres­ser des bar­ra­ges sur la route prin­ci­pale et la voie ferrée. Dès le 18 juin, ils orga­ni­sent un piquet non auto­risé en face du bâtiment de l’admi­nis­tra­tion de la région de l’Altaï. Cette action avait été décl­enchée par l’annonce de la venue à Barnaul de Vladimir Poutine. Suite à l’intervention des forces de l’ordre, l’action est inter­rom­pue, mais les auto­rités n’osent pas réprimer les par­ti­ci­pants ; non seu­le­ment elles pren­nent en charge une partie de la dette sala­riale mais cher­chent à rem­plir pour un temps le carnet de com­man­des de l’entre­prise. En juillet, les ouvriers de l’usine, des mem­bres de leurs famil­les et des habi­tants de la ville de Roubtsov, solidaires, mènent une série d’actions dans la rue, y com­pris une nou­velle ten­ta­tive de blo­quer la route prin­ci­pale mais ils sont repoussés par les forces spéc­iales, les Omon. À partir de sep­tem­bre, la sec­tion locale du PC de la Fédération de Russie se mobi­lise et apporte un sou­tien logis­ti­que à l’orga­ni­sa­tion des dép­la­cements et des actions de pro­tes­ta­tion. Toutefois, cer­tains obser­va­teurs considèrent que ce sou­tien a sur­tout pour objec­tif de pré­venir une explo­sion sociale et d’empêcher un nou­veau blo­cage des routes. La der­nière mani­fes­ta­tion des ouvriers d’Alttrak a eu lieu le 1er déc­embre à Novossibirsk, dans les bureaux de Ratm à qui appar­tient l’usine (à ce rassem­ble­ment par­ti­ci­paient plus de 1100 tra­vailleurs). Dans la mesure où la ville de Roubtsov (150'000 habi­tants) est entiè­rement dép­end­ante d’Alttrak et des sous-trai­tants, les deux reven­di­ca­tions prin­ci­pa­les des ouvriers sont la relance de la pro­duc­tion et le paie­ment de la dette salariale. Région de Kirov Les villes mono-indus­triel­les de la région de Kirov ont aussi connu des mobi­li­sa­tions des tra­vailleurs pour sauver leur usine et leur ville. Ils ont été sou­te­nus par la section locale du RKRP en la per­sonne de V. Touroulo, député de l’assem­blée. Les ouvriers de l’usine d’arme­ment Molot dans la ville de Vjatskie Poljany sont des­cen­dus dans la rue à différ­entes repri­ses. Le 26 juin, un mee­ting s’est tenu devant les locaux de la direc­tion où étaient réunis les action­nai­res. Ce n’était pas la pre­mière mobi­li­sa­tion des tra­vailleurs qui ne per­ce­vaient pas leur salaire depuis plu­sieurs mois. Le même jour, l’usine rece­vait une sub­ven­tion de l’État et les travailleurs de l’usine tou­chaient trois mois d’arriérés de salaire. Le 14 octo­bre eut lieu une nouvelle action avec une grève d’aver­tis­se­ment qui se trans­forma en mee­ting spon­tané pour le ver­se­ment intégral des salai­res en retard. Les habi­tants de Kirovo Tchepetsk se sont mobi­lisés pour sauver leur ville d’une catas­tro­phe éco­lo­gique. Le mee­ting qui s’est tenu le 8 sep­tem­bre devant l’usine Velkont a déb­ouché sur la création d’un Comité pour la sau­ve­garde de la ville qui aura pour tâche de contrôler les entre­pri­ses et l’admi­nis­tra­tion locale sur le plan éco­lo­gique. À Strijki, les ouvriers se bat­tent pour garder l’usine Silikat, y com­pris en la trans­for­mant en usine sous contrôle ouvrier (ce qui juri­di­que­ment est très com­pli­qué). Durant l’été ont eu lieu une série d’actions pour réc­lamer le paie­ment des salai­res, non payés depuis fin 2008, mais aussi pour le main­tien des postes de tra­vail et pour le sau­ve­tage de l’usine de la ban­que­route. En juillet, un comité de sau­ve­tage de la ville a été créé ainsi qu’un syn­di­cat, Zachita. Le 14 déc­embre, les ouvriers sont allés à Kirov où ils ont tenu un mee­ting devant le bâtiment de l’admi­nis­tra­tion pour le région de Kirov, exi­geant le main­tien en acti­vité de l’entre­prise et réc­lamant le droit pour le col­lec­tif des tra­vailleurs de rache­ter l’usine avec l’aide de l’État pour l’autogérer.

 

Région d’Ivanovo

 

Les tra­vailleurs de plu­sieurs usines sont en ébul­lition, tou­jours pour non-paie­ment des salai­res. Le 5 mars, les habi­tants de la cité où vivent les tra­vailleurs de l’usine Petrovski ont orga­nisé un meeting devant les locaux de la direc­tion pour réc­lamer le paie­ment des salai­res et deman­der que soit mis fin à la liqui­da­tion de l’entre­prise. Le 30 juin, les ouvriers pla­ni­fiaient une «marche des tra­vailleurs sur Moscou», mais fina­le­ment décidaient de repor­ter cette action compte tenu de cer­tai­nes avancées concer­nant le paie­ment des salai­res et le sau­ve­tage de l’usine, suite à des pres­sions sur la direc­tion de la part des auto­rités loca­les. À l’annonce de la marche, le gou­ver­neur de la région d’Ivanovo a invité le diri­geant du comité d’ini­tia­tive pour des négoc­iations, promettant la reprise de la pro­duc­tion et l’extinc­tion de la dette sala­riale en éch­ange de l’annulation de la marche. Le 27 juin, les ouvriers du com­bi­nat Menanjevo ont orga­nisé une marche (non auto­risée) devant le bâtiment de l’admi­nis­tra­tion locale.

