Émile Henry et la propagande par le fait

Publié le par la Rédaction


«Terreur noire», «période des attentats», «terrorisme anarchiste». Ce sont les années 1890, de 1891 à 1894 plus précisément, qui sont ainsi désignées. C’est cet enchaînement, du jeu de bombes de Ravachol s’attaquant aux juges et procureurs au tranchant de Caserio tuant un Président. Et entre temps, l’explosion du café où bossait le garçon qui balança Ravachol, Vaillant et sa bombe à clouer les députés, le retournement du commissariat de la rue des Bons Enfants (y en avait jusqu’au plafond) à défaut des bureaux des mines Carmaux, le plantage d’un ministre de Serbie par Léauthier ou Émile Henry frappant dans le tas d’un café. D’autres manifestations de la propagande par le fait s’exprimèrent avant ou après ce moment bien connu. Mais ces années-là furent particulièrement spectaculaires et mises en scènes, souvent réduites aux actions explosives. Chez les anarchistes orthodoxes, comme dans les livres d’histoire, on est bien obligé de se rappeler ce douloureux passé, qui permet tout de même quelques bonnes blagues et chansons osées. C’est aussi une sacrée épine dans le pied, dont on voudrait bien se débarrasser ou oublier et faire oublier. Toujours sur la défensive, certains préfèrent alors encore répéter que ces années furent un fiasco total, sinon une parenthèse — rien à voir avec ce qu’est réellement l’anarchie — ou encore un mal nécessaire qui fit évoluer le mouvement vers des méthodes plus constructives, moins explosives.

Le dernier livre sur le sujet, une biographie, qui vient de paraître aux Éditions Libertaires — Émile Henry, de la propagande par le fait au terrorisme anarchiste [
Walter Badier, Émile Henry, de la propagande par le fait au terrorisme anarchiste, Les éditions libertaires, 2007. Toutes les citations qui suivent sans indication de provenance sont tirées de cet ouvrage.] — se place toujours dans cette lignée, ne se démarquant guère de l’analyse officielle. Même si, pour une fois, l’auteur souhaite ne pas nier la volonté politique de l’individu. Mais il en fait un être à part — bourgeois et marginal — et dont l’acte marquerait un tournant : la mort de la propagande par le fait, devenu «terrorisme», et l’évolution de l’anarchisme vers d’autres formes d’action plus saines, comme le syndicalisme. La publication même du livre, au vu du 4e de couverture, prend des allures d’avertissement : «Une histoire qui, par les temps de désespérance sociale qui courent aujourd’hui, est susceptible, hélas, de redevenir d’actualité». Tandis que certains préviennent, s’inquiètent, d’autres ont déjà pris la mesure de ces avertissements, fichant ou enfermant les anarchistes d’aujourd’hui sur quelques «intentions», une tentative avortée d’incendier un véhicule de police ou une dénommée «association de malfaiteurs». Où l’on retrouve l’expression et les dispositions judiciaires prises en 1893 pour enrayer et stopper ces attaques dirigées contre la bourgeoisie, à coup de schlass, de bombes, de vols. Autres temps, autres pratiques, autres mœurs…

Il y a malgré tout beaucoup d’éléments dans ce livre. Une recherche méticuleuse. À tel point que l’on peut prendre une toute autre position en réutilisant de nombreux passages. Car ce sont surtout beaucoup de présupposés et une interprétation qui posent problème, bien pensants et qui ne s’écartent pas des sentiers battus. Ne serait-ce que par l’utilisation abusive de certains termes, ceux du pouvoir, comme l’usage fait des archives, principalement celles de la police. Évidemment, il est souvent difficile de disposer, pour ce sujet, d’autres sources aussi riches. Mais on peut donc proposer une autre interprétation en agençant et en soulignant des éléments différents… La propagande par le fait ne se limitait pas aux marmites à renversement, et c’est en tant qu’ensemble de pratiques qu’elle paraît le plus pertinent. D’autre part, elle prend tout son sens dans un contexte et un moment historique que l’on a tendance à négliger, obnubilé que l’on est par l’acte, qui perd alors beaucoup de son sens. Les années 1890 sont le moment d’une renaissance d’un mouvement ouvrier durement touché par les massacres, les condamnations et les exils de la Commune. C’est donc un renouveau des conflits et des luttes. Une époque, une ambiance bien plus intéressantes que ne laissent généralement paraître les biographies redondantes, les reprises des discours qui sapent les positions de classe et la mise en avant d’une sacro-sainte opinion publique, réinterprétable à merci.


