L'argent se réchauffe avec le climat
Le réchauffement climatique ne désespère que le monde profane de la valeur d’usage et de la vie pratique. Dans les sphères éthérées de la spéculation financière, son accueil est des plus favorables, comme en témoignent les propos mémorables d’un assureur.
Dans un monde où l’argent l’emporte sur tout, la consolation la plus facile, et donc la plus répandue, consiste à imaginer que l’argent, comme source des maux les plus divers, en serait aussi pour finir le remède.
Depuis Adam Smith, l’hypothèse que la folie, parvenue au bout de son cycle, se transformerait en sagesse a eu beaucoup de succès : pas tellement dans la réalité, certes, mais du moins dans les livres et dans les discours ; très grand est le nombre de ceux qui ont cru qu’une sorte d’équilibre viendrait mettre fin au mouvement de déséquilibre qui, précisément, aurait été nécessaire pour l’engendrer.
Dans ces conditions, la spéculation, qu’elle soit purement boursière ou médiatisée par une industrie financière comme celle de l’assurance, apparaîtrait comme le garde-fou d’un ensemble qui en a urgemment besoin.
Le capital n’aimant pas perdre, il reculerait devant le risque, et tendrait vers la sécurité. Par une sorte de darwinisme spontané, la main invisible serait l’artisan d’une sélection naturelle du profit.
L’article suivant vient montrer qu’il n’en est rien. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, innombrables, mais il se distingue par une performance assez rare dans la franchise, même à une époque que caractérise généralement la «désinhibition» de l’argent et du profit.
Comme le développe ce technicien de la réassurance, tant qu’on peut financer des catastrophes en ponctionnant un prix de plus en plus élevé pour ce financement, on ne peut que se réjouir de leur existence, voire de leur prolifération. Elles se présentent alors comme une simple étape dans la surenchère du profit. Si 20% des richesses terrestres disparaissaient dans un cataclysme, ce ne serait grave, selon ce spécialiste, que si l’on ne parvenait pas à prélever sur le reste quelque chose comme 40%, autrement dit le double de ce qu’on aura dépensé pour indemniser les premières.
En attendant qu’on atteigne 100%, puisqu’à ce moment là, évidemment, la réassurance disparaîtra avec tout le reste. Comment pardonner au réel qu’il vienne limiter la spéculation ?
Ce qui paraît donc limité sur le plan du calcul (mais à notre époque de recherche du profit immédiat, pourquoi se soucierait-on des limites, qui ne viennent qu’un peu plus tard ?), s’accommode d’autres qualités encore, dans un autre registre, moins immédiatement chiffrable. Car voici un bel exemple d’homme d’affaires pris en flagrant délit de réjouissance anticipée devant des fléaux qui vont ruiner la vie de tant de populations. «Le changement climatique offre aussi des opportunités», dit-il, mais par pour ceux qui, dans une prochaine inondation, seront expulsés de chez eux, auront perdu des proches, et dont la vie sera durablement anéantie, quand ils auront eux-mêmes survécu. Le malheur des masses, que voulez-vous, fait le bonheur de quelques uns.
Mais qu’importe. Nous ne sommes plus à l’époque barbare d’Attila, ce fléau de Dieu. Nous sommes à une époque aussi civilisée qu’un conseil d’administration, où l’on tient de pareils discours, au profit de pareils pronostics.
Laissons donc l’argent se réchauffer avec le climat.
«Le capital, dit le Quarterly Reviewer, fuit le tumulte et les disputes, car il est de nature craintive. Cela est très vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. Le capital a en horreur l’absence de profit ou un faible degré de profit, de la même façon que la nature a horreur du vide. Si le taux de profit l’y encourage, le capital ne manquera pas de se montrer audacieux. Avec un taux de dix pour cent garanti, on peut compter sur lui ; avec vingt pour cent, le voilà qui s’échauffe ; avec cinquante pour cent, rien ne le fait plus reculer ; avec cent pour cent, le voilà qui piétine toutes les lois humaines sans exception aucune ; avec trois cent pour cent, aucun crime ne l’effraie, même pas la potence.»
