Le contrôle judiciaire, ou "la prison à la maison"

Au cours de la manif de soutien, nombre de regards étaient tournés vers la prison de la Santé et les détenus que cachent ses murs. Pourtant, on oublie souvent que «ceux qui sont sortis» subissent quotidiennement un contrôle judiciaire intrusif et éprouvant.
Pour un certain nombre d’inculpés, un contrôle judiciaire est mis en place. Censé épargner une détention provisoire, son effet est en fait bien plus proche d’une extension de l’ambiance pénitentiaire dans la vie quotidienne.
Benjamin, accusé d’«association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» dans l’affaire des sabotages de caténaires, en évoque ainsi les conséquences : «Je suis placé sous contrôle judiciaire chez ma mère, [dans] un endroit où je n’ai jamais habité avant. Mon quotidien, c’est prendre des nouvelles de ce qui se passe pour les autres mis en examen et répondre aux messages que l’on m’envoie. […] Mes seuls déplacements sont pour aller à Paris voir mon avocate et quand je suis convoqué devant le juge […] La dernière fois que j’ai vu le juge d’instruction, je lui ai demandé à quoi tenait mon éloignement de Tarnac et si cela avait un quelconque intérêt du point de vue de la procédure. Il m’a répondu en souriant que si ça ne tenait qu’à lui je serais encore en détention. […] Cela fait quatre ans que j’habite [à Tarnac] quasiment sans discontinuer. Mes amis, mon travail, ma vie sont là-bas. Ici, je suis un peu entre parenthèses de ma vie. Je suis coupé de tous mes liens sociaux, indépendamment même du fait que je n’ai pas le droit de rencontrer les mis en examen. L’autre problème c’est que Paul (l’autre gérant du magasin, N.D.L.R.) est seul au magasin. Même si des gens l’aident, il est débordé.»

Aménagé au fil des rendez-vous avec le juge, le contrôle peut être durci ou allégé, et il reste toujours relié à la menace d’une mise en détention provisoire pour les mauvais élèves. C’est ainsi que pour Ivan et Farid, inculpés dans des affaires différentes que le parquet antiterroriste de Paris a reliées dans une hypothétique «mouvance anarcho-autonome francilienne», la pression est quotidienne. Le 19 septembre 2008, leur juge leur envoie une convocation en urgence pour le 22. Motif : les services de renseignement qui les filent les ont pris en photo ensemble, alors qu’il leur est interdit de se voir. Lors des interrogatoires, la juge use de son pouvoir pour infantiliser et faire la morale tout en laissant croire pendant plus d’une demi-heure qu’elle va, comme le procureur, demander l’incarcération.
Elle finit par décider du durcissement de leur contrôle judiciaire, présentant son choix comme un «cadeau». Elle maintient les obligations précédentes : interdiction de communiquer entre mis en examen, pointage au commissariat, chez l’assistante sociale, travail, etc. ; et elle ajoute une assigation à résidence de 21 heures à 6 heures … la prison à la maison.
Le contrôle judiciaire permet ainsi à la justice de garder les prévenus à disposition, et d’étendre son contrôle à une population bien supérieure aux capacités des prisons. Les contraintes fixées par la justice s’étendent à de nombreux domaines : lieux de vie, horaires, fréquentations et activités. La pression est permanente, alimentée par une surveillance policière potentielle. Le quadrillage du temps travail-maison-travail vise sans s’en cacher à faire marcher droit et à empêcher d’autres choix, d’autres rythmes de vie. Et pour les amis inculpés dans une même affaire qui sont dans l’interdiction de se voir, la violence est d’autant plus perceptible…
Pour Bruno, inculpé avec Ivan et remis en liberté sous contrôle judiciaire en juin, cette épée de Damoclès n’a pas été supportable. Il l’explique dans une lettre ouverte intitulée «Pourquoi je me suis fait la malle» : «Le contrôle judiciaire, c’est une espèce de loi individuelle qui te dit ce que tu dois faire et ce qu’il t’es interdit de faire. Moi je ne devais pas sortir du territoire de Belfort, ni du département de la Haute-Saône (Est de la France) où était fixée ma résidence, chez mon père. Mes déplacements étaient théoriquement limités à la recherche et à l’exécution d’un travail ou alors pour les besoins de l’enquête. […] J’ai eu, pendant le mois où je suis resté en contrôle judiciaire, la désagréable sensation d’être en dehors tout espace de luttes, d’assister à ma propre mort en tant que sujet politique. En acceptant leurs règles du jeu, c’est comme si je signais ma propre soumission, ma reddition en tant que révolté […] Alors mon geste est le geste simple de ma révolte contre ce que l’on tente de m’imposer. […] Il ne me restait comme marge de manœuvre que l’illégalité, la clandestinité et la fuite. D’abord pour mettre un peu de distance entre les flics et moi. Ensuite pour oser vivre au présent, sans regrets. Je sais que ce chemin est dur, que bien souvent, c’est la prison qui nous rattrape, que les griffes de la répression finissent par s’abattre sur celles et ceux qui luttent dans l’illégalité. Je sais aussi que je préfère quelques heures de liberté volée, arrachée à ceux qui nous oppressent plutôt que respirer au compte-goutte et de la main du maître.»
Échos de la Taïga no 4, 11 février 2009
Bulletin d’information du comité de soutien aux inculpés de Tarnac.
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