 

Oural

 

La situa­tion dans l’Oural est très tendue. Le 23 juin, les ouvriers de l’usine de por­ce­laine de Bogdanovtchisk (région de Sverdlovsk) ont tenté de blo­quer la natio­nale pour sauver leur entreprise. 150 per­son­nes par­ti­ci­paient à cette action spon­tanée pour réc­lamer le rétabl­is­sement des livrai­sons de gaz sus­pen­dues le matin même en raison des dettes de l’entre­prise. Les autorités rég­io­nales réa­girent sur le champ et, suite à leur inter­ven­tion, les livrai­sons de gaz furent rétablies quel­ques heures avant que l’arrêt des fours ait pro­vo­qué des conséqu­ences irréver­sibles. Le 22 juillet, les tra­vailleurs de l’entre­prise Kuzbasselement dans la ville de Leninsk Kuznetsk ont orga­nisé un piquet durant quatre heures et ont bloqué l’avenue Lénine dans le centre ville. Environ 300 ouvriers (cer­tains avec leurs enfants), réduits au dés­espoir, réc­lamaient le paie­ment de leurs salai­res, non versés depuis dix mois. Le trafic fut pra­ti­que­ment para­lysé, ce qui força l’admi­nis­tra­tion de la ville à réagir. Le vice-gou­ver­neur vint à la ren­contre des manifestants avec des pro­mes­ses. Mais les par­ti­ci­pants au mee­ting refusèrent de bouger tant qu’ils ne rece­vraient pas leur argent. Et les pas­sions ne sont retombées qu’après que l’argent des salai­res (30 mil­lions de rou­bles pris sur le budget rég­ional) a été versé sur les comp­tes des travailleurs. Dans les mines de bauxite de l’oli­gar­que Deripaska, un nou­veau conflit est en train de mûrir. Les mem­bres de l’Institut d’action col­lec­tive (IKD) en sont convain­cus après s’être rendus sur le ter­rain en sep­tem­bre à Severouralsk. Dès le 5 juin, 100 mineurs de Severouralsk (la mine fait partie du hol­ding RusAl) ont orga­nisé un piquet devant les bureaux de la direc­tion en frap­pant une heure durant le sol avec leurs cas­ques : ils pro­tes­taient contre la sup­pres­sion des rations alimen­tai­res, les bas salai­res et l’insé­curité dans la mine qui avait déjà causé plu­sieurs acci­dents. En sep­tem­bre, dans différ­entes mines, à l’ini­tia­tive du syn­di­cat NPG, une réunion était prévue pour dis­cu­ter des reven­di­ca­tions et définir un plan d’action. Mais les gar­diens et les res­pon­sa­bles de la direc­tion ont bloqué la réunion, menaçant de licen­cie­ment tous ceux qui y par­ti­ci­pe­raient. Comme le fait remar­quer Valeri Zolotarev, pré­sident du NPG à la mine de Severouralsk, «aujourd’hui on revoit tout ce qui s’est passé à la veille de la grève de mars 2008, on dirait qu’ils n’ont rien com­pris». Rappelons qu’alors 123 mineurs de la mine Krasnaïa Chapochka appar­te­nant à l’équipe no 3 avaient décidé spon­tanément de rester au fond à la fin de leur tra­vail.

 

Kaliningrad

 

À Kaliningrad, ce sont les tra­vailleurs de KDAvia qui se sont mobi­lisés de la manière la plus conséqu­ente pour le paie­ment des arriérés de salai­res. En juillet, différ­entes caté­gories de person­nel lan­cent des grèves de courte durée, à la suite des­quel­les la pro­cu­ra­ture ouvre plu­sieurs infor­ma­tions. Puis ce sont des mee­tings. Avec le sou­tien du PC de la Fédération de Russie et d’autres orga­ni­sa­tions socia­les et poli­ti­ques, un mee­ting se tient dans le centre ville réun­issant 500 des 2000 tra­vailleurs de l’entre­prise. En novem­bre, après plu­sieurs mois de mobi­li­sa­tion, les tra­vailleurs obtien­nent une com­pen­sa­tion par­tielle pour les salai­res non versés et un sou­tien matériel en pro­ve­nance du budget de la région.

 

Région de Iaroslav

 

De jan­vier à avril ont eu lieu une série de mee­tings des tra­vailleurs de l’usine de moteurs et des habi­tants de Toutaev. À la suite de quoi le maire de Toutaev a démisionné. À Kourgan, à l’initiative du syn­di­cat Zachita, les tra­vailleurs de plu­sieurs entre­pri­ses, en pre­mier lieu de Region Avtotrans Kourgan et de Promstroï, ont durant l’été et à l’automne mené toute une série d’actions à propos de la dette sala­riale : piquets, grèves de la faim, mani­fes­ta­tions dans les bureaux de l’admi­nis­tra­tion.

 

Région de Vladivostok

 

L’Extrême-Orient n’a pas été épargné par les conflits, et cela dans tous les sec­teurs. Le 13 mai à Vladivostok s’est tenu un mee­ting des tra­vailleurs des chan­tiers de répa­ration navale mili­tai­res, à l’ini­tia­tive de la Fédération des syn­di­cats de la région de Vladivostok. 400 per­son­nes y participaient : les ora­teurs ont dénoncé le non-res­pect géné­ralisé du Code du tra­vail, le non-paie­ment des salai­res, l’aug­men­ta­tion non jus­ti­fiée du per­son­nel admi­nis­tra­tif. Les habi­tants de Svetlogorie pour­sui­vent le combat. Le 4 avril, la majo­rité des habi­tants (envi­ron 1000 personnes) ont par­ti­cipé à un mee­ting pour réc­lamer la liqui­da­tion de la dette sala­riale (les salaires ne sont pas versés depuis plu­sieurs mois) au com­bi­nat Russki Volfram, et orga­ni­ser des repas gra­tuits pour les enfants. À l’époque, toute la cité mour­rait de faim. Depuis le mois d’août, l’entre­prise a repris la pro­duc­tion. Et à la fin de l’année, Svetlogorie a été intégrée dans le programme gou­ver­ne­men­tal de dével­op­pement des villes mono-indus­triel­les. Les ouvriers des entre­pri­ses d’extrac­tion minière et de retrai­te­ment du mine­rai de la région de Vladivostok se sont éga­lement mobi­lisés. Le 11 mars, plus de 1000 d’entre eux ont mani­festé dans les rues de Dalnegorsk pour réc­lamer une baisse des tarifs des ser­vi­ces com­mu­naux et deman­der que les salai­res soient versés régul­ièrement. C’est le syn­di­cat du com­bi­nat Bor qui était à l’ini­tia­tive, soute­nue par les syn­di­cats de la mét­all­urgie et de la chimie de la région. Des représ­entants des syn­di­cats de la santé, de l’édu­cation, de la culture et de l’indus­trie du bois étaient présents pour expri­mer leur soli­da­rité.