Cité par Marx, Le Capital, Livre 1.
Dans un monde où l’argent l’emporte sur tout, la consolation la plus facile, et donc la plus répandue, consiste à imaginer que l’argent, comme source des maux les plus divers, en serait aussi pour finir le remède.
Depuis Adam Smith, l’hypothèse que la folie, parvenue au bout de son cycle, se transformerait en sagesse a eu beaucoup de succès : pas tellement dans la réalité, certes, mais du moins dans les livres et dans les discours ; très grand est le nombre de ceux qui ont cru qu’une sorte d’équilibre viendrait mettre fin au mouvement de déséquilibre qui, précisément, aurait été nécessaire pour l’engendrer.
Dans ces conditions, la spéculation, qu’elle soit purement boursière ou médiatisée par une industrie financière comme celle de l’assurance, apparaîtrait comme le garde-fou d’un ensemble qui en a urgemment besoin.
Le capital n’aimant pas perdre, il reculerait devant le risque, et tendrait vers la sécurité. Par une sorte de darwinisme spontané, la main invisible serait l’artisan d’une sélection naturelle du profit.
L’article suivant vient montrer qu’il n’en est rien. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, innombrables, mais il se distingue par une performance assez rare dans la franchise, même à une époque que caractérise généralement la «désinhibition» de l’argent et du profit.
Comme le développe ce technicien de la réassurance, tant qu’on peut financer des catastrophes en ponctionnant un prix de plus en plus élevé pour ce financement, on ne peut que se réjouir de leur existence, voire de leur prolifération. Elles se présentent alors comme une simple étape dans la surenchère du profit. Si 20% des richesses terrestres disparaissaient dans un cataclysme, ce ne serait grave, selon ce spécialiste, que si l’on ne parvenait pas à prélever sur le reste quelque chose comme 40%, autrement dit le double de ce qu’on aura dépensé pour indemniser les premières.
En attendant qu’on atteigne 100%, puisqu’à ce moment là, évidemment, la réassurance disparaîtra avec tout le reste. Comment pardonner au réel qu’il vienne limiter la spéculation ?
Ce qui paraît donc limité sur le plan du calcul (mais à notre époque de recherche du profit immédiat, pourquoi se soucierait-on des limites, qui ne viennent qu’un peu plus tard ?), s’accommode d’autres qualités encore, dans un autre registre, moins immédiatement chiffrable. Car voici un bel exemple d’homme d’affaires pris en flagrant délit de réjouissance anticipée devant des fléaux qui vont ruiner la vie de tant de populations. «Le changement climatique offre aussi des opportunités», dit-il, mais par pour ceux qui, dans une prochaine inondation, seront expulsés de chez eux, auront perdu des proches, et dont la vie sera durablement anéantie, quand ils auront eux-mêmes survécu. Le malheur des masses, que voulez-vous, fait le bonheur de quelques uns.
Mais qu’importe. Nous ne sommes plus à l’époque barbare d’Attila, ce fléau de Dieu. Nous sommes à une époque aussi civilisée qu’un conseil d’administration, où l’on tient de pareils discours, au profit de pareils pronostics.
Laissons donc l’argent se réchauffer avec le climat.
Pereat mundus, profectus fiat !

3 questions à Peter HÖPPE le directeur du département Risques géographiques de MUNICH RÉ
«Le changement climatique est une chance pour la réassurance»
Après les ouragans Katrina, Rita, Wilma qui ont dévasté en 2005 La Nouvelle-Orléans et le golfe du Mexique, la saison des cyclones 2006 a été très calme. Une exception, estime Peter Höppe, qui rappelle que la fréquence et l’intensité de ces phénomènes climatiques devraient continuer de progresser. Il explique aux Échos en quoi le réchauffement climatique va entraîner une demande croissante en matière de protection contre les risques.
La saison d’ouragans cette année peut-elle être aussi calme que l’an dernier ?