Émile Henry, un passé bourgeois, une famille de révoltés

«Les éducateurs de la génération actuelle oublient trop fréquemment une chose, c’est que la vie, avec ses luttes et ses déboires, avec ses injustices et ses iniquités, se charge bien, l’indiscrète, de dessiller les yeux des ignorants et de les ouvrir à la réalité.»
(Déclaration d’Émile Henry à son procès)

Walter Badier s’étonne qu’aucune biographie n’ait jamais été écrite sur Émile Henry. C’est chose faite avec son ouvrage. Pour en faire le portrait, il se distingue en se situant au delà des accusations romanesques courantes — folie, désespoir amoureux ou mysticisme. Il ne nie pas la dimension politique du personnage. Mais une chose le chagrine malgré tout : «ses qualités intellectuelles lui auraient probablement permis de servir autrement la cause anarchiste». Il ne peut s’empêcher de dresser une image non moins habituelle et réductrice : bourgeois, marginal, terroriste… La même ritournelle, les mêmes portraits castrateurs entendus maintes fois dans les cours de justice ou bureaux de police. Badier feint également l’étonnement, constamment rejoué, face à tout geste de révolte. «Un rédacteur du Journal des Débats indiqua le 14 février 1894 à ses lecteurs qu’il ne connaissait pas de causes “aussi étranges et mystérieuses que celles qui déterminèrent, dans l’âme du jeune Henry, l’éclosion de ses sentiments anarchistes”.» «Comment ce jeune bourgeois est-il devenu anarchiste ?» s’interroge l’avocat général et Badier en cœur avec lui. Comme si le monde tel qu’il est et tel qu’il nous entoure ne donne pas à lui seul toutes les raisons pour se révolter. Quel besoin de chercher dans les histoires personnelles, dans l’environnement familial, les ruptures, les déviations, les faux pas ?

Et s’il faut vraiment fouiner dans son enfance et sa famille, la surprise disparaît d’elle-même. «Il y a chez ces hommes un sentiment de révolte extraordinaire ; ils viennent des anciens Camisards, le père était dans la Commune. Ils seront plus anarchistes que l’anarchie ou plus royalistes que le roi sous la monarchie. Toujours dans l’opposition et dans la révolte.» [
Témoignage au procès d’Émile Henry d’un parent par alliance, le comte Ogier d’Yvry, cité par Jean Maitron, Ravachol et les anarchistes, Paris, Gallimard, 1992, p. 99] Émile Henry est né en Espagne en 1872, où son père, quarante-huitard puis communard condamné à mort, s’était exilé. Ce dernier, ouvrier sculpteur sous le Second Empire, fait des affaires plus ou moins bonnes dans l’exploitation de mines d’or, d’argent et de charbon en Espagne et en meurt, empoisonné aux vapeurs de mercure, en 1882, soit deux ans après l’amnistie et son retour en France. Sa mère se débrouille tant bien que mal avec ses enfants. Elle récupère une maison de famille et y installe un débit de boisson, fréquenté par des ouvriers terrassiers. Emile continue d’aller gratuitement à l’école en qualité de «pupille de la ville de Paris». Puis, avec des bourses et diverses aides du reste de la famille, il passe son bac et est promis à l’école Polytechnique pour devenir un ingénieur brillant et reconnu.

Dès lors, rien à voir avec la vie de trimard d’Auguste Vaillant ou celle de cambrioleur de Ravachol, tous deux le plus souvent sans le sou. Mais Émile Henry n’était pas ignorant des conditions faites aux prolétaires et il fuit une belle destinée de bourgeois toute tracée. En 1889, il refuse de se présenter au concours d’entrée à Polytechnique, en particulier pour des raisons antimilitaristes. Il choisit de se lancer à travailler avec un de ses cousins. «Pour ce jeune homme, “absolument neuf dans la vie”, qui a toujours vécu dans des environnements protégés et favorables à son épanouissement, la découverte de la réalité sociale va entraîner un profond sentiment de révolte. Allant de déception sentimentale en désillusions sur la société, le jeune Émile va progressivement se placer en marge de la vie sociale “traditionnelle”.» Certains ont la mémoire, la souffrance, la rage moins courte que d’autres : les crimes de la Commune, l’exil ou la mort, l’exploitation et l’intoxication faisaient déjà partie de sa courte vie…

«Toi qui me connais, tu pourras leur dire que les criminels sont ceux qui rendent la vie impossible à tout homme de cœur, qui soutiennent un état social où chacun souffre ; tu leur diras que ce ne sont pas ceux qui refusant dans cette société, un rôle que leur dignité refuse, se rangent du côté du peuple, se font peuple comme lui, et se donnent entièrement pour son émancipation.»
(Lettre d’Émile Henry adressée à sa mère
de la Conciergerie, 19 février 1894)

Le plus difficile à comprendre pour ces gens-là reste pourquoi, promis à une si glorieuse et si tranquille carrière, finalement embauché à un poste stable, il choisit la misère et la galère — «la marginalité» — en quittant son emploi et en refusant de faire son service militaire — «un acte civique par excellence». Ajoutons à cela un part de psychologie de bas étage — «insertion difficile dans la société», «être hyper-sensible et idéaliste», «perte quasi totale de repères», «situation d’anomie», et le tour est joué. «C’est dans ces dispositions psychologiques très particulières, constituant naturellement un terrain favorable à un engagement vers un mouvement radical, qu’Émile Henry rejoignit les libertaires.» Marginalisation, désespoir social, et l’on redécouvre les rengaines habituelles pour expliquer, raisonner, encadrer une vie que l’on veut présenter comme «à part». Alors qu’elle ressemble à celle de beaucoup d’autres.

