Il faut que je cherche un moyen de sortir de cette pourriture...

C’est pourquoi à ceux qui me diront qu’ils ont de l’argent et qu’alors je dois leur obéir, je leur dirai : «Quand vous pourrez démontrer qu’une partie du tout représente le tout, lorsque ce sera une autre terre que celle sur laquelle vous êtes né comme moi et un autre soleil que celui qui vous éclaire [qui] a fait pousser les arbres et mûrir les fruits, quand vous m’aurez démontré cela, je vous reconnaîtrai le droit de m’empêcher d’en vivre, car, d’où sort l’argent : de la terre, et l’argent est une partie de cette terre transformé en un métal que l’on a appelé argent et une partie du monde a pris le monopole de cet argent et a, par la force, en se servant de ce métal, forcé le reste du monde à lui obéir. Pour ce fait, ils ont inventé toutes sortes de systèmes de tortures telles que les prisons, etc.»
Pourquoi cette minorité qui possède est-elle plus forte que la majorité qui est dépossédée ? Parce que cette majorité du peuple est ignorante et sans énergie ; elle supporte tous les caprices des possédants en baissant les épaules. Ces gens sont trop lâches pour se révolter et, bien mieux, si parmi eux il y en a qui sortent de leur troupeau, ils s’efforcent de les y empêcher soit exprès, soit par leur bêtise, mais ils sont aussi dangereux l’un que l’autre. Ils se réclament de l’honnêteté mais sous leur marque se cache une hypocrisie et une lâcheté qui n’est pas discutable.
Que l’on me montre un honnête homme !
C’est pour toutes ces choses que je me suis révolté, c’est parce que je ne voulais pas vivre la vie de la société actuelle, et que je ne voulais pas attendre que je sois mort pour vivre que je me suis défendu contre les oppresseurs par toutes sortes de moyens à ma disposition.
Dès mon plus jeune âge, je connus déjà l’autorité du père et de la mère et avant d’avoir l’âge de comprendre je me révoltai contre cette autorité ainsi que celle de l’école.
J’avais alors treize ans. Je commençai à travailler ; la raison me venant, je commençai à comprendre ce que c’était que la vie et l’injure sociale ; je vis les individus mauvais, je me suis dit : «Il faut que je cherche un moyen de sortir de cette pourriture qu’étaient patrons, ouvriers, bourgeois, magistrats, policiers et autres ; tous ces gens me répugnaient, les uns parce qu’ils supportaient de faire tous ces gestes.» Ne voulant pas être exploité et non plus exploiteur, je me mis à voler à l’étalage ce qui ne rapportait pas grand-chose ; une première fois je fus pris, j’avais alors dix-sept ans ; je fus condamné à trois mois de prison ; je compris alors ce que c’était que la justice ; mon camarade qui était prévenu du même délit puisque nous étions ensemble, fut condamné à deux mois et avec sursis. Pourquoi, je me le suis toujours demandé. Mais je puis dire que je ne reconnais à personne le droit de me juger, pas plus un juge d’instruction qu’un président de tribunal, car personne ne peut connaître les raisons déterminantes qui me font agir ; personne ne peut se mettre à ma place, en un mot personne ne peut être moi.
Octave Garnier (2 décembre 1889 - 5 mai 1912),
extrait de Mes Mémoires, manuscrit retrouvé à Nogent-sur-Marne
Cette semaine no 97, décembre 2008.