C’est peu probable. Le faible nombre d’ouragans dans l’Atlantique l’an dernier a résulté de la combinaison de deux facteurs : d’une part, le début de la saison avait été marqué par une forte concentration de particules de sable provenant du Sahara, à environ 2 km d’altitude, qui a limité la remontée des masses d’air humide ; d’autre part, en fin de saison, c’est-à-dire vers le mois d’octobre, la présence d’El Niño dans le Pacifique a modifié le régime des vents dans l’Atlantique Nord et donc freiné la formation de cyclones. Or, El Niño n’apparaît que tous les trois à sept ans en moyenne. En outre, les températures à la surface de l’eau sont supérieures à la moyenne des années précédentes, ce qui devrait favoriser la formation d’ouragans. L’agence météorologique américaine Noaa, par exemple, table sur la formation de 7 à 10 ouragans dans l’Atlantique cet été, autrement dit 2 à 3 de plus que la moyenne à long terme. D’un autre côté, la saison a déjà commencé calmement, et si le calme perdure dans l’Atlantique, les instituts pourraient être amenés à abaisser leurs prévisions. Pour l’instant, seule l’activité cyclonique au-dessus de la mer est à peu près prévisible dans l’ensemble. Il est impossible, par contre, de prédire l’arrivée des cyclones sur les côtes, ni l’endroit où ils touchent terre.
«Le changement climatique est une chance pour la réassurance»
Après les ouragans Katrina, Rita, Wilma qui ont dévasté en 2005 La Nouvelle-Orléans et le golfe du Mexique, la saison des cyclones 2006 a été très calme. Une exception, estime Peter Höppe, qui rappelle que la fréquence et l’intensité de ces phénomènes climatiques devraient continuer de progresser. Il explique aux Échos en quoi le réchauffement climatique va entraîner une demande croissante en matière de protection contre les risques.
La saison d’ouragans cette année peut-elle être aussi calme que l’an dernier ?
C’est peu probable. Le faible nombre d’ouragans dans l’Atlantique l’an dernier a résulté de la combinaison de deux facteurs : d’une part, le début de la saison avait été marqué par une forte concentration de particules de sable provenant du Sahara, à environ 2 km d’altitude, qui a limité la remontée des masses d’air humide ; d’autre part, en fin de saison, c’est-à-dire vers le mois d’octobre, la présence d’El Niño dans le Pacifique a modifié le régime des vents dans l’Atlantique Nord et donc freiné la formation de cyclones. Or, El Niño n’apparaît que tous les trois à sept ans en moyenne. En outre, les températures à la surface de l’eau sont supérieures à la moyenne des années précédentes, ce qui devrait favoriser la formation d’ouragans. L’agence météorologique américaine Noaa, par exemple, table sur la formation de 7 à 10 ouragans dans l’Atlantique cet été, autrement dit 2 à 3 de plus que la moyenne à long terme. D’un autre côté, la saison a déjà commencé calmement, et si le calme perdure dans l’Atlantique, les instituts pourraient être amenés à abaisser leurs prévisions. Pour l’instant, seule l’activité cyclonique au-dessus de la mer est à peu près prévisible dans l’ensemble. Il est impossible, par contre, de prédire l’arrivée des cyclones sur les côtes, ni l’endroit où ils touchent terre.
Observe-t-on déjà les effets du changement climatique sur le long terme ?
Nous sommes convaincus que le réchauffement de la planète se traduit déjà par des changements dans la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles et que ces effets ne vont faire qu’augmenter dans les années à venir. Des régions qui étaient rarement touchées auparavant le deviennent plus souvent, comme on a pu le constater avec les inondations en Grande-Bretagne, la sécheresse en Suisse et dans le sud de l’Allemagne au printemps ou encore les orages violents qui ont frappé les États-Unis. On a aussi pu observer des phénomènes totalement nouveaux, comme le cyclone Catarina dans l’Atlantique Sud, ou l’ouragan Vince qui s’est formé près de l’archipel de Madère. Par ailleurs, les régions qui, déjà aujourd’hui, sont fréquemment sinistrées le seront de plus en plus souvent. Sur une très longue période, il y a eu en moyenne 6,2 ouragans par an dans l’Atlantique Nord, alors que sur les douze dernières années la moyenne était déjà de 8 chaque année. Dans les prochaines décennies, la fréquence et l’intensité de ces phénomènes climatiques devraient continuer de progresser, car la température de l’air et de l’eau augmente. Il y a aussi des cycles naturels et d’autres facteurs d’influence. Chaque année ne surpasse donc pas nécessairement l’année précédente. Mais, sur le long terme, la tendance générale est clairement à la hausse.