Badier place Émile Henry hors du monde, hors du commun, comme s’il ne partageait rien avec d’autres, si ce n’est d’autres anarchistes. Il utilise également ce procédé à une échelle plus vaste, pour l’ensemble du mouvement anarchiste dans les années 1880-1890 : «isolement (…) depuis sa mise à l’écart de l’Internationale en 1872», «isolé, coupé du reste de la société», «à la recherche de moyens d’actions efficaces et plus encore d’une véritable identité». Façon d’expliquer encore une fois le passage à l’action plus violente : «Une fois abandonné l’espoir de regrouper sous la même bannière, celle de l’Internationale, l’ensemble de la classe ouvrière, les anarchistes se vouèrent à une action insurrectionnelle et illégale au détriment de la lutte ouvrière et revendicatrice.» Une vision fort contestable puisqu’à aucune autre époque les anarchistes ne furent autant impliqués et imbriqués dans un milieu ouvrier combatif, dont ils étaient bien souvent issus et qui gagnait alors en force. Certains menaient de front et de concert l’action insurrectionnelle et illégale et la lutte ouvrière, où la plupart forgeaient leurs premières armes. Cela tandis que les socialistes — qui étaient l’autre frange du mouvement révolutionnaire de l’époque — s’orientaient progressivement vers le parlementarisme. Bref, isoler, circonscrire, un individu ou un «mouvement», c’est toujours le meilleur moyen de minimiser les luttes et les révoltes d’un époque.

Émile Henry, selon Badier : un bourgeois donc, un marginal aussi, un terroriste enfin. Dernière figure qui aujourd’hui encore plus qu’hier différencie, isole et effraie. Terme que l’auteur utilise à tire-larigot, dans son titre même, sans chercher seulement à s’interroger sur le sens passé ou actuel de ce mot, et ce que son usage sous-tend. Maintenant, «le mot “terrorisme”, déconnecté de son sens originel et employé exclusivement avec une intention de dénigrement actif de la violence politique de l’autre, est devenu par excellence l’instrument de l’amalgame policier» [
Léon de Mattis, «État et terrorisme», Indymedia Paris, 18 avril 2008]. Son emploi immodéré dans le livre est donc particulièrement agaçant. Même si du temps d’Émile Henry et de ses comparses, un terroriste reste celui qui utilise la terreur comme moyen d’arriver à ses fins. Mais c’est évidemment la bourgeoisie qu’il s’agit de terroriser. Nuance d’importance que la bourgeoisie, son gouvernement et sa presse vont chercher à masquer et faire oublier. Pour forger l’image de l’anarchiste, ou du terroriste, écorché vif, impulsif, névrosé, prêt à tout détruire et donc à s’attaquer à tout et à tous sans distinction aucune.


Frapper dans le tas… des bourgeois

«J’ai voulu montrer à la bourgeoisie que désormais il n’y aurait plus pour elle de joies complètes, que ses triomphes insolents seraient troublés, que son veau d’or tremblerait violemment sur son piédestal, jusqu’à la secousse définitive qui le jetterait bas dans la fange et dans le sang. (…) Et les victimes innocentes ? (…) La maison où se trouvait les bureaux de la Compagnie de Carmaux n’était habitée que par des bourgeois. Il n’y aurait donc pas de victimes innocentes. La bourgeoisie, tout entière, vit de l’exploitation des malheureux, elle doit toute entière expier ses crimes. (…) Les bons bourgeois qui, sans être revêtus d’aucune fonction, touchent cependant les coupons de leurs obligations, qui vivent oisifs des bénéfices produits par le travail des ouvriers, ceux-là aussi doivent avoir leur part de représailles.»
(Déclaration d’Émile Henry à son procès)

Si le geste d’Émile Henry marque bien un tournant dans l’élan propagandiste de ces années, la raison n’est pas à chercher dans son passé, son caractère ou dans un acte devenu «terroriste». Par sa cible et ses propos, il ouvre une brèche dans laquelle vont s’engouffrer ses ennemis, brèche dans laquelle Badier s’engouffre également. «Émile Henry ne prit pas pour cible tel ou tel personnage symbolique des institutions ou détenteur de l’autorité, mais le peuple dans sa globalité.» Bien avant d’avoir attrapé Henry, il fallait faire trembler dans les chaumières en agitant le spectre des anarchistes. «Les gouvernements traitent les peuples comme certains parents traitent leurs enfants, ils leur inspirent la peur de quelque monstre imaginaire pour les faire rester tranquilles.» [
Jacques Mesnil, Le Mouvement anarchiste, Bruxelles, Bibliothèque des Temps Nouveaux, no 9, 1897, p. 48] Avec lui, on en remet une couche : c’est un bourgeois, un intellectuel et il s’attaque à n’importe qui. Il voulait «frapper dans le tas», qu’importent les «victimes innocentes». Badier va plus loin, Émile Henry aurait dénié «l’existence d’un antagonisme social» pour s’attaquer «à l’ensemble de la société sans la moindre distinction». Un antagonisme social bien vite oublié dans le restant du livre. Et à relire les déclarations d’Henry à son procès, il s’agissait pourtant bien de frapper dans un tas de bourgeois.

