Sur le procès de Villiers-le-Bel
Alors que je finissais à peine mon dernier billet autour du procès des émeutiers de Villiers-le-Bel, je suis tombé sur un article sur le site du Monde et publié en page trois de l’édition de mardi dernier : «La loi du silence règne à Villiers-le-Bel». L’article est signé Luc Bronner. Pour ceux qui suivent un peu cette affaire, c’est cette même signature que l’on trouvait au bas d’un autre long article paru il y a quelques semaines dans les colonnes du même quotidien et titré, de manière tout aussi racoleuse, «Villiers-le-Bel au bord de l’implosion».
Ce dernier était déjà cousu d’approximations et de mises en scène douteuses, notamment la glorieuse entrée du journaliste dans la brousse banlieusarde grâce à l’introduction d’un rappeur qui «fait partie des rares personnalités à pouvoir pénétrer dans tous les quartiers de la banlieue parisienne» (!), et la remise en œuvre de poncifs divers sur le rôle des «grands frères» pour égayer une recension déjà toute empreinte du point de vue des policiers (il s’agissait alors de parler des tensions suscitées par l’arrivée des Unités TErritoriales de Quartier notamment à Villiers-le-Bel). Mais ce nouvel article en date du 9 juillet atteint quant à lui des sommets de mauvaise foi journalistique (enfin c’est le seul euphémisme qui me vienne en tête).
Il reste particulièrement instructif de le lire pour se donner une idée de la mécanique bien huilée qui se met en branle pour préparer le terrain à la mise en scène judiciaire. Bien malin qui pourra distinguer ce qui relève des propos de la juge d’instruction, du procureur de la République (donc de l’État), des services de Police (parties civiles), ou de l’appréciation personnelle du journaliste tant ils sont tous à l’unisson.
Ce journaliste n’est sans doute pas particulièrement plus crapuleux que beaucoup d’autres qui se font une niche du thème des «violences urbaines», mais comme tant d’autres il se fait le rouage zélé d’une machine politico-judiciaire qui s’est massivement lancée dans une chasse aux nouveaux ennemis intérieurs. Quand les salles d’audience s’étendent désormais à tout l’espace public (ou ce qu’il en reste) et que les feuilletons judiciaires font l’essentiel de l’actualité quotidienne (le nôtre, «l’affaire de Tarnac» n’en étant qu’un exemple particulièrement burlesque…), l’occupation du «temps de cerveau disponible» par les journaflics devient un moment clé du processus d’expiation.
Ce journaliste s’adresse — et il n’y peut rien — aux lecteurs du Monde (que cela ait été à ceux de Mediapart n’aurait pas changé grand chose à l’affaire). Les «objets» de ces safaris journalistiques n’étant pas vraiment des lecteurs assidus de la presse bourgeoise, tout cela tourne dans le vase clos de l’intelligentsia, des profs, journalistes, politiciens et magistrats, enfin, ceux «qui savent» et qui n’auront que peu ou pas d’éléments à opposer au propos et sans doute pas du tout l’envie d’en savoir plus.
Ces articles du Monde donnent le La d’une procédure qui s’ouvre sous des auspices peu reluisants, empreints d’un racisme à peine voilé, d’un soupçon d’islamophobie, d’un saupoudrage d’analyses socio-psychologiques à deux francs, pour expliquer la «déviance» des individus pointés par l’accusation. Situation familiale, scolaire, professionnelle, confessionnelle, autant d’éléments dont on pourrait croire qu’ils servent (dans la logique de l’instruction) à comprendre un contexte et à adapter une réponse, sont, au contraire, mis en jeu comme autant de circonstances morales aggravantes. Ainsi procède la Justice en tant qu’instance supérieure de moralisation, ainsi est-elle relayée, secondée ou cornaquée (au choix) par la classe politique et les relais médiatiques dominants. J’invite ceux qui penseraient que j’exagère à se taper une après-midi de «comparutions immédiates» dans n’importe quel tribunal correctionnel pour se faire un bon dégivrage de pare-brise. Si dans la majorité des cas vous ne sortez pas avec la furieuse envie de cogner le premier lampadaire venu en imaginant y voir la tête du proc’ de service, éventuellement celle du juge, voire encore celle de l’avocat commis d’office, alors il y a peu de chance que nous puissions jamais nous comprendre. Ça fait mal… et je ne parle pas que du lampadaire.

Pour ne prendre qu’un exemple, ce texte de 1854 cité par Mike Davis dans son livre sur la prolifération actuelle des bidonvilles (Le pire des mondes possibles, 2006), montre assez que la représentation des dites «zones de relégation» se suivent et se ressemblent à quelques précautions stylistiques près :
«Des sauvages, clame le révérend Chapin dans Humanity in the City, non pas dans de lugubres forêts, mais sous les lumières des lampadaires, et sous les yeux des policiers ; avec des massues et des cris de guerre fort semblables, et des vêtements aussi extravagants et des âmes aussi brutales que n’importe lequel de leur semblables des antipodes (…)»(inutile de préciser qu’à cette époque les populations des quartiers de Londres dont il est question sont, en écrasante majorité, blanches).