 

Grand Nord

 

Le Grand Nord (au-delà du cercle polaire) a éga­lement été le théâtre de mobi­li­sa­tions. Le 24 mai, plus de 1000 per­son­nes ont par­ti­cipé à un mee­ting à Vorkuta sur la prin­ci­pale place de la ville. Les mineurs et les habi­tants de la ville ont exigé de la direc­tion de Vorkutaugol qu’elle renonce au plan de réd­uctions des effec­tifs, et des auto­rités de la ville qu’elles blo­quent l’aug­men­ta­tion des tarifs des ser­vi­ces com­mu­naux. Les mani­fes­tants ont éga­lement réclamé que les veuves des mineurs morts dans les mines soient réi­nstallées dans une autre région (100 famil­les ont déposé des deman­des). Le 10 avril à Mourmansk, à l’ini­tia­tive de la sec­tion rég­io­nale du Syndicat de la flotte du Nord, s’est tenu un mee­ting auquel par­ti­ci­paient quel­ques cen­tai­nes d’ouvriers venus de huit entre­pri­ses tra­vaillant pour l’armée. Les par­ti­ci­pants réc­lamaient du ministère de la Défense l’extinc­tion de la dette sala­riale. Cette action a payé et une partie de l’argent a été versée. Une autre action a eu un impact com­pa­ra­ble aux évé­nements de Pikaliovo, par son impor­tance et du fait qu’elle a eu lieu à l’ini­tia­tive de per­son­nels géné­ra­lement pas­sifs : des médecins et des per­son­nels hos­pi­ta­liers ont mani­festé pour déf­endre le système de santé. Le 19 mai à Arkhangelsk, 450 per­son­nes ont par­ti­cipé à un mee­ting : des médecins d’Arkhangelsk, de Severodvinsk, de Novodvinsk ainsi que des spéc­ial­istes venus des différents régions de la région. Ils ont réclamé que les hôpitaux de la région soient équipés d’un matériel per­for­mant indis­pen­sa­ble pour assu­rer des soins de qua­lité, reven­di­qué de meilleu­res condi­tions de tra­vail ainsi qu’une aug­men­ta­tion des salai­res, et demandé que soit mis fin au manque de per­son­nel dans les cli­ni­ques de la région. Le 29 juin, un piquet a été orga­nisé sur le ter­ri­toire de l’hôpital pour sou­te­nir les médecins menacés de sanc­tion. On en est arrivé au point que les médecins ont menacé de faire grève !

 

Toliatti

 

Enfin, on ne peut pas ne pas men­tion­ner les mee­tings de masse à l’usine Avtovaz de Toliatti. Les actions entre­pri­ses pour que soit sauvé ce géant de l’auto­mo­bile et pour le main­tien des postes de tra­vail ne lais­sent pas insen­si­bles les auto­rités tant à l’échelon rég­ional que fédéral : de là un déluge de pro­mes­ses (sou­vent gra­tui­tes), de mena­ces, de plans de restruc­tu­ra­tion soft et autres manœuvres en tous genres. Malgré de fortes pres­sions et grâce à la ténacité du syn­di­cat indépendant Edinstvo, deux mee­tings rela­ti­ve­ment impor­tants (plus de 2000 per­son­nes) ont eu lieu le 6 août et le 17 octo­bre sur la place du Palais de la culture et de la tech­ni­que de l’usine. Ce qui se joue actuel­le­ment à Toliatti, c’est la capa­cité du mou­ve­ment syn­di­cal et, plus lar­ge­ment, social à cons­truire un front large capa­ble d’influen­cer la poli­ti­que du gou­ver­ne­ment pour les villes-usines. Piotr Zolotarev, pré­sident du syn­di­cat Edinstvo, l’a for­mulé clai­re­ment : «Nous ne resterons pas pas­sifs face à la volonté d’expé­rim­enter à Toliatti un nou­veau plan pour les villes-usines. Nous vou­lons sauver notre ville, notre indus­trie. Nous cher­chons les moyens qui nous permet­tront d’influer sur notre destin, de telle sorte que les intérêts des tra­vailleurs et des habitants soient pris en compte.» En résumé, on doit noter que là où les actions col­lec­ti­ves ont été menées de façon conséqu­ente et ont été accom­pa­gnées de mena­ces de blo­cage des routes, ainsi que dans le cas des villes cons­trui­tes autour d’une seule usine, les pou­voirs publics à l’échelon rég­ional et fédéral ont dû inter­ve­nir et pren­dre à leur charge, au moins en partie, les dettes des pro­priét­aires qui avaient conduit leurs entre­pri­ses à la faillite.

 

Le main­tien du poten­tiel de grève

 

Comme en 2008, ce qui domine sont les «grèves de crise» où l’arrêt de tra­vail est décl­enché par le non-paie­ment des salai­res (une des rares formes de grève prévue par le Code du tra­vail). Mais il y a eu éga­lement des grèves offen­si­ves au vrai sens du terme : un arrêt col­lec­tif du tra­vail pour déf­endre un ensem­ble de reven­di­ca­tions face à un patron qui ne veut rien enten­dre. Au cours de l’année 2009, on a dén­ombré 70 cas de grève, les deux tiers pou­vant être caractérisées comme des «grèves de crise».

 

Les «grèves de crise»

 

Jusqu’en mai 2009, les tra­vailleurs, à l’ini­tia­tive de leur syn­di­cat, ont uti­lisé leur droit de refus indi­vi­duel de tra­vailler, une forme légale de grève. Les actions pren­nent alors la forme d’un ensem­ble de refus indi­vi­duels orga­nisés col­lec­ti­ve­ment face au non-paie­ment du salaire (arti­cle 142 du Code de tra­vail). Mais cette forme d’action perd de son effi­ca­cité dans les pér­iodes où les tra­vailleurs redou­tent avant tout l’arrêt de la pro­duc­tion et la perte de leur emploi. Néanmoins, dans la majo­rité des cas, cette forme de grève a donné des rés­ultats, avec le paie­ment au moins en partie des salai­res.

