Sur la lutte des classes en Guadeloupe

Willy Angèle est fort mécontent. Willy Angèle, c’est le président du Medef en Guadeloupe. Il a, au nom du Medef et tout comme d’autres organisations patronales, refusé de signer l’accord, dit accord Bino, du nom du syndicaliste guadeloupéen tué sur un barrage). Cet accord prévoit que la première année, l’État versera 100 euros par salarié jusqu’à 1,4 SMIC, les collectivités locales 50 et le patronat 50. Et au bout de deux ou trois ans, ce seront les entreprises qui prendraient entièrement à leur charge les fameux 200 euros.
Il le fait au nom de l’esprit de responsabilité. Car le patronat fait toujours tout au nom de la responsabilité. Il est «celui qui sait», qui «maîtrise» les tenants et les aboutissants de cette chose qu’on appelle «économie». Les irresponsables sont toujours ceux qui finissent les fins de mois sans rien dans les poches. Les irresponsables sont ceux qui n’ont pas la patience d’attendre. Attendre quoi ? Rien. Attendre tout simplement.

Si Willy Angèle n’a pas signé le document, il l’a fait également parce qu’il considère que les grévistes sont ultra-minoritaires. Entre 5 et 15% de grévistes, avec des pointes à 20% dans le privé. Ainsi donc, si on l’en croit, ces grévistes si minoritaires sont parvenus, par la pression, à bloquer l’île durant quarante jours. Bigre, quel talent !
Au journaliste qui lui demandait ce qu’il pensait de l’initiative du LKP, décidé à faire pression sur chaque entrepreneur pour qu’il signe le dit accord, Willy Angèle a répondu calmement que cette stratégie était une atteinte à la démocratie parce qu’elle remettait en question la liberté d’opinion. Son propos m’a fait sourire parce qu’il évacue la question de la force, du rapport de force, des relations entre le capital et le travail. Il nie simplement la lutte des classes.

Et cela m’a remis en mémoire ces quelques mots d’un intellectuel aussi oublié que controversé : Georges Sorel. Dans son livre Réflexions sur la violence paru dans l’entre-deux-Guerres, Georges Sorel écrit ceci : «On éprouve beaucoup de peine à comprendre la violence révolutionnaire quand on essaie de raisonner au moyen des idées que la philosophie bourgeoise a répandues dans le monde ; suivant cette philosophie, la violence serait un reste de la barbarie et serait appelée à disparaître sous l’influence du progrès des Lumières. [Mais] la violence prolétarienne entre en scène en même temps que la paix sociale prétend apaiser les conflits ; la violence prolétarienne enferme les patrons dans leur rôle de producteurs et tend à restaurer la structure des classes au fur et à mesure que celles-ci semblaient se mêler dans un marais démocratique. (…) Les violences prolétariennes sont purement et simplement des actes de guerre ; elles ont exactement la valeur de démonstrations militaires et servent à marquer la séparation des classes.»
Allez, la lutte des classes continue…
«Le monde comme il va», AlterNantes, mars 2009.