Genève : Pas de ticket de bus pour la laïcité

En Suisse, la libre pensée… n’est pas libre de penser. La campagne de publicité athée, qui s’est affichée sur les bus londoniens l’été dernier et fait tache d’huile dans plusieurs pays occidentaux, a essuyé la censure dans toutes les villes helvétiques sollicitées. Dans chaque pays concerné, les affiches mettant en doute l’existence de Dieu ont créé la polémique. Choqués, des milieux chrétiens ont répliqué en menant à leur tour des «contre-campagnes». Le débat a eu lieu et chaque opinion a pu s’exprimer.
L’Italie s’est distinguée. Face à la levée de boucliers de l’Église, le slogan athée a dû être édulcoré pour rouler sur les bus de la ville de Gênes. En Suisse, les censeurs font plus fort. Ils n’ont pas attendu un coup de pied chrétien pour refuser la discussion, vieille comme le monde, sur l’(in)existence de Dieu.
Au XXIe siècle, dans un canton laïque comme Genève, la régie publicitaire des TPG ne coupe pas la tête aux athées, seulement la langue. Dans la République, l’incohérence règne puisque le slogan «Dieu n’existe probablement pas» serait potentiellement privé de bus mais pourrait s’étaler dans les rues de la ville. Pour TPG publicités — à qui aucune demande formelle n’a été adressée —, il s’agit de ne pas heurter les croyances. Incohérence encore : dans ce cas, par souci d’équité envers les athées, les campagnes annuelles de l’Église catholique sur les bus auraient dû être refusées.
Ce qui est bien le but recherché par les libres penseurs, qui plaident pour le «désarmement religieux». Ainsi, un paradoxe — assumé — est à l’origine de leur démarche : pour dénoncer le prosélytisme chrétien, ils se transforment en missionnaires athées ; tout en s’indignant de ne pouvoir s’exprimer, ils cherchent à museler les croyants.
Car en réalité, la question de l’existence ou non de Dieu est accessoire dans ce débat. Les «bus athées» posent en fait la question de la place du religieux dans l’espace public, à une époque où de nombreux croyants passent à l’offensive pour l’envahir. À Genève, les Églises demandent sobrement que leur apport soit mieux reconnu. Mais en France, les envolées religieuses de Nicolas Sarkozy font carrément trembler les bases laïques de la République. À Londres, les «bus athées» sont nés en réaction à des affiches sur les transports publics de la ville qui renvoyaient à un site Internet promettant aux non-croyants les flammes de l’enfer.
En comparaison, l’invitation des libres penseurs à «cesser de s’en faire et à profiter de la vie» paraît anodine. Mais elle n’est pas acceptée dans un pays où, régulièrement, des versets bibliques fleurissent sur les panneaux publicitaires. Les défenseurs de la laïcité comme ceux d’une Suisse tolérante sur le plan religieux ont du pain sur la planche.
Rachad Armanios - Le Courrier, 27 février 2009
Quotidien suisse & indépendant.