Lisez Debord
Debord, l'inépuisable
Deux ouvrages rassemblent des inédits de l'inventeur du situationnisme. Des «bonus» qui éclairent sa préhistoire.
Le filon Guy Debord est-il inépuisable ? Le pape du situationnisme, le pourfendeur de la société du spectacle disparu en 1994, a droit au traitement réservé aux «classiques». Les éditeurs Gallimard et Fayard publient des inédits des années 1950, qui, pour beaucoup d'auteurs, seraient restés dans les poubelles de l'histoire littéraire. Seulement voilà : Debord reste subrepticement à la mode, Debord intéresse un public de fidèles prêts à dévorer tous les morceaux — y compris ceux appartenant à la préhistoire — d'un maître qui ne voulait pas vraiment en être un.
Chez Gallimard, la question est tranchée. Guy Debord appartient au «patrimoine». En publiant les Enregistrements magnétiques, des documents inédits fournis par Alice Debord, la veuve du Superman de la subversion, l'éditeur compte non pas réitérer le bon coup de La Société du spectacle (130'000 exemplaires vendus en poche depuis 1996), mais porter témoignage en faveur d'une œuvre qui persiste à fasciner. Les lecteurs pourront en outre découvrir la voix de Debord et quelques sentences typiques dans les deux CD qui accompagnent le livre. Exemple, cette remarque qui, sans y toucher, malmène la sacro-sainte bande à André Breton : «Le côté rétrograde du surréalisme s'est manifesté d'emblée par la surestimation de l'inconscient, et sa monotone exploitation artistique.»
Le volume de Correspondance n'est pas moins cruel. Grand admirateur du cardinal de Retz, Debord assène dans ses lettres des phrases à l'ironie définitive que n'aurait pas reniées le célèbre frondeur. «Il est choquant de voir les gens se survivre, ils devraient changer de nom en même temps qu'ils se vulgarisent», écrit-il à une amie ! Mais ces lettres éclairent aussi les relations complexes de Debord avec les États-Unis, qui ne pourront manquer d'intéresser les amateurs. Pour Fayard aussi, publier du Debord, même confidentiel, «fait partie de l'image de marque» de l'éditeur. Il est vrai qu'en la matière l'État a montré la voie. En janvier 2009, les archives Debord ont été classées au patrimoine national.
Leur presse (Pascal Ceaux, L'Express), 18 octobre 2010.