Éducation : Les coulisses du "soutien personnalisé" du petit matin
Depuis la rentrée 2008, l’Éducation nationale propose une prise en charge personnalisée des élèves qui rencontrent des difficultés scolaires. Sur le secteur de la Petite Hollande, l’un des quartiers fragiles de la ville de Montbéliard (Doubs), ce soutien a lieu dès 8 heures le matin. Il n’est bien sûr pas question d’évaluer la pertinence, ni même l’efficacité de ce dispositif, M. Darcos veut qu’il soit pertinent et efficace, il est donc forcément pertinent et efficace. Je suis enseignante à Montbéliard et je vais partager avec vous un certain nombre de faits que j’ai pu observer depuis la rentrée.
Tout d’abord, tous les enfants que vous croisez à la Petite Hollande entre 7h40 et 7h55, cartable au dos, sont des élèves rencontrant des difficultés scolaires et rapidement qualifiés de mauvais élèves.
Vous croiserez aussi des parents d’élèves à cette heure-là. Je connais une mère qui a la malchance d’avoir une fille (en CE1) repérée pour du soutien personnalisé. Comme elle a aussi deux autres enfants (en Maternelle), elle lève tout ce petit monde de bonne heure pour être au rendez-vous de 8 heures pour la grande. N’ayant pas le temps de faire l’aller-retour de l’école à chez elle, elle arpente avec les deux plus jeunes les abords de la maternelle en attendant l’ouverture des portes à 8h20 (dans le froid, dans le noir, parfois sous la pluie). Cette mère a cessé d’amener sa fille aînée au soutien personnalisé quand il a commencé à faire très froid. Encore un bel exemple de parent démissionnaire…
Les grands mauvais élèves (CM1 et CM2) se présentent régulièrement au soutien avec leurs petits frères et petites sœurs. En effet, avant que n’existe ce merveilleux dispositif du soutien personnalisé, ces grands étaient chargés d’accompagner les petits à l’école pour 8h30 puisque les parents étaient déjà partis au travail. Deuxième exemple de parents démissionnaires.
Les enseignants confrontés à ce problème d’accueil des petits sur du temps de soutien ont été quelque peu déstabilisés. Ils n’ont bien sûr pas laissé ces jeunes enfants dehors pendant une demi-heure et les ont accueillis dans leur classe avec les aînés. Ils ont néanmoins signalé à leurs élèves que cet accueil n’était pas possible systématiquement. Tout le monde, grands et petits, a donc cessé de venir à 8 heures. Nous pouvons donc observer que le traitement de la difficulté scolaire est indissociable de la composition de la famille !
Par ailleurs, l’extension du temps scolaire sur de nouveaux créneaux pose la question de la responsabilité de l’école. Aucune gestion de la présence des élèves de 8 heures à 8h30 n’est organisée. Cela n’est pas important, le dispositif est de toute façon pertinent et efficace. Par contre, cela peut-être grave : l’absence d’un élève supposé être en soutien sera au mieux signalée à 8h40 (le temps de rentrer en classe et le temps que l’enseignant fasse l’appel).
Par exemple, une mère de famille ne pouvant accompagner sa fille pour 8 heures (deux bébés à la maison) l’a confié au grand frère, mauvais élève en CE1. Il faut souligner que le soutien du matin est plus facile à gérer quand, dans la fratrie, ils sont tous mauvais élèves.
Les penseurs de ce dispositif de soutien ont sûrement comme modèle qu’il y a des bonnes familles et des mauvaises familles. Dans une mauvaise famille, toute la fratrie se doit d’être en difficulté. Malheureusement cette configuration connait des dérapages. Dans notre exemple, le frère de sept ans, témoignant d’un manque d’autorité inadmissible (!) n’a pas réussi à convaincre sa sœur de 6 ans de rentrer dans l’école. Cette mauvaise élève de CP a donc passé sa demie-heure de soutien sur la passerelle qui relie l’école au parking des Hexagones.
Enfin, j’ai peur.
Il y a quinze jours, à 8h10, je découvre une élève (7 ans) blottie contre la porte du gymnase et qui me voyant arriver se précipite vers moi pour me demander de l’accompagner à l’école. Je reconstitue pour vous l’histoire : cette enfant n’est pas une mauvaise élève, mais elle a une sœur mauvaise élève (en Maternelle). Sa mère, ne fait pas partie des parents démissionnaires, elle a bien amené la plus jeune au soutien à 8 heures, mais n’a pu rester avec la grande jusqu’à 8h20, car un bébé était seul à la maison. Dans ce laps de temps, la fillette a fait la mauvaise rencontre de plus grands qui l’ont embêtée et, prenant peur, elle a rebroussé chemin pour se réfugier vers le gymnase.
Lamentable histoire que celle de cette enfant hypersensible qui n’est pas en capacité de d’affronter les «taquineries» de plus grands, tout cela dans le froid et l’obscurité d’un petit matin du mois de janvier. Lamentable histoire que celle de cette enfant dotée d’un frère de quatre mois tellement peu autonome que la mère est contrainte de rejoindre au plus vite le domicile.
Mise en difficulté de familles, d’élèves, d’enseignants, mise en danger d’enfants, voilà ce que génère l’École de la République aujourd’hui. Mais …chuuuuutttt…, les deux heures de soutien personnalisé constituent un dispositif de prise en charge de la difficulté scolaire très pertinent et très efficace.
Ces différents exemples des conséquences de de la mise en place du soutien personnalisé témoignent de l’incompétence du ministre en charge de l’Éducation. C’est peut-être une des multiples raisons pour lesquelles, ce jeudi 29 janvier 2008, un grand nombre d’enseignants est en grève. Ils défendent les valeurs de l’École de la République mises en danger par le gouvernement actuel, ils défendent les enfants et leurs familles tout autant mis en danger par l’incohérence des réformes.
Une enseignante
Montbéliard, le 29 janvier 2008.
Tous ces exemples sont réels, mais ils ont été anonymés de manière à préserver les enfants et leurs familles. Étant données les pressions actuelles sur les personnels récalcitrants de l’Éducation nationale, je tiens aussi à garder l’anonymat.