Les pissenlits de M. Racine

Publié le par la Rédaction

Les manuscrits de Debord
en manque de mécènes


Bruno Racine, le président de la Bibliothèque nationale de France (BNF), a régalé 200 mécènes potentiels, lundi 15 juin, lors dun dîner dans le hall des Globes. Les convives étaient incités à donner le plus dargent possible afin dacquérir les archives de Guy Debord, le chef de file du situationnisme. Selon M. Racine, ces archives constituent «un fonds unique sur les avant-gardes littéraires».

Mais les mécènes ne se sont pas bousculés. Près de 180.000 euros ont été levés, soit moins du dixième de la somme que la France doit réunir dans les deux ans et demi qui viennent. «C
est un bon début», a néanmoins estimé M. Racine, qui mise sur une conjoncture plus favorable à partir de 2010. La ministre de la Culture — Christine Albanel était présente — pourrait faire grimper la cagnotte française en puisant dans le Fonds du Patrimoine. Mais des universités américaines, en particulier celle de Yale, sont en embuscade…

Pour allécher les convives, trois cahiers à spirale, deux à petits carreaux, un à grands carreaux, avec le trait rose qui sépare la marge, étaient exposés durant le dîner. Classés «Trésor national», ils forment le manuscrit de La Société du Spectacle, de Guy Debord. Le texte est surchargé d
annotations à lencre bleue ou noire et se lit en suivant des paragraphes soigneusement numérotés, qui indiquent les pages du livre à venir.

Parmi les convives du dîner figurait Philippe Sollers, à qui a été remis le premier Prix de la BNF, doté de 10.000 euros et assorti d
une bourse de recherche de 10.000 euros attribuée à un étudiant chargé dun travail sur son œuvre. Loccasion pour Sollers de rendre hommage au «lecteur exceptionnel» que fut Guy Debord.

Leur presse (Alain Beuve-Méry, Le Monde), 17 juin 2009.



Guy Debord, le dîner de fonds

Mécénat. La Bibliothèque nationale de France a réuni lundi 200 convives pour financer l’achat des archives du situationniste.

La Société du spectacle
de Guy Debord sous verre. Trois carnets à spirale exposés non loin de l’Écume des jours de Boris Vian et de la Vie de sainte Catherine, manuscrit enluminé du XVe siècle. Autour, dans le hall des Globes de la Bibliothèque nationale de France, plus de deux cents personnes, un verre de champagne Roederer à la main. Ce lundi soir, elles sont venues à un dîner destiné à financer l’acquisition des archives de Guy Debord. La France a refusé de les voir quitter le territoire et les a classées Trésor national (Libération du 16 février).

Un trésor, Debord… Sa veuve veillait jalousement sur l’intégrité du fonds depuis son suicide, en 1994. Méticulosité, souci de son destin posthume, le fondateur du situationnisme avait pris soin de trier et d’organiser la totalité de ses manuscrits, notes et correspondance avant sa mort. L’université américaine Yale les convoitait depuis deux ans pour son centre de recherche sur les avant-gardes. Debord conspuait l’État. L’État l’embaume. «Cette soirée relève de la société spectaculaire, reconnaît Jean-Claude Meyer, président du cercle de la BNF dans son discours. Une ironie et en même temps un grand hommage.»

Tartare. Dix-huit tables (baptisées Baudelaire, Toulouse-Lautrec, Debussy, Chateaubriand…) sont réparties sur toute la longueur du hall. La table vaut 6000 euros, le couvert, 500. C’est le deuxième dîner qu’organise Bruno Racine, le président de la BNF, avec le Cercle de la bibliothèque, dans une tradition de mécénat à l’américaine. Le précédent dîner de gala, en 2008, avait permis d’acheter une pièce unique de l’artiste Anselm Kiefer. L’État dispose de trente mois, à partir de l’arrêté paru le 29 janvier au Journal officiel, pour réunir la somme proposée par Yale.

Avant le début du repas (tartare de bar de ligne et salade d’herbes et légumes croquants, filet de veau rôti au four, girolles poêlées et asperges aux senteurs de thym citron, volupté glacé fraises des bois, orgeat, compote de rhubarbe, arrosé entre autres de château Dassault 2001), Bruno Racine revient sur son objet : sa «priorité est d’acquérir les archives de Guy Debord». «S’il fallait un certificat de bien-pensance pour entrer dans les collections de la Bibliothèque nationale, son rayonnement serait amoindri.» Sade aussi a été récupéré, pour paver l’Enfer de la BNF. Et pourquoi pas Debord, d’un bloc livré à la recherche ?

