Les radios libres vont-elles devoir rendre l'antenne ?
Après la télévision, c’est au tour de la radio de faire sa révolution numérique. Mais cette réforme conduite par le CSA risque de faire des victimes. Les stations associatives craignent d’être réduites au silence.
Panique sur les ondes des héritières des radios libres, les radios associatives non commerciales. Elles qui ne sont déjà plus qu’une poignée craignent de devoir prochainement rendre l’antenne. En cause : la décision du CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) de les faire entrer dans l’ère numérique à marche forcée. C’est en tout cas la conviction des membres de la coordination «Radios libres en lutte». Les stations réunies sous sa bannière redoutent d’être les victimes de la mise en place en 2009 de la Radio Numérique Terrestre (RNT), l’équivalent radiophonique de la TNT.
Cette petite révolution numérique a pourtant, à l’origine, tout pour plaire : elle est censée multiplier les stations et offrir plus d’interactivité aux auditeurs (en leur permettant d’accéder à certaines informations comme le nom de l’émission et de son animateur, le titre de la chanson en cours de diffusion ou bien encore l’image de la pochette de l’album dont elle est tirée).
Pour les radios associatives, les choses ne sont pas cependant si idylliques : «La radio numérique, ça fait dix ans qu’on en entendait parler et finalement le CSA décide de la mettre en place dans les six mois», regrette Juliette Volcer, de Fréquence Paris Plurielle (FPP). Les radios associatives ont intérêt à ne pas rater le coche : «Il faut que nous remettions notre dossier de candidature au CSA pour le 1er octobre. Pour ce premier appel à candidature, nous avons la garantie d’être prioritaire sur les radios commerciales mais pas pour les suivants…»
La précipitation de la réforme de la diffusion numérique n’est pas le seul problème. Salariés et bénévoles des radios associatives redoutent surtout de ne pas pouvoir faire face au surcoût financier qu’elle implique. C’est ce qu’explique Juliette Volcer : «Il y a un coût en matière de matériel mais aussi en matière de formation. Et puis pendant un temps, il va nous falloir payer à la fois la diffusion numérique et la diffusion FM qui ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. Et vu qu’on fonctionne déjà avec des bouts de ficelles…» Olivier Minot de Radio Canut, «la plus rebelle des stations» qui émet depuis Lyon, craint, lui aussi, le naufrage économique : «C’est simple, nous devons avoir un budget aux alentours de 60.000 euros. La diffusion FM nous coûte près de 40.000 euros. La diffusion numérique sera au moins aussi élevée. Et pour nous qui fonctionnons essentiellement avec le Fonds de Soutien à l’Expression Radiophonique (FSER), ça va être compliqué !»
L’effet de la suppression de la publicité sur le service public
Le FSER ? Le fonds qui subventionne les radios non commerciales. Comme un malheur n’arrive jamais seul, ce fonds est alimenté par une taxe prélevée sur les revenus publicitaires de l’audiovisuel commercial et public. Avec la disparition annoncée de la publicité sur le service public, «Radios libres en lutte» table sur «une baisse de 30% des fonds du FSER»…
Mais tout n’est pas perdu. En tout cas, pas pour tout le monde. D’après Juliette Volcer, «une fois libérée, la bande FM devrait être réaffectée aux opérateurs de téléphonie mobile». Ceux-ci ne seront pas les seuls à avoir le sourire : les fabricants de récepteurs numériques vont toucher le gros lot puisque selon la coordination «Radios libres en lutte» «les récepteurs numériques coûtent actuellement six fois plus cher qu’un transistor classique». Pour Olivier Minot, c’est une raison parmi tant d’autres pour s’opposer au passage au numérique : «Nous refusons purement et simplement de déposer notre candidature au CSA. C’est une question éthique et même politique. Il ne faut pas oublier que ce sont des stations comme Radio Canut qui ont poussé l’État à légaliser les radios libres !»
Du côté du CSA, on est beaucoup moins bavard. On se contente d’expliquer «souhaiter faire perdurer la pluralité radiophonique actuelle». Mais quand on veut en savoir un petit peu plus, notamment sur le problème du financement, l’interlocuteur se dit «incompétent» et promet qu’une personne habilitée appellera. Au final, c’est toutefois le silence radio. Un mauvais présage.
Gérald Andrieu - Marianne, 9 septembre 2008.