 

Quelques exem­ples

 

Courant sep­tem­bre les tra­va

illeurs du 11e sec­teur des ser­vi­ces com­mu­naux de la ville d’Orel ont fait grève. La grève sur le tas des gar­diens d’immeu­bles, des tech­ni­ciens des ser­vi­ces sani­tai­res et des ser­vi­ces des eaux a duré une semaine. La raison : le non-paie­ment des salai­res depuis le mois de juillet. À la mine Tchikh dans la région de Rostov, les mineurs ont fait plu­sieurs grèves. Début octo­bre, plu­sieurs mineurs ont fait une grève au fond de la mine pour réc­lamer la liqui­da­tion de la dette sala­riale. Plus de 100 collègues les sou­te­naient en sur­face. Résultat : le direc­teur fut licen­cié et le pro­priét­aire de la mine a promis de liqui­der la dette sala­riale pour le mois d’août. Auparavant, le 24 juin, 34 mineurs s’étaient mis en grève et avaient refusé de remon­ter. Et cet épi­sode avait déjà été précédé par d’autres grèves au fond, et à chaque fois avec quel­ques résultats, même si les retards de salai­res ont tou­jours très vite recom­mencé. Chantiers navals d’Astrakhan Le 14 sep­tem­bre au chan­tier d’Astrakhan IIIe Internationale, les ouvriers ont cessé le tra­vail pour réc­lamer le paie­ment des salai­res. Ont par­ti­cipé à l’action 50 per­son­nes. Après des négoc­iations en prés­ence d’Oleg Shein, député à la Douma, la direc­tion pro­met­tait de payer le jour même une partie des salai­res en retard. Usine Kalibrov à Moscou. Une journée de grève (22 juin) a suffi pour faire céder la direc­tion sur les retards de salai­res. Nouvelle grève le 3 août, le non-paie­ment des salai­res ayant recom­mencé. Usine de répa­ration navale de Tchajminsk (région de Vladivostok) : plus de 50 ouvriers ont cessé le tra­vail du 20 juillet au 3 août à cause de cinq mois de retard pour les salai­res. Dès le 24 juillet, une partie des arriérés était versée, et le 3 août les tra­vailleurs repre­naient le tra­vail, les salai­res de juin ayant été versés. Seuls 5 tra­vailleurs décidaient de pour­sui­vre la grève jusqu’au paie­ment intégral. Mine Enisseï : après une grève de 24 heures sous terre (27 et 28 mai) les mineurs ont obtenu satis­fac­tion. Les sou­deurs de l’ate­lier 45 de TagAz ont cessé le tra­vail le 23 mai mais face aux mena­ces de la direc­tion, ils ont arrêté leur mou­ve­ment. Des grèves ana­lo­gues ont éga­lement eu lieu au com­bi­nat de cons­truc­tion de Krasnodar (trois mois de salai­res non payés), au com­bi­nat de cons­truc­tion de Linetsk (région de Novosibirsk) quatre mois de salai­res impayés, à la mine de la com­pa­gnie minière de Abakan (répub­lique de Khakassie) trois mois d’impayés, à l’usine méca­nique de Katav Ivanovo (région de Tcheliabinsk) cinq mois de retard, à l’usine de répa­ration auto­mo­bile 96 de la Flotte du Nord à Mourmachi (région de Mourmansk) cinq mois de retard, à l’ate­lier 26 de l’usine auto­mo­bile de Taganro : quatre mois de salaire impayés, à Ouralesprom (région de Sverdlovsk) trois mois d’impayés. Ces grèves ont, sou­vent, eu lieu avec l’aide de syn­di­cats ; cer­tai­nes ont été prises en charge par un comité d’ini­tia­tive spé­ci­fique.

 

Les grèves offen­si­ves

 

Malgré la crise et un cer­tain recul des syn­di­cats à l’éch­elle glo­bale, on a observé au cours de l’année écoulée des grèves offen­si­ves où les tra­vailleurs non seu­le­ment se mobi­li­sent contre une détér­io­ration de leur situa­tion mais aussi pour une amél­io­ration de celle-ci. Ces actions peu­vent être spon­tanées ou pren­dre la forme d’un arrêt de tra­vail col­lec­tif, orga­nisé par le syn­di­cat dans le cadre d’un conflit du tra­vail ou en référ­ence aux condi­tions de tra­vail. Il y a eu éga­lement des cas où, avec le sou­tien du syn­di­cat, la mét­hode de lutte rete­nue a été la baisse du rythme de tra­vail et le res­pect strict des consi­gnes («grève à l’ita­lienne»). Le mode le plus fréquent est la menace de se mettre en grève lors­que le degré de mobi­li­sa­tion la rend cré­dible.

 

Quelques exemples de grève spon­tanée

 