«Vous avez le mépris de la vie humaine. Non, de la vie des bourgeois» répondra-t-il à ses juges. La distinction peut paraître légère et facile, maintenant que la distinction de classe se veut toujours plus embrouillée. Elle l’était moins à une époque où la guerre sociale battait son plein, plus clairement énoncée, aux antagonismes plus marqués et plus physiques. Non pas pour dire qu’aujourd’hui, exploitation et domination ne tuent plus, mais de façon plus voilée et à peine masquée. À la fin du XIXe siècle, l’armée pouvait tirer dans une foule de grévistes et faire presque une vingtaine de morts. Ailleurs, d’autres grévistes balançaient un ingénieur par la fenêtre et le tuaient. Badier le rappelle tout en soulignant un «profond malaise social et politique de l’époque» ou «le difficile apprentissage de la démocratie, le problème de crédibilité dont souffrait alors la République, ainsi que le désespoir et la résignation d’une partie de la population»…

La bourgeoisie à laquelle Henry s’attaque, avec ou sans fonction, avec ou sans uniforme, est responsable des épisodes sanglants de la Commune ou des répressions meurtrières des dernières grèves, comme à Fourmies. Elle vit dans l’opulence tandis que nombreux sont ceux qui meurent à la tâche et dans la misère. Enfin, elle s’est attaqué aux anarchistes, tous les anarchistes sans distinction, en enfermant, isolant, exilant. Le simple fait de crier «Vive l’anarchie» un peu éméché au sortir d’un bar devient désormais un acte lourd de conséquence alors que quelques mois auparavant, le ministère de l’Intérieur peinait à enfermer Fortuné Henry, le frère d’Émile, en tournée de conférence pour défendre Ravachol, «les explosions, le droit au vol, le droit à l’assassinat». La liste des anarchistes surveillés par la police s’étoffe, comme pour pallier l’impuissance à prévenir tous les actes individuels. Le 1er janvier 1894, après la bombe de Vaillant, avant celle d’Henry, la police procède à 552 perquisitions dans toute la France. S’ensuivent 117 arrestations… Rebelote en février puis en juillet. Le parlement vote également très rapidement les fameuses «lois scélérates». Pour Émile Henry, la question de cibles plus symboliques ne se pose même plus, c’est donc la bourgeoisie dans son intégralité à laquelle il faut s’attaquer.

Malgré ce qu’il pût bien raconter, la version qui perdure est celle d’une attaque peu ciblée, s’attaquant même à la masse veule des électeurs. La cible pouvait se prêter à de tels considérations : un café musical bondé de bourgeois n’est pas l’Assemblée, les domiciles bourgeois, un commissariat. Lui-même s’aventura à des propos hasardeux vis-à-vis des employés, qui méritaient, au même titre que les bons bourgeois, leur part de représailles : «tous ceux qui sont satisfaits de l’ordre actuel, qui applaudissent aux actes du gouvernement et se font ses complices, ces employés à 300 et à 500 F par mois qui haïssent le peuple encore plus que les gros bourgeois, cette masse bête et prétentieuse qui se range toujours du côté du plus fort, clientèle ordinaire du Terminus et autres grands cafés». Et il complète : «Voilà pourquoi j’ai frappé dans le tas sans choisir mes victimes». Il ne faisait qu’ajouter à sa haine de classe celle d’une masse inerte, avec qui tout serait possible si elle se prenait à refuser les exactions des bourgeois. Haine également de ceux qui étaient prêts à balancer leurs frères de misère pour rien, quelques reconnaissances du maître, une courbette d’esclave. Tel ce serveur qui dénonça Ravachol ou l’employé qui aida à arrêter Henry.


Les dessous de l’opinion publique

«Même, parmi les ouvriers, pour lesquels j’ai lutté, beaucoup, égarés par vos journaux, me croient leur ennemi. Mais cela m’importe peu. Je ne me soucie du jugement de personne.»
(Déclaration d’Émile Henry à son procès)

