Sur la journée du 21 juin, en quelques parts de Paris
Le rencard était donné à 15 heures pour un rassemblement à la fontaine des Innocents, plein quartier des Halles. On est en famille, comme d’hab un peu, on reconnaît les copains derrière les cagoules et les masques, qui cachent déjà pas mal de visages malgré le décret qui vient de tomber. Et aussi d’autres tronches, un peu, heureusement quand même. Des Verts (déjà présents à la manif du 31 janvier). Quelques amis d’ailleurs en France et en Europe.
Une grande banderole, blanche, maintenant plus de mots et plus de revendications, mais des actes. Il sera quand même écrit «Tarnac, l’arbre qui cache la forêt» avant de partir.
On se met en route, en avance de l’heure plus ou moins prévue, vers 16h30. Grosse percus sur des bidons, et surtout plein de bâtons qui frappent la cadence en même temps sur le sol, et aussi les premiers pétards, fumigènes et feux d’artifice. Si on a pu croiser des badauds plus ou moins bienveillants, on devait sans doute être aussi effrayants. En tous cas à être au milieu du cortège, il y a une forme de transe, un rythme de vibrations qui traverse les corps, et une belle envie qui semble les animer.
Si tout un tas de trajectoires avait pu être planifié, l’idée de cibler l’Administration pénitentiaire toute proche motivait déjà le mouvement. Donc nous voilà de la fontaine des Innocents vers Beaubourg, puis juste derrière, rue du Renard, à droite bien sûr, à l’assaut de la salope pénitentiaire. Premiers bleus en armure en vue, un petit groupe un peu en avant le long du bâtiment, un plus gros devant l’entrée, et un cordon qui bloque le carrefour et l’accès à l’hôtel de Ville.
Le premier petit groupe a tôt fait de se replier sous les jets de bouteilles et de fumis venant de l’abri de la banderole (qui faisait au moins deux mètres de haut). Comme ça elle peut avancer, protéger les copains et les copines qui commencent à défoncer les fenêtres, un cocktail sera lancé à l’intérieur, même s’il n’a fait (de ce qu’on a pu voir) aucun dégât. Un tag aussi : «J’écris ton nom Liberté».


Arrivé à Bastille, on se cherche. Deux camions de teufeurs sonorisent la place, mais le temps commence à être long à force d’attendre.
On est quelques-uns à se retrouver ailleurs pour un debriefing, on recoupe les infos sur la répression, six arrestations, on essaye de livrer aussi nos ressentis. Ce qui ressort c’est qu’on était entre nous rhizome ou famille, en tous cas, si on a envie de faire quelque chose comme une manif un minimum offensive, il s’agirait de se préparer mieux.
Mais peut-être aussi d’ouvrir certaines questions, plus stratégiques que tactiques : sortir du régime d’évidence dans lequel on se tient trop souvent. Premièrement il n’était absolument pas clair pour beaucoup de monde que c’est à l’Administration pénitentiaire qu’on s’est attaqué. Mais peut-être y aurait-il aussi un enjeu crucial à sortir de l’évidence de ce qui nous amène, ouvrir la question de ce qui a envie d’être fait, de ce que ceux qui voudraient être là ont réellement envie de faire. Parce que si on peut avoir eu l’impression que parmi les passants il y a une forme de sympathie qui a pu s’éprouver, où y a-t-il eu rencontre ? Rencontre réelle, même dans l’espace d’un instant. À quel moment y a-t-il eu réelle suspension ? À quel moment on ne se contente plus de bloquer les flux physiques du capital, les flux de circulation des marchandises, et qu’on tente de dévier les flux mentaux ? À quel moment l’autre présence qu’on voudrait tenir et affirmer dans la rue, dans l’espace qu’on entend se réapproprier, est tentative de brouiller les lignes déjà tracées qui font qu’on s’évite, et qu’on tient les autres et soi dans des images et des représentations, autant de distances qui évitent l’ouverture et la rencontre réelle. Parce qu’une manif, une tentative de s’approprier la rue comme espace public pourrait être tentative de l’ouvrir, l’ouvrir et s’ouvrir à la possibilité de rencontrer n’importe qui d’autre dans la rue, tentative de se libérer, ensemble.
Vers 23 heures, à la Bastille ça commence à monter en intensité. Le peuple qui est venu là pour que ça pète, ou qui est en tous cas prêt à profiter de l’occasion commence à ressentir une certaine forme de proximité, sur les marches de l’Opéra et autour, faisant face à la colonne dont le socle a été tagué : «C’est la guerre».
Un petit moment de flottement alors, on essaye de se donner de la force pour dépasser la peur, on se rassemble, et enfin, on commence à bloquer la circulation.
Seulement, cinq minutes de joie, avant que les Gendarmes mobiles débarquent et dispersent à coup de gazeuse et de matraque. Ils n’étaient pourtant pas si nombreux. Enfin c’était comme le signal pour le déferlement des bleus quelques instants après : Crs, deux groupes de Baceux avec des matraques télescopiques et des flashballs, qui nettoient la place en un temps record, vident les escaliers de l’Opéra et divisent la foule en deux. Ça chauffe sévère, des personnes sont battues au sol, d’autres sont embarquées, apparemment il y aura même un tir de flashball dans un œil. S’ensuit une occupation quasi militaire de la place par les bleus, avec quand même quelques escarmouches, bouteilles ou chaises qui volent. Et les condés définitivement au taquet qui coursent à peu près tout le monde, et dispersent tout ce qui regroupe plus de cinq personnes.
Centre de médias alternatifs de Bruxelles, 29 juin 2009.