Le 15 mai à l’entre­prise Lipetskkompleks, les ouvriers de l’ate­lier de fabri­ca­tion de sau­cis­sons ont cessé le tra­vail en raison des mau­vai­ses condi­tions de tra­vail, des bas salai­res et du système poli­cier de contrôle. La direc­tion ayant menacé de déposer plainte contre les grév­istes, ces derniers ont repris le tra­vail. À la mine Korkin (région de Tcheliabinsk), le 21 juillet les mineurs méc­ontents des salai­res de misère ont com­mencé une grève. Les trois équipes ont refusé de travailler et ont cher­ché à ren­contrer la direc­tion pour réc­lamer une aug­men­ta­tion (d’envi­ron 6000 rou­bles soit 167 euros). En général, les grèves spon­tanées pren­nent fin rapi­de­ment car il est facile pour la direc­tion d’inti­mi­der les tra­vailleurs en les menaçant de porter plainte pour grève illégale. Avec l’aide de leur syn­di­cat et en s’appuyant sur la lég­is­lation, les tra­vailleurs ont trouvé d’autres moyens légaux de lutte. Par exem­ple, à l’usine Volkswagen de Kalouga, les ouvriers de la chaîne de mon­tage, en se référant à l’arti­cle 379 du Code du tra­vail ont refusé de tra­vailler pendant quel­ques jours (à comp­ter du 15 juin), la cha­leur insup­por­ta­ble régnant dans l’ate­lier prés­entant une «menace pour la vie et la santé». Le 7 sep­tem­bre à l’usine GMAuto à Saint-Pétersbourg, la chaîne a été stoppée à l’ate­lier de sou­dure pour non-res­pect de la sécurité du tra­vail suite à la rup­ture, à trois repri­ses, d’une conduite de refroi­dis­se­ment qui passe à proxi­mité imméd­iate des ouvriers. La grève «à l’ita­lienne» qui a connu le plus de reten­tis­se­ment a eu lieu précisément dans cette usine GMAuto du 11 au 20 novem­bre. Le 11 novem­bre, à l’ini­tia­tive du syn­di­cat Mpra, un groupe de tra­vailleurs de l’ate­lier de mon­tage a ralenti au maxi­mum le rythme de tra­vail, don­nant le signal de départ à cette grève «à l’ita­lienne». Le syn­di­cat deman­dait la convo­ca­tion imméd­iate d’une confér­ence du col­lec­tif de l’usine, la sup­pres­sion des primes annuelles avec la garan­tie d’une hausse des salai­res de 8% compte non tenu du réaj­us­tement en fonc­tion de l’infla­tion, des règles stric­tes concer­nant les congés et, sur­tout, l’aban­don du décompte annuel des heures de tra­vail et le retour à la semaine de 40 heures. Il faut sou­li­gner qu’ont par­ti­cipé au mou­ve­ment non seu­le­ment les mem­bres du syn­di­cat mais aussi des tra­vailleurs de la base. Pendant quel­ques heures, l’ate­lier de pein­ture a stoppé la chaîne de mon­tage, mais suite à des «expli­ca­tions convain­can­tes» de la direc­tion, il a repris le tra­vail à plein régime. Toutefois, le plan de pro­duc­tion de voi­tu­res ne fut pas réalisé. Officiellement la direc­tion n’a reconnu aucune grève, mais le 20 novem­bre E. Ivanov, pré­sident du syn­di­cat Mpra, est licen­cié sous le prét­exte d’une «absence injus­ti­fiée». Les actions orga­nisées par le syn­di­cat sont plus effica­ces lorsqu’elles consis­tent à bran­dir la menace d’une grève à l’occa­sion d’un conflit du travail. C’est ce qui s’est passé avec succès le 19 mai lors­que, suite à une menace de grève, les contrôleurs aériens ont obtenu de la direc­tion fédé­rale des trans­ports aériens la pro­lon­ga­tion de la conven­tion col­lec­tive en cours. Il est vrai que le syn­di­cat a payé cher ce succès avec la suppres­sion de son local. Si l’année écoulée il n’y a pas eu de grèves offen­si­ves au vrai sens du terme, la menace de grève, rendue cré­dible par le niveau de mobi­li­sa­tion, a été uti­lisée avec succès par cer­tains syn­di­cats actifs à l’occa­sion d’un conflit du tra­vail. À l’usine Danone Industrie (région de Moscou), à l’ini­tia­tive du comité syn­di­cal (qui fait partie de Sotsprof), le 2 déc­embre un conflit a éclaté. La direc­tion de l’usine a reçu un préavis de grève à comp­ter du 15 déc­embre si une com­mis­sion de conci­lia­tion n’était pas formée d’ici là et si les reven­di­ca­tions mises en avant par le syn­di­cat n’étaient pas satis­fai­tes. Dès le 11 déc­embre, la direc­tion accep­tait de négocier. Les reven­di­ca­tions avancées par le syn­di­cat étaient for­mulées avec pré­cision et soli­de­ment argumentées sur le plan juri­di­que. Elles concer­naient la régu­lation du temps de tra­vail, le profil des postes, les normes et les consi­gnes, le tra­vail inté­rim­aire, et les mesu­res dis­cri­mi­na­toi­res à l’encontre des mili­tants syn­di­caux. La même dém­arche a été uti­lisée par le syn­di­cat des métallurg­istes Sotsprof à l’usine KarelskiOkatych, mais dans cette entre­prise, les mili­tants syndicaux se heur­tent à une rés­ist­ance farou­che de la part de la direc­tion qui n’a pas hésité à faire inter­ve­nir les forces de sécurité pour empêcher une réunion syn­di­cale le 20 octo­bre. Toutefois, l’acti­vité et la dét­er­mi­nation dont a fait preuve le syn­di­cat ont gagné à la cause syndicale de nom­breux tra­vailleurs. Dernier exem­ple, le lan­ce­ment de la cam­pa­gne contre le travail inté­rim­aire (recru­te­ment par des agen­ces spéc­ialisées dans l’exter­na­li­sa­tion). Suite à des actions menées par des tra­vailleu­ses de la fabri­que de confi­se­rie Babaevski (Moscou) recrutées par l’agence Petroline et non payées, différents syn­di­cats, dont l’Union inter­na­tio­nale des travailleurs de l’ali­men­ta­tion (IUF) ont orga­nisé en novem­bre et déc­embre des piquets dans différentes villes du pays avec les mêmes reven­di­ca­tions : arrêt du recours à l’exter­na­li­sa­tion et aux autres formes non-stan­dard d’emploi. Dans ce cas, les syn­di­cats ont agi de manière préventive pour s’oppo­ser à la léga­li­sation de formes non-stan­dard qui pri­vent les tra­vailleurs des garan­ties encore exis­tan­tes.

 

Grèves de la faim

 