Pour appuyer la version fanatique d’un jeune terroriste frappant des victimes innocentes, Badier s’intéresse à la réception de son acte. «Au-delà même de ses actes terroristes, Émile Henry, en apparaissant aux yeux de l’opinion publique comme un véritable fanatique, là où ses prédécesseurs avaient essentiellement été perçus comme des désespérés, voire comme des “victimes du système social” modifia la perception par le grand public des crimes anarchistes.» Il n’est peut-être pas nécessaire d’aller jusqu’à prétendre le contraire : il y eût assurément des sceptiques, des furieux, des apeurés, des va-t-en-guerre, des prêts à croire les journaux. Mais ses sources sont un peu limitées : même chez les sociologues officiels, on trouve un scepticisme quant à la capacité de la presse à refléter l’opinion des braves gens, c’est dire ! Les anarchistes tenaient déjà cette critique, connaissant la presse comme au service du pouvoir : «Les bourgeois eux-mêmes s’aperçoivent sans doute que l’argent jeté à pleines mains par les gouvernements pour surveiller, provoquer et réduire les anarchistes, ne suffit pas à enrayer le mouvement car ils renforcent l’action officielle en tâchant d’influencer constamment l’opinion publique par la parole et par les écrits. Ainsi que je l’ai dit déjà, la Presse est l’instrument de cette contre-propagande, la calomnie en est le moyen.» [
Jacques Mesnil, Le Mouvement anarchiste, op. cit., p. 55]

D’autres témoignages apportent des éléments divergents. Un mastroquet de Belleville a par exemple raconté l’intérêt pour les anarchistes qu’il a remarqué chez ceux qui fréquent son bistrot. Henry ne suscita pas la sympathie indéniable que s’attira Vaillant. «Pourquoi s’en prendre à des individus paisiblement assis en un lieu public ?»
Mais on s’y attacha également. «La société bourgeoise ne rejetterait plus, avec quel dédain ! la violence barbare de la guerre entreprise contre elle sur l’exacerbation d’une poignée d’ouvriers insuffisamment dégrossis. (…) Quand il comparut en cour d’assises, on commenta son interrogatoire, on pesa, on répéta le moindre de ses mots, avec l’évidente satisfaction de le voir dominer tout et tous.» [Henry Leyret, En plein faubourg. Notations d’un mastroquet sur les mœurs ouvrières (1895), Les Nuits Rouges, 2000, p. 160-161] Difficile de résister au plaisir de mentionner quelques réactions piochées ici et là aux explosions éclatantes de ces années-là. Loin des analyses bien plus coincées que l’on connaîtra par la suite : «dernière poussée de fièvre d’une maladie infantile» pour Jean Maitron ou «déviation épisodique et stérilisante de l’anarchisme» pour Daniel Guérin… Dans le bistrot cité ci-dessus, on réagit à l’acte de Vaillant en regrettant qu’il n’y ait pas plus de blessés dans «l’Aquarium» (l’Assemblée). Un flic rapporte ces propos entendus lors de l’explosion sur le boulevard Magenta : «Ah ! Disait l’un en parlant des victimes, encore quelques vaches de moins. On en a marre des flics et des cognes. Le rêve, mon vieux, ce serait qu’ils y passent tous jusqu’au dernier. Tu parles alors d’une nouba.» [Ernest Raynaud, cité par André Salmon, La Terreur noire, Paris, Union Générale d’Éditions, 10/18, 1973, T.I, p. 255] Fortuné Henry, échaudé par l’arrestation de Ravachol, parcourait le pays, prononçant des discours devant jusqu’à 600 personnes : «Il n’a parlé que de faire sauter, supprimer ou tuer patrons, bourgeois, capitalistes, commissaires, etc. “Il faut ouvrir le ventre à quatre ou cinq patrons, dit-il, et les autres rendront leurs comptes… Nous les jetterons par la fenêtre comme Watrin… Nous les dynamiterons… Il ne faut pas pérorer mais agir, etc.”» [Rapport de la préfecture de l’Aisne au Ministre de l’Intérieur, Laon, 8 août 1892, Archives Nationales, F7 15968 dossier de Fortuné Henry] Campagne qui fit «beaucoup de mal», selon les propos même du ministère de l’Intérieur à la Justice [Lettre du Ministère de l’Intérieur au Ministère de la Justice, Paris, 10 novembre, AN, F7 15968]. Certains profitèrent de l’occasion pour effrayer leur propriétaire ou leur concierge, en rédigeant des lettres de menace, dont plusieurs milliers sont réunies dans des cartons de la préfecture de police. «Et l’on vit un propriétaire donner congé au commissaire de police qui avait arrêté Ravachol et se trouvait, de ce fait, menacé de représailles anarchistes ou encore un magistrat de Saint-Étienne s’enfuir pour ne pas juger les complices de Ravachol. Cas isolés certes, mais qui donnent une idée de la crise…» [Jean Maitron, Ravachol et les anarchistes, op. cit., p. 13] Il devenait donc urgent de mettre fin à ces petites sauteries meurtrières. Tous les moyens habituels furent donc mis en branle.