Je vous laisse le soin de goûter, le discernement de notre journaliste du Monde, spécialiste ès-jungle urbaine…
«(…) L’enquête témoigne aussi des difficultés d’intégration des accusés. La plupart avaient déjà été condamnés pour violences et vols. En dehors d’un “chef de caisse à Lidl”, un supermarché discount, les cinq hommes sont tous sans profession. Le seul à disposer d’un diplôme a atteint le niveau BEP. Quatre des cinq accusés sont issus de familles polygames. Abou K., par exemple, est le deuxième enfant d’une famille de neuf. “Ses parents ont divorcé en 1996 pour permettre à son père d’épouser sa deuxième femme, avec laquelle il a dix enfants”, note le juge. Son demi-frère, Adama, ancien médiateur dans la cité, surnommé “le shérif”, est le sixième de cette seconde fratrie. Le magistrat relève aussi que l’épouse d’un des accusés n’a pas pu être auditionnée par les policiers, celle-ci s’étant présentée “vêtue entièrement d’une burqa dont elle refusait de dévoiler le haut pour permettre la vérification de son identité”.»
Dans les pages «Culture» de la même édition du Monde on trouve un autre article, apparemment sans lien avec le précédent, signé lui aussi de M. Luc Bronner (qui a décidément toutes les cordes à son arc). Il s’agit d’une présentation élogieuse du rappeur Larsen, celui qu’on nous dit être un des rares «à pouvoir pénétrer dans tous les quartiers de la banlieue parisienne». Simple retour d’ascenseur à celui qui, après s’être vu proclamer médiateur de choc entre les jeunes et le gouvernement, sert de guide à notre journaliste pour s’introduire à Villiers-le-Bel, et lui donne l’occasion de débiter le même tissu d’inepties que s’il était resté entre son bureau et le commissariat… avec, en supplément, le cachet du reporter «de terrain» et la caution d’un rappeur «resté proche de la rue».
Enfin et pour couronner le CV de notre cher reporter de l’extrême, le journal le Monde lui accorde un entretien maison, le propulsant derechef au statut d’expert des émeutes urbaines, espérons au moins que tous ses efforts lui auront valu une promotion, a minima une augmentation !
Précisons que monsieur à été gratifié du prix Albert Londres, justement pour son «travail» sur la jeunesse des banlieues ce qui laisse espérer quelques autres morceaux de bravoure d’ici à l’épilogue du procès et au fil des explosions sociales diverses qui ne manqueront par de survenir…
Le résultat du premier procès est tombé aujourd’hui, vendredi 17 juillet. Il fait la Une du Vingt-Heures de TF1 à côté de l’annonce de l’appel du procès Fofana. Tout est rôdé. Les jugements ont parfois été plus durs que les réquisitions, souvent équivalents… on parvient même à faire dire à un des avocats de la défense qu’on a voulu des «peines exemplaires» pour bien leur faire comprendre «qu’ils ne bénéficieraient d’aucune indulgence» ! On en profite pour dûment annoncer le prochain acte, le procès des présumés tireurs, entre une intervention de la représentante du syndicat de police local et les propos tronqués d’une mère en stress de voir son fils se faire embarquer pour un an de prison à l’issue de l’audience.
Tout va bien.
Benjamin épicier-terroriste, 17 juillet 2009.
L’angle mort (Zone libre - Casey - Hamé/La Rumeur)
À Villiers-le-Bel comme ailleurs,
«on ne rend pas les coups !»
«(…) “Il y en a, a-t-il rajouté, qui ont choisi de porter des capuches et des tee-shirts ‘nique la France’, d’autres qui ont choisi de porter l’uniforme, de défendre les valeurs de la République.” “Les faits sont extrêmement graves mais dans leur démonstration ils sont extrêmement simples”, a estimé le procureur, réfutant les critiques sur l’insuffisance des charges dans un dossier sans preuves matérielles, construit en large partie sur les dénonciations réciproques entre suspects.»
(Propos du procureur lors du procès de dix présumés émeutiers de Villiers-le-Bel retranscrits dans un article du Monde du 4 juillet).
Le premier acte de la grand messe cathartique qui tiendra lieu de procès aux émeutes de Villiers-le-Bel en novembre 2007, vient d’avoir lieu.
Les procès des émeutes urbaines doivent être exemplaires.
Les «évènements» de Villiers-le-Bel comme de Clichy-sous-Bois sont des exemples pour la jeunesse des banlieues et bien au-delà.
Il faut en étouffer la portée.