Hédonisme. Le premier lauréat du prix de la BNF, consacrant un auteur vivant de langue française pour l’ensemble de son œuvre, est annoncé : Philippe Sollers. L’ironie du moment n’échappe pas à l’auteur d’Un vrai roman, qui parle de «court-circuit historique». Il parle. De lecture («Être sur cette ligne de transmission secrète de la lecture»), de bibliothèques («des âmes»), d’hédonisme («Pour savoir lire, il faut savoir vivre»), de plaisir (il quittait la salle studieuse de la rue de Richelieu «pas pour brûler des voitures, mais pour faire des choses qui n’étaient pas bien vues à l’époque, qui ne le sont pas encore») et de Lautréamont («Qui lit encore de la poésie ?» semble-t-il dire).

L’exégète du situationniste le rappelle : «J’avais une grande admiration pour Debord, même s’il m’a critiqué.» Qu’en sera-t-il de ses archives à lui, Philippe Sollers ? «La négociation vient de commencer», lance-t-il en quittant la terrasse qui donne sur les jardins de la BNF. Il est minuit. Le dîner aura permis de rassembler, entre les tables et les dons, environ 200.000 euros. Alice Debord, fidèle à son principe, ne parle pas. Tout au plus dira-t-elle seulement : «Il ne serait pas venu.»


Leur presse (Frédérique Roussel, Libération), 17 juin.


3 millions pour Guy Debord

«Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles.»

Ceci est la première phrase de La Société du spectacle publié en 1967 par Guy Debord aux éditions Buchet-Chastel. Son livre culte. L’intellectuel s’est suicidé à 63 ans, en 1994 mais a pris soin, avant cela, de soigneusement classer ses archives. Aujourd’hui sa veuve, Alice, cherche à se séparer de l’ensemble et la Bibliothèque Nationale voudrait l’acquérir. Il n’existe pas de prix officiel demandé mais de source sûre il s’agirait de 3 millions d’euros. Difficile à réunir en ces temps de crise même si le ministère de la Culture a classé l’ensemble «trésor national». Un article en date du 12 février 2009 du Journal Officiel précise que ces archives sont «d’une grande importance pour l’histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle et la connaissance du travail toujours controversé de l’un des derniers grands intellectuels de cette période».

Le classement a un effet financier utile : 90% de la somme peuvent être déduits dans le cas ou ce serait une entreprise qui l’achèterait pour le compte de la BNF. 300.000 euros pour une grande société ça n’est pas grand chose, d’autant qu’elle peut en tirer des bénéfices médiatiques, organiser des réceptions dans les salles prestigieuses de la Bibliothèque Nationale à cette occasion etc. Ironie du sort, cela consisterait à jouer justement le jeu de la société du Spectacle donc.

Pour tenter de recueillir ces fonds et dans le cadre de son dîner annuel de donateurs qui a lieu pour la seconde fois était donc organisé hier soir une grande manifestation à 500 euros le ticket d’entrée pour attirer les mécènes. Des invités de choix, de Robert Peugeot (directeur de l’innovation chez Peugeot) à Pierre Leroy (numéro 2 du groupe Lagardère et grand collectionneur de manuscrits littéraires) en passant par la ministre de la Culture et Jean-Claude Meyer président du Cercle de la BNF et surtout associé gérant de la Banque d’affaires Rothschild et Cie. Ce dernier avait d’ailleurs un excellent mot repris de Pierre Dac : «Donner avec ostentation ça n’est pas très bien mais ne rien donner discrètement ça n’est guère mieux».

L’institution a, en tout, 30 mois pour trouver l’argent. Manifestement seulement la moitié de la somme a été réunie jusqu’à aujourd’hui. Les archives représentent pas moins de 20 mètres linéaires de documentation classées, de correspondances et le fameux manuscrit de la Société du spectacle inscrit sur trois cahiers d’écolier d’une écriture petite et finalement assez sage. Il ne faut pas se fier aux apparences.

Chaque pensée clef est numérotée comme celle portant le numéro 182 : «L’innovation de la culture n’est cependant portée par rien d’autre que le mouvement historique total». Voir et écouter sur Youtube son amusant Hurlements en faveur de Sade de 1952 pour comprendre ou se remémorer l’esprit du monsieur.

La ministre de la Culture admettait hier la «dimension paradoxale» du classement des archives de l’homme à la sensibilité révolutionnaire. L’université de Yale encore moins révolutionnaire que l’État français a manifestement aussi précisé qu’elle était candidate à l’achat de l’ensemble.

Leur presse (Judith Benhamou-Huet, Les Échos), 16 juin.


Voir aussi : Tout le monde veut Debord à son bord

Publié dans Debordiana

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