Et l’acte d’Henry, qui venait quelques semaines après le succès populaire rencontré par celui de Vaillant, et l’indignation suscitée par son exécution, devait servir un autre dessein. La grande presse joua sur différents tableaux qui ne lui furent guère favorable : son «passé bourgeois» et ses «victimes innocentes». Quand à ce que ressentit «l’opinion publique», inutile de batailler plus avant avec Badier. Selon lui, ces deux attentats «suscitèrent l’incompréhension et surtout la colère de l’opinion publique. Plus encore le peuple français, au premier rang duquel se trouvaient ses dirigeants, entendait désormais lutter plus vigoureusement contre l’anarchisme». Pour lui, l’opinion publique se lit évidemment dans la grande presse et le «peuple français» suit aveuglément ses dirigeants… Quoi qu’il en soit, l’exécution d’Henry fut assurément une erreur tactique. Même Maurice Barrès le signale, affligé, comme Clémenceau, par le spectacle de l’exécution. «Quand la voiture, qui m’éloignait de ces scènes honteuses, fut rejointe par le fourgon du cadavre, fuyant ventre à terre vers Ivry, je vis la foule saluer celui qu’elle eût voulu écharper sur le trottoir du Terminus. La matinée du 21 a servi la révolte et desservi la société. La lutte contre des idées se mène par des moyens psychiques, non avec les accessoires de M. Deibler.» [
Maurice Barrès, cité par Jean Maitron, Ravachol et les anarchistes, op. cit., p. 117. Deibler était le bourreau qui maniait la guillotine. Il exécuta de nombreux anarchistes, de Ravachol aux Bandits Tragiques.] Quelques temps auparavant, le restaurant Foyot sautait. L’auteur est resté inconnu. Puis, Pauwels mourra avec la bombe qu’il destinait à l’église de la Madeleine, «temple d’une bourgeoisie huppée». Cible que l’on considérera donc comme mieux choisie, s’il ne s’était fait sauter avec sa création… Enfin, Caserio poignardera Carnot. Il faudra bien un Procès des Trente, tenu en juillet de cette bruyante année, et sa grossière entourloupe pour calmer le jeu…


Chez les «vrais» anarchistes…

«Je n’ignore pas non plus qu’il existe des individus se disant anarchistes qui s’empressent de réprouver toute solidarité avec les propagandistes par le fait. Ils essayent d’établir une distinction subtile entre les théoriciens et les terroristes. Trop lâches pour risquer leur vie, ils renient ceux qui agissent. Mais l’influence qu’ils prétendent avoir sur le mouvement révolutionnaire est nulle.»
(Déclaration d’Émile Henry à son procès)

Émile Henry savait depuis plusieurs années qu’il encourait par ces actes la critique de nombreux compagnons. Il avait vécu les dissensions qui étaient nées avec la célébrité de Ravachol. Avec son frère, ils l’avaient soutenu par des conférences. Ils avaient fait craindre à la police qu’ils interviendraient à Montbrison le jour de son exécution. Et ils furent arrêtés à cette occasion. Dans la presse anarchiste également, Émile s’était opposé aux jugements moraux des anarchistes : «Faudra-t-il que les Ravachols futurs, avant d’engager leur tête dans la lutte soumettent leurs projets à l’acceptation des Malatestas érigés en Grand Tribunal, qui jugeront de l’opportunité ou de l’inopportunité des actes ? (…) Lorsqu’un homme, dans la société actuelle, devient un révolté conscient de son acte, — et tel était Ravachol — c’est qu’il s’est fait dans son cerveau un travail de déduction embrassant toute sa vie, analysant les causes de ses souffrances, et lui seul est juge s’il a raison ou tort d’avoir de la haine, et d’être sauvage, “voire même féroce”. (…) Chacun de nous a une physionomie et des aptitudes spéciales qui le différencient de ses compagnons de lutte. (…) nous ne leur reconnaissons pas le droit de dire : “Notre propagande seule est la bonne ; hors de la notre, pas de salut.” C’est un vieux reste d’autoritarisme que nous ne voulons supporter, et nous aurions vite fait de séparer notre cause de celle des pontifes ou aspirants tels.» [
Émile Henry, L’En Dehors, no 69, 28 août 1892]

Et comme il pouvait s’y attendre, son acte suscita bien des critiques. Badier s’appuie sur celles d’Élisée Reclus — «Tous les attentats dans le genre de celui du Terminus, les vrais compagnons les considèrent comme des crimes» — ou d’Octave Mirbeau — «Un ennemi mortel de l’anarchie n’aurait pas mieux agi que cet Émile Henry» — pour illustrer les réactions négatives des anarchistes eux-mêmes. Là encore, ses sources sont un peu limitées. Si Mirbeau tint de tels propos, son article en rendit furieux plus d’un dans les milieux anarchistes. D’autres littérateurs fréquentant la Revue blanche font en effet circuler la «déclaration farouche» d’Émile Henry, qu’ils sont «loin de considérer comme un être purement malfaisant» [
Jean-Pierre Lecercle, Littérature, Anarchies, Paris, Place d’armes, mai 2007, p. 61]. Certains se réjouirent ou simplement soutinrent ce compagnon et son geste. Et il faut au moins reconnaître cette volonté générale de ne pas écraser de ses critiques ou de ses condamnations un compagnon entre les mains de la justice.

