La Direction des affaires criminelles voit des terroristes partout

«Il y a de la méthode dans leur folie.»
Hamlet.
Le 13 juin dernier la Direction des affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice a publié une note à destination des parquets afin de faire face à «la multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribuées — ça n’est donc même pas sûr — à la mouvance anarcho-autonome», notion dont il convient d’observer l’absence de contours précis.
On y apprend que, «outre des inscriptions sur des bâtiments publics (en clair, des tags), cette mouvance s’est manifestée par la commission d’actions violentes en différents points du territoire national au préjudice de l’État et de ses institutions» et que «c’est aussi à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière (nous y voilà) que ses membres s’expriment, parfois avec violence».
Le zèle développé à cette occasion par la Chancellerie prêterait presque à sourire s’il n’était ensuite demandé aux magistrats «d’informer dans les plus brefs délais la section anti-terroriste du parquet de Paris pour apprécier de manière concertée l’opportunité d’un dessaisissement à son profit» et, par voie de conséquence, de permettre une extension quasi illimitée d’une législation d’exception.
Cette manière de procéder devrait ainsi permettre — au prétexte bien commode et très consensuel de lutte contre le terrorisme — de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social.
À n’en pas douter, la philosophie générale de cette note singulière est à rapprocher des propos récemment tenus par le porte-parole de l’UMP à l’encontre du réseau Éducation sans frontières et autres collectifs «faiseurs de provocations» et «semeurs de désordre» qui — bientôt suspects d’appartenir à cette fameuse «mouvance anarcho-autonome» — pourront bénéficier d’un traitement judiciaire de faveur.
Le Syndicat de la magistrature dénonce avec force ce procédé et invite les magistrats à faire preuve du plus grand discernement dans la mise en œuvre de cette scandaleuse dépêche.
Syndicat de la magistrature, 26 juin 2008.
La «mouvance anarcho-autonome», nouvelle cible de la justice antiterroriste
«La Direction des affaires criminelles voit des terroristes partout», selon le communiqué que vient de diffuser le Syndicat de la magistrature (SM). Ce dernier y révèle l’existence d’une note émanant du ministère de la Justice, qui a fait sursauter plus d’un magistrat.
Adressée le 13 juin à tous les parquets de France, cette note vise à faire face à «la multiplication d’actions violentes commises sur différents points du territoire national susceptibles d’être attribuées à la mouvance anarcho-autonome». Les faits litigieux reprochés à ces suspects devront être immédiatement portés à la connaissance de la section antiterroriste du parquet de Paris afin d’apprécier «un dessaisissement à son profit», ajoute le document.
Quelques mots surprennent : «susceptibles» et «mouvance anarcho-autonome» ne brillent pas spécialement par leur degré de précision. «Outre des inscriptions sur des bâtiments publics, cette mouvance s’est manifestée par la commission d’actions violentes en différents points du territoire national au préjudice de l’État et de ses institutions (préfecture, douane, administration pénitentiaire…)». Sans qu’aucune de ces actions ne soit citée.
La note du 13 juin apporte une précision qui peut sembler plus troublante : «C’est aussi à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière que ses membres (de la mouvance) s’expriment, parfois avec violence». Pour le Syndicat de la magistrature, «cette manière de procéder devrait ainsi permettre — au prétexte bien commode et très consensuel de lutte contre le terrorisme — de renforcer la répression à l’encontre des différents acteurs du mouvement social.» Dans son communiqué, le syndicat rapproche cette «note singulière» des propos récents de Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, à l’encontre du Réseau Éducation sans Frontières (RESF) et autres collectifs «faiseurs de provocations» et «semeurs de désordre», après l’incendie du centre de rétention parisien. Aussi le SM invite-t-il les magistrats «à faire preuve du plus grand discernement dans la mise en œuvre de cette scandaleuse dépêche».
Au cabinet de la ministre de la justice, le porte-parole déplore que «l’interprétation de cette note soit en décalage complet avec la réalité». Selon Guillaume Didier, le dispositif «ne vise absolument pas les mouvements sociaux, mais la coopération judiciaire antiterroriste». En clair, «cela n’a rien à voir avec des syndicats ou des associations» et «s’il y a des dégradations ou des débordements en marge de manifestations ou de mouvements sociaux, cela continuera de relever du droit commun». Sauf si…
«La note ne vise absolument pas des associations de soutien aux étrangers en situation irrégulière», ajoute le porte-parole. Interrogé sur les déclarations du porte-parole de l’UMP en marge de l’incendie du centre parisien de rétention des étrangers (postérieur à la note du 13 juin), il laisse «aux magistrats chargés du dossier le soin de déterminer ce qui s’est passé». En résumé, selon Guillaume Didier, le document de la Chancellerie doit seulement «viser des activistes ou des mouvements extrémistes pouvant être auteurs d’actions extrêmement violentes, sous couvert de telle ou telle cause, et ayant des liens établis avec des mouvements terroristes étrangers».
Toujours selon la note du 13 juin, la «mouvance anarcho-autonome» se caractérise «notamment par des liens entretenus avec des ressortissants de pays tels que l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et la Grande-Bretagne et peut afficher un soutien à d’autres mouvances terroristes». La Direction des Affaires criminelles précise encore que la section antiterroriste du parquet de Paris s’est «saisie de procédures impliquant des membres de la mouvance anarcho-autonome, en possession d’explosifs, suspectés de vouloir recourir à des actes portant atteinte aux intérêts de l’État». Sont évoqués des «jets d’engins incendiaires contre des bâtiments publics» ou des dégradations d’établissements pénitentiaires.
Pour tous ces suspects d’appartenance à la «mouvance», le recours aux moyens utilisés contre le terrorisme est donc envisagé. Or, il s’agit d’une législation d’exception (durée de garde à vue allongée, perquisitions élargies, peines alourdies, etc.) avec un arsenal juridique autrement puissant que pour les justiciables du droit commun. Adoptée en France depuis la loi du 9 septembre 1986, cette législation a créé des magistrats spécialisés en matière terroriste, avec une centralisation des dossiers à Paris. Elle a ouvert une marge de manœuvre et un arsenal juridique accrus aux investigations visant des «associations de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste».
Le porte-parole de la ministre de la justice, Guillaume Didier, ajoute enfin que la définition de la «mouvance anarcho-autonome», des organisations et des membres qui la composent, viendra des «services de renseignement spécialisés».
Erich Inciyan - Mediapart, 26 jun 2008.
À propos de l’incendie du camp de Vincennes
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