Faire bien comprendre à tout le monde qu’en République non plus on ne peut pas rendre les coups.
Un procès exemplaire.
Celui qui vient de se dérouler, les 3 et 4 juillet au tribunal de Pontoise n’est qu’une mise en bouche. Il ne s’agit encore que de cailloux et de bouteilles lancées sur les unités anti-émeutes durant les deux soirées d’affrontements qui ont suivi la mort de Lakhami et Moushin (13 et 14 ans) dans une collision troublante avec une voiture de police.
On prépare le clou du spectacle pour l’automne.
On fera alors le procès, aux assises, de cinq jeunes hommes accusés d’avoir utilisé des armes à feu contre les policiers anti-émeutes.
«Une centaine de policiers blessés» selon la préfecture de police.
Et plus de soixante-dix agents des forces de l’ordre en partie civile contre les cinq de Villiers.
Ce procès comme souvent dans ce genre de contexte n’est pas celui des faits.
Personne n’est en mesure d’établir qui tenait les armes à feu au cours des évènements. Personne.
Les cinq jeunes hommes, dont quatre sont toujours en détention préventive (depuis février 2008) ont été appréhendés puis incarcérés sur la base de témoignages sous-x, plusieurs semaines après les faits. Ces témoignages sous-x la police les a obtenus après plusieurs semaines d’enquête infructueuse. Après aussi la grande perquisition-spectacle qui avait vu le quartier encerclé à l’aube par plus de 1200 policiers en armes, et 35 arrestations télévisées, qui n’avaient rien donné ou presque. Elle les a obtenus en distribuant, dans chaque boîte aux lettres du quartier, des appels à délation assortis de la promesse d’une protection à témoin sous-x et d’une «forte récompense» (on imagine aisément le type de règlements de comptes que cela peut susciter, la police n’a d’ailleurs plus réitéré l’expérience des «récompenses» depuis…).
Hors ces témoignages sous-x rien ne vient étayer la pertinence de cette liste de noms. Elle va pourtant servir à une des grandes mises en scène judiciaires de la Sarkosie.
Ce dont on va faire le procès d’ici à la fin de cette année, c’est bien donc de la possibilité même de rendre les coups. Car entendons-nous bien, une nuit d’émeute d’une telle intensité ne répond pas seulement à la mort de deux jeunes adolescents. Elle répond à des années de gestion néo-coloniale de certains quartiers, aux brimades, aux contrôles quotidiens, aux gardes à vue abusives, aux blessures, aux abattages aléatoires…
Dès l’automne 2005, l’actuel président a multiplié des appels à la guerre à peine voilés.
Il a placé la relation des autorités aux jeunesses des quartiers populaires sur le plan de la guerre.
Il a doté la police de moyens pour mener une telle guerre (équipements de corps, Flash-ball, Tasers, drones, hélicoptères et véhicules équipés d’halogènes tournants). Les policiers ont été systématiquement galvanisés en ce sens, tant par sa gestuelle hystérique à lui que par les grimaces autoritaires d’une MAM, qui n’a cessé de leur envoyer des fleurs pour flatter leur «professionnalisme».
La doctrine Sarkozy a définitivement fait de la police et de la gendarmerie, désormais réunies, un parti. Son parti. Restructurations, remontrances et mots doux y prennent les mêmes traits que dans sa relation à son autre parti, et la même efficacité.
Ce procès à venir, c’est la tête du jeune-rebelle-de-banlieue-inconnu apportée sur un plateau aux syndicats de police qui réclament vengeance ET impunité.
La punition «exemplaire» qu’on demandera à la magistrature d’énoncer, dira aussi à tous :
«On ne rend pas les coups !»
Les évènements de Villiers-le-Bel, comme ceux de Clichy-sous-Bois valent au delà d’eux-mêmes, ils sont chargés de sens, pour le pouvoir, pour la police, pour les jeunes des quartiers populaires mais aussi pour l’ensemble de la jeunesse de ce pays qui, de diverses manières, a pris en pleine gueule la gouvernance Sarkozy (qui n’a sans doute de nouveau que le style et le franc-parler). Celle-là même qui l’a officiellement désignée comme figure potentielle de l’ennemi. Clichy-sous-Bois avait résonné partout et longtemps, jusqu’au cœur des manifestations anti-CPE, Villiers-le-Bel n’a pas fini de résonner, malgré les procès et les diatribes du parti de l’ordre.
La question qui se pose à nous, public récalcitrant, n’est pas tant de oui ou non soutenir tel ou tel acte, ni de savoir si ce sont ou non des «innocents» qui vont être jugés, elle est de reconnaître que ces évènements se situent dans le cours d’une guerre ouverte, déclarée par le gouvernement lui-même. Elle est de refuser ou non de baisser la tête au moment où on s’apprête à en pendre quelques-uns, pour l’exemple.
Benjamin épicier-terroriste, 9 juillet.