Même chez certains socialistes, on trouve des réactions plutôt étonnantes. « ongeons-nous que, s’il n’y avait pas de misérables mourant de faim, il n’y aurait pas non plus d’anarchistes ? Car ceux-ci ne sont que des désespérés forts et résolus, les autres sont des désespérés faibles et soumis ; tous, au même titre, sont les produits et les victimes de notre état politique, économique et social.» Ils marquent tout de même leurs distances avec les anarchistes et en profitent évidemment pour vendre leur soupe : «N’est-il donc aucun moyen de garantir notre société contre les attentats criminels des anarchistes ? Il en est un, des plus simples. Donnez aux classes ouvrières l’espérance, les attentats cesseront aussitôt. Rendez aux masses la croyance que le gouvernement et les chambres travaillent vraiment à leur prospérité, rendez leur l’espérance qu’il en naîtra pour elles un meilleur avenir. (…) il n’y aura plus d’anarchistes.» Chacun profite de l’événement pour affirmer encore son opposition, mais en proposant des modes d’action différents.

Comme concept, la propagande par le fait engendra des ruptures profondes dans les milieux anarchistes. Non pas tant autour de la question des moyens, mais bien plutôt sur ce que devait désormais signifier «l’anarchie» et qui serait digne de la représenter. La séparation que soulignait déjà Émile Henry entre les théoriciens et ceux qui agissent s’illustra de façon éclatante lors du Procès des Trente qui eût lieu en juillet 1894. Trente accusés d’horizons différents regroupés dans une même «association de malfaiteurs», des théoriciens comme Jean Grave, des artistes comme Félix Fénéon, des cambrioleurs comme Ortiz. Les trois quarts des accusés furent acquittés, les autres, cambrioleurs et bandits furent condamnés. Et comble de l’ironie, ce Procès fut présenté comme une grande victoire. Justice avait été rendue ? On aimerait bien savoir ce qu’en pensa Ortiz.

«Ce verdict de sagesse, s’il contribua à l’apaisement, ne fut cependant pas la cause déterminante de la fin des attentats. Cette cause fut la condamnation, par les anarchistes eux-mêmes, de la “dynamite individuelle”, condamnation prononcée avant même qu’aient explosé les premières bombes de Ravachol.» [
Jean Maitron, Ravachol et les anarchistes, op. cit., p. 14] En réalité, ceux-là même qui tenaient les rênes du discours, les théoriciens, Grave, Kropotkine, Reclus pour ne citer qu’eux, revenaient sur les propos qu’ils avaient pu tenir dix ans plus tôt en faveur de l’illégalité et de l’usage de procédés chimiques dans la lutte sociale, pour donner à l’anarchie de nouvelles lettres de noblesse. De la propagande par le fait, ils n’entendaient désormais garder que l’aspect le plus fade, cette propagande, par l’écrit principalement, qui devait éveiller tous ceux qui manquaient de la bonne conscience pour s’attaquer en masse à l’ennemi. Des faits, il ne leur restait rien. C’est pourtant ces faits eux-mêmes qui rendirent populaires des idées anarchistes… «Les attentats anarchistes ont fait beaucoup plus pour la propagande que les vingt ans de brochures de Reclus ou de Kropotkine. [Félix Fénéon] montre la logique des divers attentats qui attaquent avec Gallo la Bourse, avec Ravachol la magistrature et l’armée (caserne Lobeau), avec Vaillant les députés, avec Henry les électeurs, peut-être plus coupables que les élus, puisque ceux-ci sont forcés par eux de faire ce métier de députés, qui lui semble le plus anarchiste.» [Félix Fénéon en discussion avec Paul Signac, cité par Caroline Granier, «Nous sommes des briseurs de formules» : Les écrivains anarchistes en France à la fin du dix-neuvième siècle, Thèse, Paris-VIII, 2003, vol. II]

Ce qui se joue à ce moment-là, qui va au-delà de la personnalité d’Henry ou de son acte, c’est l’accentuation d’un flou autour de la guerre de classe que mènent les anarchistes, un flou très bien orchestré, comme toujours par ceux qui savent clairement de quel bord ils se trouvent. C’est aussi la rupture assumée entre ceux qui prônent un anarchisme mouvement, raisonnable, bien circonscrit et qui se donnent pour mission d’expliquer, décrire ce nouveau -isme et de conscientiser les masses d’avec ceux qui se lancent dans l’action, ne se résignent pas aux bornes de la légalité, refusent comme bien d’autres leur condition.


