La PJJ va-t-elle vers un suicide collectif ?

Mardi 15 septembre 2009, Mme Kokoszka Catherine, directrice départementale de la Protection judiciaire de la jeunesse de Paris a tenté de mettre fin à ses jours par défenestration sur son lieu de travail. Selon certains de ses collègues, cet acte faisait suite à une réunion de la direction interrégionale Île-de-France - Outre-mer de la PJJ au cours de laquelle les directeurs départementaux ont appris des fermetures de structures qu’ils devaient annoncer aux services concernés.
Mme Kokovska n’a semble-t-il pas supporté cette annonce supplémentaire dont la conséquence est de mettre en péril les services éducatifs au détriment des jeunes pris en charge.
Au moment où le ministère de la Justice mène une propagande pour soit-disant lutter contre le taux élevé de suicides en milieu carcéral, il semblerait qu’en parallèle, une autre politique soit menée pour conduire la Protection judiciaire de la jeunesse à un suicide collectif !
Cette politique est entamée depuis déjà de nombreuses années avec le vote de lois de plus en plus répressives (lois Perben, loi prévention de la délinquance, loi sur la récidive…) et l’ouverture de structures fermées (Centres éducatifs fermés et Établissements pénitentiaires pour mineurs). Fin 2009 l’ordonnance du 2 février 1945 devrait disparaître pour laisser place à un Code pénal des mineurs qui mettra certainement un terme définitif aux prises en charge éducatives.
Dans le quotidien des éducateurs et éducatrices, la pression est de plus en plus grande envers celles et ceux qui cherchent à proposer des solutions éducatives (deux éducatrices de Saint-Denis en ont fait les frais cette année en étant mutées pour raisons de service), qui refusent de sacrifier les projets des adolescents au profit de l’application de directives autoritaires, qui refusent tout simplement d’être de simples exécutants.
Dans ce contexte où ceux qui réforment ont comme seul souci de faire des économies budgétaires en diminuant le personnel et au travers d’opérations immobilières, ce sont les adolescents qui sont les premiers à en souffrir.
L’administration demande aux professionnels non pas de penser l’accompagnement éducatif dans toute sa dimension subjective non limitative et non restrictive mais bien d’accompagner des mesures de surveillance et/ou de répression. Tout cela concourt à la multiplication de situations inhumaines qui ne laissent pas d’autres destinées aux jeunes que la rue ou la prison.
Il est temps de laisser de côté nos individualismes pour affronter collectivement cette machine à tuer qu’est le capitalisme !
Fédération CNT santé social
et collectivités territoriales, 21 septembre 2009.
Pression, répression, dépression, défenestration
Ce jour-là, la réunion hebdomadaire des directeurs se prépare. La directrice départementale de la PJJ de Paris n’y siègera pas. Son siège, elle l’a pris pour enjamber la fenêtre et se jeter dans le vide. Une réunion, semble-t-il, pourtant comme les autres, tristement banale avec son cortège de fermeture d’établissements, de dé-structuration, de dé-localisation, de personnels à re-déployer.
Éducatrice de formation, chargée à ce poste de direction d’acter les directives de sa hiérarchie, la défenestration sur le lieu du travail, juste avant la réunion, semble venir à la place de ce qui n’a pu se dire ? Bien que personne ne puisse parler au nom de l’autre, on peut avancer cependant qu’un tel passage à l’acte vient signifier quelque chose de l’impasse dans laquelle, elle fut contrainte de se débattre, jusqu’à l’absurde.
Aux nouvelles méthodes de gestion publique qui visent la normalisation des pratiques, et au détournement de l’Ordonnance de 45, qui oriente les nouvelles missions de la PJJ en transformant les éducateurs en contrôleurs, s’ajoute la contrainte d’une pseudo-pédagogie qui vise à redresser le comportement, en faisant l’économie du travail d’élaboration psychique et de sa subjectivation.
Si l’Ordonnance de 45 interrogeait la réalité des faits à la lumière de la réalité psychique, si les éducateurs se faisaient passeurs pour ces jeunes en impasse, les derniers remaniements de l’Ordonnance de 45 détournent l’esprit de la loi, en la recentrant sur un objectif de «mise au pas», qui vient empêcher ces jeunes en errance de «prendre pied». Contre un supposé laxisme, la fermeté s’est mutée en fermeture d’établissements éducatifs, et en enfermement : enfermement dans les murs, enfermement psychique.
Sommés de mettre leur éthique et leur savoir-faire au placard pour répondre à la pression de la violence, par la violence de la seule ré-pression, les éducateurs sont poussés à devenir des exécutants musclés de consignes politiques relayées par leur administration. Comment alors permettre à ces adolescents de retrouver le désir de s’inscrire dans une réalité sociale vivante et vivable, une réalité qui donne envie de vivre ?
Quelle marge de manœuvre devant un mode de gestion centralisé de la délinquance, qui introduit ses techniques de normalisation, ses référentiels de mesures, avec fiches techniques, questionnaires directifs, procédures obligatoires, et «recommandations de bonnes pratiques professionnelles» ?
Là où la visée éducative est de permettre que ces adolescents, pris dans le tumulte de leurs pulsions, trouvent les repères subjectifs nécessaires à leur inscription dans la vie, le patient travail d’équipe est nié, annulé au profit d’une prise en charge contractualisée par un document établissant les objectifs et les moyens de les atteindre, dans le déni de la singularité et de la subjectivité, dans le déni de l’inventivité de chacun. La rencontre s’impose, stérilisée, et donc stérile, une rencontre vidée de sa résonance psychique, qui ne s’interroge plus mais programme.
Avec la volonté d’uniformiser les pratiques, s’affirme le fantasme d’en finir avec le singulier, au profit d’un mode de prise en charge débarrassé de ses scories affectives…
La boucle se boucle enfin sur une «logique de la performance», avec la LOLF, qui indexe les budgets sur des objectifs quantitatifs, dont les critères sont définis par les Administrations Centrales.
Programmer, dresser, conditionner, normaliser, mesurer, quantifier, évaluer… destructurer, délocaliser, redéployer… autant de noms de cette entreprise destructrice de l’homme, qui laisse chacun aux prises avec sa solitude, son angoisse et sa culpabilité.
Qu’une directrice de la PJJ n’ait eu d’autre recours que de s’éjecter par la fenêtre pour échapper à sa fonction, dans le silence de l’acte, en dit long sur l’impossible tâche à laquelle elle essaya de se soumettre.
Danièle Epstein, psychanalyste,
anciennement psychologue à la PJJ de Paris
Projet d’article pour Libération, 20 septembre.