Malheureusement, depuis le prin­temps 2009, les cas de grève de la faim se sont mul­ti­pliés (au moins 20 cas recensés), bien que cette mét­hode soit peu effi­cace pour faire pres­sion sur le patron et sur­tout qu’elle soit nui­si­ble et dan­ge­reuse pour la santé des per­son­nes. En général, les tra­vailleurs ont recours à des grèves de la faim quand seule une petite partie du col­lec­tif est prête à se mobi­li­ser de façon active (c’est-à-dire confrontée à une absence de soli­da­rité) ou encore lors­que sur­vient la faillite de l’entre­prise. Le plus sou­vent, au bout d’un cer­tain temps, les grév­istes de la faim met­tent un terme à leur action suite à la pro­messe d’éte­indre la dette salariale, mais ces pro­mes­ses res­tent lettre morte si la grève de la faim n’est pas suivie par des actions de masse plus acti­ves. On peut citer un grand nombre de grèves de la faim qui ont échoué et qui ont contri­bué à démo­ra­liser les tra­vailleurs : le 1er juin, les per­son­nels navi­gants de la com­pa­gnie d’avia­tion KraAir, qui exi­geaient la liqui­da­tion totale de la dette sala­riale (plu­sieurs mois de salai­res impayés) ont cessé une grève de la faim de dix-neuf jours. Bien qu’ils n’aient pas obtenu satis­fac­tion, ils ont inter­rompu leur mou­ve­ment en raison d’une brus­que aggra­va­tion de leur état de santé. Le 29 juin, les che­mi­nots de Severomuïsk ont arrêté leur grève de la faim après sept jours car des pro­grès avaient eu lieu concer­nant la ques­tion de la réd­uction des effectifs et la baisse des salai­res. À Akhtubinsk, les employés muni­ci­paux de l’entre­prise CentrJilKomKhoz ont entre­pris une grève de la faim (par équipes), la seconde depuis le début de l’année. Par là, les tra­vailleurs, à l’ini­tia­tive de leur syn­di­cat Zachita, cher­chent à s’oppo­ser à la faillite «orga­nisée» de la seule entre­prise de ser­vi­ces de la ville. Mais cette action n’a sus­cité aucune réaction de la part des auto­rités loca­les En jan­vier, en raison du non-paie­ment des salaires, des ouvriers de l’usine mili­taire 111 de Briansk ont mené une grève de la faim. Les partici­pants à cette action ont dû être hos­pi­ta­lisés au bout de dix jours. La grève a été interrompue bien que les salai­res n’aient pas été payés. Cela fai­sait sept mois que les 421 travailleurs de l’entre­prise n’avaient pas touché leurs salai­res. En février et de nou­veau en mars des tra­vailleurs de l’usine mét­all­ur­gique de Zlatoustovo (région de Tcheliabinsk) ont orga­nisé une action pour pro­tes­ter contre les bais­ses de salai­res. La pre­mière grève de la faim (le 16 février) avait forcé la direc­tion de l’entre­prise à réagir et à recu­ler, au moins ver­ba­le­ment. Comme le problème res­tait en l’état, l’action a été relancée le 10 mars. Cette fois, la direc­tion de l’entreprise a accusé les grév­istes d’«extrém­isme poli­ti­que». Dans quel­ques rares occa­sions, cette forme d’action a permis d’obte­nir le paie­ment des salai­res. Surtout lors­que les tra­vailleurs ont asso­cié la grève de la faim à d’autres formes d’action, ou encore lors­que la grève de la faim a eu une réson­ance impor­tante dans l’opi­nion et dans les médias. C’est le cas de la mine Tchikh (région de Rostov) où, le 23 juin, 30 mineurs ont entre­pris une grève de la faim au fond de la mine : dès le 25 juin les grév­istes remon­taient à l’air libre, dans la mesure où leur action avait pro­vo­qué une véri­table pani­que parmi les bureau­cra­tes de la région. Le vice-gou­ver­neur et le minis­tre de l’Énergie sont venus en per­sonne à la mine. Auparavant, en mars, les mineurs avaient fait grève en res­tant au fond. À l’usine de cel­lu­lose du Baïkal, suite à une grève mas­sive de la faim (à laquelle par­ti­cipèrent 60 per­son­nes ins­tallées dans un vil­lage de tentes monté devant les bâtiments de l’admi­nis­tra­tion de Baïkalsk) com­binée à des piquets et des mee­tings à répé­tition, le paie­ment des salai­res a débuté le 8 juin. À Iamala le 10 août, après deux semai­nes de grève de la faim, les tra­vailleurs de la com­pa­gnie d’explo­ra­tion géo­lo­gique Severnaïa Ekspedicija ont obtenu le paie­ment de la dette sala­riale. Auparavant, du 25 juin au 3 juillet, une pre­mière grève de la faim avait eu lieu et s’était arrêtée à la suite de pro­mes­ses de la direc­tion.

 

Quelques remar­ques pour tirer les leçons de l’année

 