Quant à la propagande par le fait

«Et, comme — invinciblement — la sympathie des foules s’en va aux ennemis des sociétés qui les tiennent courbées sous le joug insupportable de la Richesse, les travailleurs, en désarroi de leur détresse, se sentaient attirés vers les anarchistes, dans l’indifférence complète des doctrines et des théories, créant, en une communion d’amertume, de misère, de sombre désespérance, un anarchisme aussi terrible pour les classes dirigeantes que la propagande par le fait des militants : l’anarchisme de sentiment.»
(Henry Leyret, 1895)

Pour finir, on peut adopter un point de vue critique sur ces actes, mais en refusant de répéter le discours tenu par la presse, la police ou la justice de l’époque. Le côté martyr individuel — qui émeut de façon assez large — ressort trop souvent pour ne pas être un peu dénigré. Tous ne se voyaient pourtant pas comme tel, même si certains jouèrent sur cet aspect, et que beaucoup de littérateurs en firent leur beurre. L’autre aspect plus agaçant, c’est cette idée exprimée de réveiller ou guider les masses par une action exemplaire. La propagande par le fait paraît plus pertinente comme volonté d’une mise en acte au quotidien par tous et chacun de ce à quoi l’on aspire. C’est aussi une réflexion sur des actes de révolte diffus et partagés. Ce qui évite de mettre en exergue une seule pratique — comme la marmite à renversement ou la dynamite — ou de s’engluer dans de simples prises de positions théoriques. La mise en avant de l’explosion masque parfois le projet collectif de société.

Car la propagande par le fait n’était pas seulement ces quelques bombes des années 1890, rendues spectaculaires et exceptionnelles par la presse. «Il importe de ne pas se laisser assourdir par les explosions : elles n’en constituent qu’un aspect, le moindre au regard de tous ces actes de révolte, individuels ou collectifs, allant de l’estampage à la bombe, du watrinage […] à la reprise individuelle.» [
J.-P. Lecercle, Littérature, Anarchies, op. cit., p. 161] La propagande par le fait, c’était tout une palette d’actes qui allait du tract au cambriolage, de violents discours aux incendies en passant par la fausse monnaie. Ce fut simplement pour certains la volonté de vivre comme ils l’entendaient, en se confrontant aux tenants de l’ordre établi. Elle ne fut donc pas limitée à quelques bombes, et encore moins à quelques bombes parisiennes. Dans les Ardennes, les années 1880 furent ainsi marquées par des actes variés : 1884, un incendie se déclare chez un propriétaire ; 1887, de la dynamite est lancée à travers la fenêtre d’un industriel ; 1888, le drapeau noir est porté par des ardoisiers en grève ; sans compter les troubles et bagarres dans les réunions électorales, dans les salles des conscrits, avec la gendarmerie. Et l’année 1891 est particulièrement agitée : grèves, feux de forêts (trois incendies éclatent en même temps la nuit précédent le 1er mai), explosions dans deux gendarmeries et explosifs retrouvés sur le rebord de fenêtre de la maison d’un industriel pour cette seule région. On a donc réduit la propagande par le fait à sa plus simple expression : quelques actes, en quelques lieux seulement et à une période restreinte dans le temps, alors qu’elle fut bien plus que cela.

Elle n’était pas non plus seulement le fait de groupes anarchistes que l’on imagine organisés et coordonnés entre eux. Beaucoup des actes des anarchistes sont simplement inspirés d’actes s’exprimant déjà dans les milieux ouvriers. À l’inverse, certains se proclamèrent anarchistes à la suite de certaines pratiques sans avoir même jamais rencontré, en personne ou par écrit, les tenants d’un parti ou d’une idée. Certains firent ces choix seuls, comme Clément Duval en 1886 [
Accusé de vol et pillage d’un hôtel bourgeois et de tentative d’assassinat de l’agent qui tenta de l’arrêter, il se réclama de l’idéal anarchiste] ou Léon Léauthier en 1894. C’est la rencontre entre une idée, un discours radical et des pratiques déjà existantes qui fait la force de certains moments, et de l’anarchie de ces année-là. C’est la proximité des anarchistes déclarés avec les trimardeurs, les voleurs, les faux-monnayeurs, les faiseuses d’anges, les contrebandiers que le bruit des bombes fait oublier. C’est aussi une condition commune d’exploitation auxquels beaucoup cherchent à échapper. Association de travailleurs ou de malfaiteurs. Un certain nombre de prolétaires se reconnaissent donc dans ces différentes démarches tant pour échapper à leur condition que pour continuer à s’organiser et à lutter contre les affameurs. Ce qui fait qu’il n’existait alors aucun «mouvement» mais une multiplicité de gens pouvant se réclamer de l’anarchie. Multiplicité qui sera dupée lors du procès des Trente aboutissant à une division entre les littérateurs et théoriciens d’un côté et les coquins de l’anarchie de l’autre.

Ces ruptures ont été entérinées avec le temps. Les tenants d’un anarchisme orthodoxe, bien pensant et propre sur lui ont survécu. Et il est toujours très épineux de parler de la propagande par le fait et de cette fin de siècle anarchiste. On entend toujours en écho la condamnation de celle-ci, la violence, les morts et blessés. Mieux vaut parler syndicalisme (et l’écho : bien, très bien, constructif, passé glorieux, âge d’or de l’anarchisme…) Cela a au moins l’avantage de n’effrayer plus personne. Pourtant, la propagande par le fait, sous toutes ses facettes, a eu un certain succès, il faut bien le dire. Elle a même été internationale. Et ceux qui s’en défendent ont peut-être perdu en se rétractant.

Rose Caubet
À corps perdu no 1, décembre 2008
Revue anarchiste internationale.

Publié dans Agitation

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