Passe Navigo : pas d'anonymat pour les chômeurs franciliens
Bien qu’une version «anonyme» du passe Navigo ait été lancée par la RATP le 1er septembre 2007, l’Agence Solidarité Transport d’Île-de-France nous confirme que cette nouvelle formule demeure inaccessible aux bénéficiaires de la Carte Solidarité Transport.
Alors que le système Navigo doit se substituer aux coupons magnétiques et que le choix de voyager anonymement est cependant laissé à l’appréciation des usagers, ces citoyens de seconde zone que sont les chômeurs aux minima sociaux (RMI, ASS, API…) subissent une discrimination flagrante, la version «Découverte» du passe Navigo étant formellement exclue des options leur permettant de bénéficier de la gratuité/réduction à laquelle ils ont droit.
Un pistage en règle
La RATP, soucieuse de se moderniser (c’est-à-dire de réduire ses coûts de personnel tout en luttant contre la fraude et la contrefaçon), développe depuis plusieurs années les «titres de transport sans contact». Adieu le bon vieux coupon de Carte Orange dont le rachat mensuel encombrait les guichets chaque fin de mois : voici le passe Navigo, bientôt généralisé !
Critiquée par la CNIL depuis 2003, cette carte à puce révolutionnaire fait figurer dans un même document les données personnelles de l’usager et les données de transport : la validation du titre (dates, heures et lieux de passage) est associée au numéro d’abonné durant 48 heures «à des fins de lutte contre la fraude». Il est ainsi possible d’identifier et de suivre une personne dans tout le réseau grâce à son numéro de carte, «ce qui est de nature à porter atteinte tant à la liberté, fondamentale et constitutionnelle, d’aller et venir, qu’au droit à la vie privée qui constitue également un principe de valeur constitutionnelle», dénonçait la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés. Dans son avis du 8 avril 2004 relatif à l’exploitation des données de validation des passes Navigo par la RATP, la CNIL avait estimé qu’il convenait de laisser aux usagers la possibilité d’utiliser un service de transport public de manière anonyme, sans qu’il en résulte un surcoût par rapport au choix d’un passe nominatif.
5 € pour ne pas être fiché
Les remarques de la CNIL ont été partiellement entendues. En 2005, la RATP a commencé à étendre Navigo aux abonnements mensuels (connus sous le nom de Carte Orange). Sauf que, même si le passe Navigo coexistait avec des titres de transport magnétiques — à l’unité, hebdomadaires ou mensuels — dont l’usager avait le choix et où les tickets restaient anonymes, la RATP mettait en vente un passe sans contact anonyme mais payant (Navigo Découverte, surcoût : 5 €) alors que le passe nominatif demeurait, lui, gratuit. Une discrimination manifeste qui n’a pas plu à la Commission.
Quand, en 2006, la RATP annonça que la Carte Orange basculerait intégralement sur Navigo et qu’à terme elle ne délivrerait plus de coupons magnétiques, la CNIL a maintenu la pression. Le 5 août 2007, elle se déclarait enfin satisfaite de la version «anonyme» du nouveau passe Navigo Découverte.
Les minima sociaux discriminés
Mais la CNIL ignore qu’une certaine catégorie d’usagers n’a toujours pas le choix. Le STIF (Syndicat des Transports d’Île-de-France) invoque des contraintes administratives : les bénéficiaires de la Carte Solidarité Transport étant soumis à conditions de situation et de ressources, elle est obligatoirement nominative. Un anonymat partiel semble donc impossible à mettre en œuvre dès lors que la formule est payante et que les coupons magnétiques sont appelés à disparaître.
Pourtant, Navigo Découverte se présente en deux parties : d’un côté une carte nominative avec photo d’identité et données personnelles à remplir par l’usager, comme cela se faisait avec la Carte Orange, et de l’autre, le passe sans contact proprement dit, transférant uniquement des données de validation. Pourquoi cette distinction est-elle impossible à réaliser pour les bénéficiaires de la Carte Solidarité Transport qui le souhaitent, quitte à régler séparément les 5 € qu’exige la RATP ?
Une absurdité technologique et déontologique qui s’apparente à une discrimination par statut social (avec le contrôle social qui lui est intimement associé), que nous allons dénoncer auprès de Jean-Paul Huchon, président socialiste de la région Île-de-France et du STIF, ainsi qu’à la CNIL et la HALDE.
APNÉE/Actuchomage, 15 juillet 2008.
Nous adressons dès demain par courrier une réclamation au Conseil d’Administration du STIF, à son président Jean-Paul Huchon, à notre amie Claire Villiers (Conseil régional d’IdF), à la CNIL (Alex Türk et Johanna Carvais) et à la HALDE.
La police veut accéder aux données de Navigo
L’accès aux informations sur les données du passe Navigo a été refusé à la police judiciaire par la RATP au nom de la protection des libertés individuelles, révèle Le Parisien.
Des policiers parisiens ont tenté, en vain, d’obtenir de la RATP l’autorisation de consulter les données privées enregistrées par le passe Navigo afin de retracer les déplacements d’un suspect, rapporte Le Parisien dans son édition du samedi 21 juin. Selon les informations du quotidien, des policiers de la deuxième division de police judiciaire ont en effet demandé à la RATP de lui fournir les données de la carte de transport du suspect d’une agression commise dans le métro.
Le 22 mai dernier, une danseuse russe de 30 ans avait eu la gorge lacérée par un homme que la victime identifie comme étant «Joël A.», un ex-ami connu des services de police et titulaire d’un passe Navigo. Afin de retrouver la trace du suspect, les policiers ont donc transmis une demande à la RATP afin de pouvoir utiliser les données transmises par la puce de la carte de transport et censées permettre, en théorie, de retracer tous les déplacements du titulaire.
«Protection de la vie privée»
La régie oppose une première fin de non recevoir à la requête des enquêteurs au motif que celle-ci serait contraire à la «protection de la vie privée». La RATP rejettera peu de temps après une deuxième demande des policiers, en affirmant que les données en questions ne sont «pas disponibles».
Cette affaire intervient alors que de nombreux usagers ont fait part de leurs craintes quant aux dangers que fait peser le passe Navigo sur la protection de la vie privée. Le syndicat Alliance Police nationale a de son côté réagi en demandant une «position claire sur l’exploitation des données informatisées». «Comment expliquer qu’une police moderne ne puisse obtenir de telles informations ? Il y va de la protection de nos concitoyens», affirme le syndicat.
Interrogée par Le Parisien, la RATP a, elle, réaffirmé son opposition à une utilisation policière de ses données : «Nous garantissons l’anonymat des déplacements», déclare la régie. «Les seuls éléments que nous puissions transmettre sur réquisitions judiciaire, ce sont les trois dernières validations effectuées par le passé. Nous restons scrupuleusement dans les termes que la loi nous impose, conformément à la délibération de la CNIL (Commission nationale de l’information et des libertés).»
Concernant l’enquête, l’agresseur présumé de la danseuse a finalement été interpellé sans l’aide de la RATP, précise Le Parisien.
Le Nouvel Observateur, 23 juin 2008.