La dyna­mi­que que connais­sait le mou­ve­ment syn­di­cal et ouvrier a connu un ralen­tis­se­ment. Les faits exposés ci-dessus font appa­raître une poussée des actions spon­tanées à l’échelon local comme les actions de rue avec menace de blo­cage des routes, et cela en pre­mier lieu dans les villes mono-indus­triel­les. Grâce à l’effet Pikaliovo, ces actions sont deve­nues le moyen le plus effi­cace pour que les auto­rités s’impli­quent dans la recher­che d’une solu­tion. À l’occa­sion de ces actions sont sou­levées des ques­tions qui ne se limi­tent pas à la dette sala­riale : pra­ti­que­ment dans tous les cas, ce qui est en jeu c’est le sau­ve­tage de l’entre­prise. Pour cette raison, les tra­vailleurs s’adres­sent de plus en plus sou­vent à l’État pour exiger la natio­na­li­sa­tion de l’entre­prise ou, en tous cas, pour lui deman­der de «mettre de l’ordre» dans la situa­tion et de pour­sui­vre le pro­priét­aire «déficient». De ce point de vue, on peut parler d’une cer­taine poli­ti­sa­tion des conflits sociaux, mais avec des limi­tes : le terme «natio­na­li­sa­tion» désigne le plus sou­vent une aide de l’État sous une forme ou sous une autre, et non un véri­table chan­ge­ment de poli­ti­que économique. Globalement, les conflits pour l’année 2009 ont un caractère déf­ensif et les actions offen­si­ves de la part des tra­vailleurs, aux­quel­les on avait assisté en 2007 et en 2008, sont rares, bien que ce poten­tiel existe tou­jours avec les conflits col­lec­tifs décl­enchés à l’ini­tia­tive du syndicat et les mena­ces de grève. Dans les condi­tions de la crise actuelle, les conflits ne res­tent pas confinés dans les limi­tes de l’entre­prise. Le nombre des actions spon­tanées menées dans la rue a connu une forte aug­men­ta­tion du fait que les conflits ne peu­vent trou­ver de solu­tion au sein même de l’entre­prise, sur­tout compte tenu de la lég­is­lation du tra­vail actuel. De plus, les travailleurs ont élargi l’arse­nal des formes d’action, expé­rim­entant toute forme sus­cep­ti­ble d’avoir une cer­taine effi­ca­cité. La majo­rité de ces actions pren­nent des formes non prévues par la législation sur les conflits du tra­vail. Et cela non parce que les per­son­nes seraient tentées de ne pas res­pec­ter la loi — bien au contraire, les compét­ences juri­di­ques des ouvriers et des syn­di­cats ne ces­sent de croître, de même que leur capa­cité à uti­li­ser la loi à leur avan­tage — mais parce que la lég­is­lation exis­tante ne permet pas une solu­tion effec­tive des conflits du tra­vail. Enfin, il faut sou­li­gner une autre caractér­is­tique impor­tante de la vague de pro­tes­ta­tions actuel­les : les conflits éclatent de manière spon­tanée et dés­ordonnée et ne se fon­dent pas dans un mou­ve­ment de masse capa­ble de durer, seul à même de peser sur la manière de sortir de la crise : sur le dos des tra­vailleurs ou celui des patrons ? Pour l’ins­tant, les ini­tia­ti­ves du pou­voir et des grands capita­lis­tes vont dans le sens d’une sortie de crise sur le dos des tra­vailleurs (baisse des salai­res, réd­uction d’effec­tifs, non-paie­ment des salai­res) et nul­le­ment dans le sens d’une réd­uction des béné­fices, des divi­den­des et des bonus accu­mulés durant la pér­iode pré­céd­ente. Pire encore, l’État prend en charge les dettes des patrons qui refu­sent d’en assu­mer la res­pon­sa­bi­lité face aux tra­vailleurs : pour les dettes de Deripaska et des autres oli­gar­ques, ce sont les contri­bua­bles et donc une fois encore les tra­vailleurs qui paient. L’absence de mou­ve­ment d’ensem­ble tient au fait que les conflits sont très limités dans l’espace, à l’absence de struc­ture à même de les coordonner et de liens hori­zon­taux entre les col­lec­tifs en lutte. La seule chose qui existe est un espace méd­ia­tique commun avec 1, 2, 3 Pikaliovo. Pour qu’un mou­ve­ment de masse conséquent se dével­oppe il faut une struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle, des orga­nes de coor­di­na­tion et une soli­da­rité entre les syn­di­cats, toutes choses que s’effor­cent d’empêcher le pou­voir et les patrons avec leur poli­ti­que de répr­ession et de divi­sion du mou­ve­ment syn­di­cal. Enfin, ce mor­cel­le­ment des luttes s’expli­que aussi par le fait que les conflits les plus durs ont lieu en dehors des syn­di­cats alternatifs et de leurs réseaux. Ces syn­di­cats connais­sent de séri­euses dif­fi­cultés dans les entrepri­ses : ils subis­sent les conséqu­ences de la crise (notam­ment dans l’indus­trie auto­mo­bile) et sont vic­ti­mes de pres­sions très dures de la part des auto­rités et des employeurs. Cela les conduit à se concen­trer sur l’orga­ni­sa­tion de la lutte là où ils sont réel­lement implantés et à renfor­cer leurs struc­tu­res orga­ni­sa­tion­nel­les. Quant à la Fédération des syn­di­cats indép­endants de Russie (Fnpr), sa direc­tion n’est en aucune façon intéressée à par­ti­ci­per à une coor­di­na­tion et à une conso­li­da­tion d’un mou­ve­ment d’ensem­ble pour la déf­ense des droits des tra­vailleurs. Tout cela expli­que qu’en raison de la crise et des réactions des différents acteurs, le pro­ces­sus de conso­li­da­tion du mou­ve­ment syn­di­cal et ouvrier, s’il n’est pas stoppé, a connu un net ralentissement. Néanmoins, l’appa­ri­tion de nou­veaux lea­ders dans la vague d’actions spon­tanées et l’acti­vi­sa­tion de cer­tai­nes orga­ni­sa­tions loca­les de la Fnpr cons­ti­tuent une ten­dance posi­tive. Même si dans la plu­part des cas, les diri­geants des mou­ve­ments se plai­gnent du sou­tien très faible de la part de la direc­tion de la Fnpr à l’échelon fédéral mais aussi dans les différ­entes branches. Contrepartie posi­tive : cer­tains syn­di­cats affi­liés à la Fnpr com­men­cent à mener des batailles au sein de leurs bran­ches et à affir­mer leur indép­end­ance. Il faut encore une fois insis­ter sur le caractère contra­dic­toire de la dyna­mi­que actuelle : d’un côté un mor­cel­le­ment, de l’autre une conso­li­da­tion. Les pers­pec­ti­ves de «trans­crois­sance» des actions loca­les et éclatées en un mou­ve­ment uni­taire : vers une soli­da­rité crois­sante entre les syn­di­cats et dans les luttes. En dépit de toutes les dif­fi­cultés dues à la crise mais aussi des pres­sions exercées sur l’aile orga­nisée du mou­ve­ment ouvrier, la ten­dance vers une conso­li­da­tion se pour­suit, malgré un cer­tain ralentisse­ment. Les syn­di­cats com­ba­tifs coopèrent de plus en plus, entre eux mais aussi avec d’autres mou­ve­ments sociaux et avec les mili­tants poli­ti­ques. Il est clair que pour obte­nir une amél­io­ration de la situa­tion concer­nant les droits des tra­vailleurs dans cette pér­iode de crise, il est indis­pen­sa­ble de dével­opper une cam­pa­gne de masse avec la par­ti­ci­pa­tion de toutes les compo­san­tes du mou­ve­ment social : seule une telle cam­pa­gne peut forcer le gou­ver­ne­ment à renon­cer à sa poli­ti­que actuelle de sortie de crise, syno­nyme de détér­io­ration de la situa­tion des tra­vailleurs et de vio­la­tion de leurs droits. On a assisté à cer­tains pas, encore isolés, dans cette direc­tion. Le Syndicat interrég­ional de la cons­truc­tion auto­mo­bile (Mpra) a pris l’ini­tia­tive d’une cam­pa­gne de masse avec le mot d’ordre «les ouvriers ne doi­vent pas payer pour la crise». Et le 14 février 2009, une pre­mière action interrég­io­nale a été menée avec ce mot d’ordre. Le 19 avril, lors du Forum social de l’Oural, des mili­tants (en pre­mier appar­te­nant à l’Union des comités de coor­di­na­tion, SKS) et cer­tains syn­di­cats alter­na­tifs se sont mis d’accord pour mener ensem­ble une cam­pa­gne pour la déf­ense des droits des tra­vailleurs et ont défini en commun une liste de pro­po­si­tions pour que la sortie de crise ne se fasse pas «sur le dos du peuple». Parmi les revendica­tions prio­ri­tai­res : four­nir aux syn­di­cats une infor­ma­tion sur la situa­tion éco­no­mique et finan­cière réelle des entre­pri­ses et leur garan­tir le droit de contrôle sur les mesu­res adoptées pour sortir de la crise. Mais la cam­pa­gne s’est développée mol­le­ment, au moins pen­dant les journées uni­tai­res (10-17 octo­bre) «Sortie de crise mais pas sur le dos du peuple tra­vailleur» : toutes les régions ne se sont pas mobi­lisées, et nulle part les syn­di­cats n’étaient partie pre­nante. La volonté de mener des actions avec les syn­di­cats existe chez les mili­tants du mou­ve­ment social, en premier lieu au sein de l’Union des comités de coor­di­na­tion — SKS : dans un grand nombre de villes, ils mènent déjà un tra­vail au sein des col­lec­tifs de tra­vailleurs, en par­ti­cu­lier par l’intermédiaire des ouvriers logés dans des foyers. C’est à cette conclu­sion que sont arrivés les par­ti­ci­pants d’un sémin­aire orga­nisé les 18 et 19 novem­bre à Toliatti par le syn­di­cat Edinstvo de Avtovaz avec le sou­tien de la Confédération pan­russe du tra­vail (VKT) et de l’Institut de la globali­sa­tion et des mou­ve­ment sociaux (Igso). Thème du sémin­aire : «Quelle stratégie syn­di­cale dans les condi­tions de la crise ?» De toute évid­ence, une telle coopé­ration sera effi­cace et profita­ble pour tous les par­ti­ci­pants si elle se met en place à l’éch­elle d’une ville autour des questions considérées par tous comme socia­le­ment les plus aiguës et les plus impor­tan­tes. Si la pre­mière expéri­ence est une réus­site, alors il est par­fai­te­ment pos­si­ble que se mette en place une forme de coor­di­na­tion, qui fait si cruel­le­ment défaut dans le pays alors qu’elle est cru­ciale pour sur­mon­ter à la fois le mor­cel­le­ment et le loca­lisme du mou­ve­ment pour la déf­ense des droits des tra­vailleurs. À l’heure actuelle, ces struc­tu­res de coor­di­na­tion sont au mieux à l’état embryonnaire. Les syn­di­cats et les mou­ve­ments sociaux ont un rôle décisif à jouer pour appor­ter une rép­onse posi­tive à la ques­tion de savoir si le mou­ve­ment spon­tané de pro­tes­ta­tion peut se fondre dans un mou­ve­ment orga­nisé, capa­ble d’obte­nir du gou­ver­ne­ment des mesu­res concrètes pour la déf­ense des droits des tra­vailleurs. Le pou­voir lui-même devrait être intéressé à un renforce­ment du mou­ve­ment syn­di­cal, car sinon il res­tera seul face à un déf­er­lement sau­vage qui peut avoir des conséqu­ences regret­ta­bles pour le pays tout entier. Mais ce à quoi l’on assiste c’est tout le contraire, avec le ren­for­ce­ment des pres­sions sur les syn­di­cats. Les patrons se débarr­assent des mili­tants les plus actifs à coup de licen­cie­ments, d’agres­sions phy­si­ques ou encore d’empri­son­ne­ments pour des délits montés de toutes pièces. Et on ne peut que cons­ta­ter qu’à tous les échelons, les «maîtres du pays» les aident : qu’il s’agisse du parti Russie unie (avec son refus d’amen­der la lég­is­lation du tra­vail dans un sens qui ren­drait la vie moins dure aux syndicats alter­na­tifs), ou encore d’une partie de l’appa­reil pré­sid­entiel et gou­ver­ne­men­tal qui, par leurs pro­vo­ca­tions et leurs mesu­res répr­es­sives, ne font que ren­for­cer la ten­sion à l’intérieur du pays. Les tra­vailleurs d’aujourd’hui sont différents de ceux des années 1990, ils n’accep­te­ront pas indé­fi­niment que l’on se moque d’eux. Ils tém­oignent de capa­cités de plus en plus gran­des à l’auto-orga­ni­sa­tion et à l’autodéf­ense. En Russie, il existe une nou­velle géné­ration d’ouvriers très cons­cients de leur dignité et por­teurs d’autres exi­gen­ces. Ils ne sont plus prêts à se serrer la cein­ture pour rien, et leur idéal n’est pas de rejoin­dre les rangs de ceux qui ne jurent que par leur bagnole ou leur villa. Encore une fois, le choix est simple : soit le dével­op­pement d’un mou­ve­ment ouvrier orga­nisé, soit la «misère sans fond du dés­espoir».

