Dans les murs
Jeudi 18 décembre. Des dizaines de lycées dans le Rhône sont bloqués et débrayés dans la matinée. Plusieurs milliers de lycéen.ne.s convergent vers les Terreaux en manifestations sauvages, depuis différents points de l’agglomération, renversant des poubelles, allumant des feux, craquant des fumigènes. Les manifestations précédentes s’étant soldées par de rapides échauffourées et quelques interpellations, tout le monde est bien remonté. La rage et le nombre obligent la BAC à se tenir à distance du cortège. Rapidement, des affrontements éclatent entre des lycéen.ne.s et des CRS à Bellecour, devant le rectorat, à Jean Macé puis le long de l’avenue Berthelot où des stations de tramway sont explosées à coup de brise-glaces, et des barricades dressées à l’aide de palettes enflammées et de voitures retournées. Malgré le dispositif policier important, Lyon redécouvre la joie contenue dans l’affrontement avec les forces de l’ordre. La journée se termine par 38 interpellations (dont pas mal de simples contrôles d’identité en fait) ainsi que plusieurs blessés côté lycéen et cinq policiers envoyés à l’hosto.
Au tribunal, la famille, des amis des lycéens et la Caisse sont présents. En attendant le procès au mois de janvier, le soutien s’organise : des lettres et des mandats sont envoyés à Samir, et des gens de la Caisse rendent visite à sa famille qui nous apprend que l’administration pénitentiaire rechigne à leur donner les autorisations nécessaires pour aller le voir.
Vendredi 23 janvier, Samir est enfin jugé. Les gens venus le soutenir sont assez confiants : malgré ses antécédents judiciaires, on pense qu’il va être libéré. Il doit rapidement commencer une formation, il a un bon avocat, des lettres de la mission locale de Vaulx-en-Velin le décrivant comme quelqu’un de sérieux, il vient de passer son code, etc. Bien que la responsabilité soit collective, le juge, particulièrement méprisant, prend un malin plaisir à lui demander d’avouer sa faute et à reconnaître qu’il est seul responsable de ses actes, tout en faisant part de ses remarques personnelles («On a le droit de manifester si on n’est pas directement concerné ?», «Il y a des manifestants et des gens qui n’ont rien à voir avec la manifestation, qui sont venus pour casser», «Vous n’êtes pas vraiment quelqu’un qui faites du bien à votre prochain»…). Samir plaide le mouvement de foule, l’inconscience du groupe, l’ambiance survoltée de la manifestation, le fait d’être pris dans l’action. Il assure être prêt à indemniser la victime. Mais rien n’y fait. Le juge lui répond sèchement : «Vous étiez fou ? Somnambule ? Ivre ? Drogué ?»
Ce jour-là, la quasi-totalité des personnes qui passent en comparution immédiate sont d’origine «nord-africaine», comme on disait dans la police. Et les verdicts sont à la mesure de la sévérité du juge : presque uniquement des peines de prison ferme, souvent même plus fortes que les réquisitions du procureur. Tout ça pour des conduites sans permis, en état d’ébriété, des petits larcins…
Finalement, la condamnation de Samir tombe. Alors que le procureur demandait une peine de 6 mois fermes, le juge lui en claque 8, assortis de 1500 euros de dommages et intérêts pour la propriétaire du véhicule… On s’imaginait pouvoir sortir du tribunal avec lui, Samir repart directement en taule. Pour autant, le travail de soutien de la Caisse ne s’arrête pas là (lettres, mandats, aller voir la famille). Quelques semaines après, Samir a été transféré dans la prison froide et moderne de Villefranche. Avec sa famille, nous espérions le revoir en juin. Mais Samir nous a annoncé dans sa dernière lettre qu’il venait de prendre un an ferme supplémentaire. Il passera l’été en prison.
Dans son dernier courrier, il disait aussi : «J’espère que vous continuerez à m’écrire car une lettre en prison c’est comme être libre.»
Pour écrire à Samir : la Caisse fera suivre.
CAISSE DE SOLIDARITÉ
Les situations comme celles du 18 décembre ou l’événement de Biovision montrent à quel point il est nécessaire de disposer d’un outil qui a déjà des fonds, un numéro de portable pour centraliser les informations et agir rapidement. L’avantage de la Caisse par rapport aux comités de soutien, c’est que les affaires sont suivies sur le long terme, et pas uniquement lors de l’événement. Recréer un comité de soutien à chaque fois, rouvrir un compte, etc. revient à perdre tout le savoir acquis d’une fois sur l’autre. Surtout, une seule caisse permet de mettre en lien différents types d’affaires, de les faire résonner ensemble dans une offensive politique. Dans ce but, des centaines de tracts ont été diffusés en manifestation, présentant des techniques pour faire face à la police. Le numéro d’urgence commence aussi à tourner dans les quartiers populaires de Lyon, pour s’opposer ensemble à la répression quotidienne. Grâce à une solidarité autonome, on a moins peur de la police et de sa justice, on est moins seul, plus apte à gérer. La Caisse de solidarité, c’est pas seulement de l’anti-répression secouriste mais un outil politique qui permet des rencontres fortes et subversives, qui nous donne de la puissance et nous rend les possibilités d’action que la répression est censée conjurer.
Outrage no 5, mars 2009
Incendiaire, gratuit, sur Lyon et ses environs.