Lutte en Martinique (suite)

Chronologie du 5 au 7 février…
Dimanche 8 février. Des copains de Nancy sont arrivés hier. On a pu leur acheter de la bouffe. Aujourd’hui c’est une journée de détente en famille. D’un bond on est à l’eau. 28° : la température fraîchit.
19 heures. Yves Jégo, le secrétaire d’État, filmé par les trois chaînes TV, a quitté précipitamment la table des négociations en Guadeloupe. Le Préfet aussi, après des menaces à peine voilées en cas de «dérapage».
Des internautes guadeloupéens font état de l’arrivée de 4000 CRS et militaires ce samedi 7 février, avec tanks, armement lourd et cercueils en plastique. Rumeurs…


Fort-de-France, lundi 9 février. On a appelé à la grève sur les médias. Pas d’opération «molocoye» car il faut que les manifestants puissent arriver jusqu’au centre ville, devant la Maison des syndicats.
10 heures, boulevard du général de Gaulle, Maison des syndicats. J’échange quelques mots avec certains camarades. J’apprends la création prochaine du NPA. On discute de Jego et de sa marge de manœuvre. Aucune confiance.
On est de plus en plus nombreux. Cette fois les cortèges sont moins cloisonnés. Je me retrouve près des tambours bélés qui chauffe l’atmosphère — il ne fait encore «que» 28°. Et puis une clique encore plus tonitruante et rythmée d’Haïtiens. Cette fois il y de l’ambiance. Sarko en prend tout son paletot — ça rime et c’est de saison là-bas en métropole — et les slogans fusent, rythmés, en canon. «Dewo lé voleurs !»
Une sono a annoncé que le cortège allait éviter la Préfecture «pour éviter les incidents». En Guadeloupe plusieurs jeunes sont ainsi encore incarcérés pour s’en être pris aux symboles de l’ordre établi.
Là-bas on demande à l’État des excuses publiques pour les massacre de 1967. Cela fait partie des revendications.
Aux Antilles les forces de l’ordre n’y sont jamais allés de main morte. En février 1974 on tirait encore sur les manifestants grévistes à la mitrailleuse depuis des hélicoptères. Cela fait tout juste 25 ans. Autre anniversaire : il y a un an disparaissait Pulvar, grande figure du syndicalisme et de toutes les luttes d’ici. Beaucoup ont une pensée pour lui. Dommage qu’il n’ait pas vu ça.
10 heures 30, boulevard du général de Gaulle. Un syndicaliste est «accroché» par TF1. Je le touche du bras et je lui dis de se méfier de ces sales cons. Du coup, le petit gros quinquagénaire qui tient la caméra avec le logo de TF1, tressaille et montre lâchement le petit blanc-bec qui l’accompagne et qui tient le micro. Il vient sûrement de débarquer car, comme dirait Coluche, il est plus blanc que blanc. Faire bouffer au petit gros sa caméra ? Lui casser sur la tronche ? J’hésite. Décidemment le Martiniquais est trop bonne pâte. C’est ce qui nous perd…
11 heures, quartier Saint-Thérèse. On va circuler dans les quartiers populaires. Ici il y a encore des cases sans eau ni électricité. Et les familles pour se nourrir n’ont souvent qu’un morceau de fruit à pain. «Cé pa carnaval, tot en la ria» : on invite fermement les badauds et les spectateurs aux fenêtres à rejoindre le cortège.
11h30 et après. On débouche sur la rocade. Des jeunes à moto viennent bloquer la route en direction de Fort-de-France. On bifurque vers Dillon. «Martinik levé !» On est tellement nombreux, enthousiastes que j’ai l’impression que certains habitants, bouche béante, vont voir leur mâchoire tomber à terre ! On est rejoints par une partie de la jeunesse. Yeux rougis, bandana, ils ont un peu l’air ahuri parfois.
Mânes de Fanon ! Pour une fois, grande gueule, tu serais fier de nous. Volga. Enfin de la perspective pour regarder en arrière : on ne voit pas la fin d’un serpent humain gigantesque, hérissé de drapeaux… Et devant non plus : la tête de la manifestation a disparu au loin depuis longtemps. Ma voisine me dit que les Martiniquais sont certes des braves gens disciplinés comme on l’a vu aujourd’hui mais qu’à présent il ne faudrait pas grand-chose pour que ça pête sérieusement. Mouais… il faudrait pas trop attendre parce que le petit gros de TF1 risque de repartir sans avoir pris sa petite claque. Je ne sais pas où en est Jégo dans ses consultations et déclarations.
20 heures, à la Préfecture. Philippe Pierre-Charles, de la CDMT, sort de la salle des négociations et, répondant à un journaliste, il précise que pour ce qui concerne le prix des denrées on ne peut aller bien loin car les représentants de la grande distribution (békés ou métros pour la plupart) ne sont pas à la table des négociations. Seul le représentant du MEDEF les représente comme il représente l’ensemble des patrons.
Le collectif du 5 février, rappelons-le, demande 449,15 euros d’augmentation pour les salaires les plus bas. Il faut dire que le coût de la vie est encore plus élevé ici qu’en Guadeloupe. Et les salaires sont inférieurs, en moyenne à ce qu’ils sont en métropole.
Ajoutons quand même que des manifestants bivouaquent nuit et jour aux alentours de la Préfecture.
J’apprends que Huygues-Despointes va être traduit en justice pour «apologie de crime contre l’humanité». Quel vieux con ! Raciste jusqu’à la moelle comme de Raynal, le président du syndicat des bananiers, qui il n’y a pas si longtemps déclarait que sa fille pouvait bien épouser un Noir, certes, mais dans ce cas là, tout lien serait coupé. C’est lui qui nous chie dessus, régulièrement, en avion, ses pesticides mortifères… Encore une autre histoire.
Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. J’ai encore le temps d’aller à la plage. Rêve général.
Par courriel, 10 février 2009.