 

(Le texte sur la Russie émane de l’Institut d’action col­lec­tive de Moscou et est signé de Carine Clément. Même si nous n’approu­vons pas les considé­rations syn­di­ca­les qui le par­cou­rent, nous pen­sons qu’il apporte des éléments intér­essants sur les luttes qui se dér­oulent en Russie et qui sont pra­ti­que­ment ignorées ici.)

 

Espagne

 

Uni et dét­erminé, le prolé­tariat fait sa loi et ignore celles du capi­tal. Mais les syn­di­cats veillent

 

Le 28 juin, les 7500 tra­vailleurs du métro de Madrid ont décidé de faire grève trois jours contre une réd­uction des salai­res de 5% dans le cadre du pro­gramme d’austérité du gou­ver­ne­ment socia­liste. À l’una­ni­mité, ils ont décidé d’igno­rer tota­le­ment les règles du ser­vice mini­mum, ce qui a entraîné la para­ly­sie totale du métro. Le gou­ver­ne­ment a menacé d’uti­li­ser l’armée et de licencier les grév­istes. Le 30 juin, les diri­geants syn­di­caux ont per­suadé une nou­velle assem­blée de repren­dre le ser­vice mini­mum le 1er juillet, et même de sus­pen­dre la grève pour le week-end.

 

Dans le monde, une classe en lutte.

 


Publié dans Colère ouvrière

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