Guadeloupe, Martinique : l'art de faire grève...

Publié le par la Rédaction


En ce début d’année 2009 la Guadeloupe et la Martinique font parler d’elles à coup de grèves ! Différente des revendications syndicalistes qui concernaient autrefois des secteurs spécifiques, la grève générale commencée en Guadeloupe le 20 janvier dernier par le collectif Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP ) est en passe de devenir, par l’ampleur de la contestation, un phénomène historique !

À l’inverse de ce qui a pu être publié dans certains journaux nationaux dépêchés sur place tardivement, ces mouvements de grèves sont parfaitement organisés et rassemblent de nombreux syndicats (plus d’une quarantaine), tous unis pour dénoncer une situation peu connue des Français de l’hexagone, à savoir l’existence d’une majorité de la population guadeloupéenne exploitée économiquement et maintenue dans la précarité par un système de privilèges. Privilèges dont bénéficie une petite minorité blanche qui compte des descendants d’esclavagistes et détenant les rênes de l’économie des îles françaises de la Caraïbe.

Devant cette poussée de protestations en Guadeloupe, le préfet Nicolas Desforges nouvellement en poste, a reconnu officiellement l’existence d’une société «à deux vitesses».

D’où vient la force du collectif LKP ?

Des manifestations bien encadrées et calmes dans les rues de Pointe-à-Pitre et de Basse-Terre qui ont rassemblé près de 65.000 personnes (et non 18.000 comme il a été annoncé par les journaux nationaux, relayant facilement le discours dominant selon lequel une minorité voudrait une indépendance «aventureuse» freinée par un peuple apathique «se la coulant douce» à coup d’allocations dites «braguettes») ; des revendications claires saluées de manière quelque peu opportuniste par de nombreuses personnalités politiques de la gauche française (qui n’a pas fait mieux pour les Antilles quand elle était au pouvoir) ; une stratégie inédite de diffusion télévisée en direct du début des négociations du LKP avec le préfet, les élus et les représentants du patronat. Ainsi, chacun a pu voir, en direct, les résistances injustifiées des patrons aux propositions du LKP, la maîtrise que ce dernier avait des dossiers, les contradictions de la politique de la France dans cette région du monde et les reculades de l’État ; une cohérence dans les propos tenus par l’intersyndicale et l’adoption d’une posture inébranlable ayant forcé le secrétaire d’État à l’Outre-mer à délocaliser son bureau parisien en Guadeloupe ; une ténacité digne d’un peuple libre acceptant depuis 21 jours, la quasi paralysie de toute l’île (pas d’essence, pas de transports publics, pas d’école, toute l’activité économique au point mort…) afin de faire lever des tabous sur tout ce système économique soigneusement mis en place et entretenu par un groupe ethnique minoritaire (en nombre) à savoir les Békés, descendants directs des colons, trustant les terres et les infrastructures clés de l’économie des îles au seul profit d’une caste qui se tient à part, pour «préserver la race» parce que «dans les familles métissées, les enfants sont de couleurs différentes, il n’y a pas d’harmonie…» comme l’a affirmé tranquillement Alain Huygues-Despointes (en véritable Afrikaner) il y a quelques jours, dans un reportage diffusé sur Canal +.

De quoi ternir l’image d’Épinal d’une France, forgeant la Déclaration des Droits de l’Homme, éclairée par des principes philosophiques prétendument universels, ayant enfin accepté de mettre en œuvre des mesures prenant en compte l’existence d’une nation «plurielle» vingt ans après des pays comme l’Angleterre et l’Allemagne.

En France hexagonale, rares sont ceux qui savent qu’outre-mer existe un racisme institutionnel refusant à une majorité de la population les mêmes droits d’accès aux postes clés au sein des entreprises ou aux prêts bancaires autres que les crédits à la consommation jouant ici le rôle aliénant d’une camisole. Des prêts qui pourraient permettre aux autochtones de créer eux aussi leurs entreprises et d’être de vrais acteurs dans l’édification de leur société.

Le seul «progrès social» concédé aux descendants d’esclaves Noirs et aux Indiens de Guadeloupe et de Martinique est leur conversion en consommateurs forcés dans un marché livré aux monopoles des békés. Des populations maintenues dans un système bilatéral France - Antilles, incapable de les sortir de la logique du sous-emploi et du chômage.

Alors même que la Guadeloupe et la Martinique explosent les chiffres du chômage avec des taux à plus de 27%, les îles se remplissent depuis toujours de vagues successives de Français de l’Hexagone attirés par tous les avantages matériels que leur offre un séjour tropical. Cette autre France présente tous les symptômes d’un pays où règne une forme d’apartheid tropical. Dans certaines communes, des quartiers entiers sont pratiquement peuplés d’Européens, et d’autres, uniquement de Noirs, descendants d’Africains et autres Antillais d’origine indienne.


C’est dans ce contexte que l’artiste Joëlle Ferly, revenue en Guadeloupe après 20 ans d’absence, s’est trouvée invitée par le commissaire Suzy Landau à exposer à la Fondation Clément en Martinique. Nouveau lieu de l’art contemporain, cette fondation n’en reste pas moins un lieu sensible politiquement et ce pour plusieurs raisons : la Fondation Clément appartient au béké Martiniquais Bernard Hayot. Ce milliardaire est l’une des plus grandes fortunes de France, qui détient avec d’autres békés la plupart des terres de la Martinique, ainsi que la grande distribution dans tous les DOM-TOM.

Jocelyn Valton & Joëlle Ferly
Carib Creole One, 17 février 2009.
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