Le changement climatique représente-t-il une opportunité pour les réassureurs, du fait de l’augmentation des primes, ou un risque lié à la hausse des coûts ?
Le changement climatique est une chance pour le métier de la réassurance, parce que nous connaissons les risques et nous savons les calculer. Une tempête coûte, certes, beaucoup plus cher aujourd’hui qu’il y a cent ans, lorsque l’on voit les villes qui sont situées au bord des côtes, comme Miami, et sont en expansion rapide. En raison de l’aggravation de l’exposition, les primes versées aux assureurs ont fortement augmenté dans les zones à risque. En fait, les réassureurs doivent ajuster de manière dynamique leurs modèles en fonction de la modification de l’exposition. Le changement climatique offre aussi des opportunités, car une politique efficace de protection du climat ouvre la voie à de nouvelles technologies qu’il faudra assurer, comme par exemple les parcs éoliens offshore ou les grandes installations photovoltaïques. Les exploitants de ces installations souhaitent se couvrir par exemple contre un ensoleillement trop faible. Globalement, nous partons de l’idée que le changement climatique va entraîner une demande croissante en matière de protection contre les risques.
Nous sommes convaincus que le réchauffement de la planète se traduit déjà par des changements dans la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles et que ces effets ne vont faire qu’augmenter dans les années à venir. Des régions qui étaient rarement touchées auparavant le deviennent plus souvent, comme on a pu le constater avec les inondations en Grande-Bretagne, la sécheresse en Suisse et dans le sud de l’Allemagne au printemps ou encore les orages violents qui ont frappé les États-Unis. On a aussi pu observer des phénomènes totalement nouveaux, comme le cyclone Catarina dans l’Atlantique Sud, ou l’ouragan Vince qui s’est formé près de l’archipel de Madère. Par ailleurs, les régions qui, déjà aujourd’hui, sont fréquemment sinistrées le seront de plus en plus souvent. Sur une très longue période, il y a eu en moyenne 6,2 ouragans par an dans l’Atlantique Nord, alors que sur les douze dernières années la moyenne était déjà de 8 chaque année. Dans les prochaines décennies, la fréquence et l’intensité de ces phénomènes climatiques devraient continuer de progresser, car la température de l’air et de l’eau augmente. Il y a aussi des cycles naturels et d’autres facteurs d’influence. Chaque année ne surpasse donc pas nécessairement l’année précédente. Mais, sur le long terme, la tendance générale est clairement à la hausse.
Le changement climatique représente-t-il une opportunité pour les réassureurs, du fait de l’augmentation des primes, ou un risque lié à la hausse des coûts ?
Le changement climatique est une chance pour le métier de la réassurance, parce que nous connaissons les risques et nous savons les calculer. Une tempête coûte, certes, beaucoup plus cher aujourd’hui qu’il y a cent ans, lorsque l’on voit les villes qui sont situées au bord des côtes, comme Miami, et sont en expansion rapide. En raison de l’aggravation de l’exposition, les primes versées aux assureurs ont fortement augmenté dans les zones à risque. En fait, les réassureurs doivent ajuster de manière dynamique leurs modèles en fonction de la modification de l’exposition. Le changement climatique offre aussi des opportunités, car une politique efficace de protection du climat ouvre la voie à de nouvelles technologies qu’il faudra assurer, comme par exemple les parcs éoliens offshore ou les grandes installations photovoltaïques. Les exploitants de ces installations souhaitent se couvrir par exemple contre un ensoleillement trop faible. Globalement, nous partons de l’idée que le changement climatique va entraîner une demande croissante en matière de protection contre les risques.
Propos recueillis par Ingrid François à Francfort