Le syndicalisme en Algérie
Alors que l’Algérie n’est éloignée que d’une centaine de kilomètres de la France, la situation syndicale n’y est pas du tout la même. À l’heure où tous cherchent un rapprochement entre les pays du bassin méditerrannéen, nous avons voulu savoir ce qu’il en était des luttes sociales algériennes.
Un droit pourtant connu et reconnu…
Les libertés syndicales sont protégées par la constitution de l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Cette protection est affirmée par la constitution de l’OIT dès 1919.
Il existe aussi plusieurs conventions protégeant, officiellement, syndiqués et syndicalistes.
➢ Convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (1948) qui consacre le droit des travailleurs et des employeurs :
— De constituer des organisations syndicales de leur choix et de s’y affilier sans autorisation préalable.Cette même convention interdit aux autorités de :
— De choisir leur mode de fonctionnement, leur programme d’action et leur politique syndicale.
— De constituer des fédérations, confédérations et de s’y affilier.
— De s’affilier à des organisations internationales.
— S’ingérer dans les affaires internes du syndicat.
— Suspendre ou dissoudre une organisation syndicale par voie administrative.
➢ Convention no 98 sur le droit d’organisation et de négociation collective (1949) qui stipule que :
— Les travailleurs doivent être protégés contre toute discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi.
— Tout acte d’ingérence, notamment les mesures qui visent à placer les organisations de travailleurs sous le contrôle de l’employeur, est interdit.
— Des mesures doivent être prises pour encourager la négociation collective.
➢ Convention no 135 concernant la protection des représentants des travailleurs dans l’entreprise et les facilités à leur accorder (1971) qui donne de plus larges garanties à l’exercice du droit syndical et une protection adéquate des représentants des travailleurs. Notons que l’Algérie n’a pas ratifié cette convention à ce jour.
Plusieurs dispositions réglementaires consacrent le pluralisme syndical, la liberté de s’organiser et le droit de grève. Des dispositions pénales protégent même les libertés syndicales et répriment toute ingérence dans les affaires interne des organisations syndicales.
Les autorités ont, sous la pression du mouvement social de 1988, garanti aux citoyens, à travers plusieurs articles des constitutions algériennes de 1989 et 1996, le droit et la protection de leur liberté d’expression, d’association et de réunion et la défense individuelle ou associative des droits fondamentaux de l’homme et des libertés individuelles et collectives.
Le droit syndical est reconnu à tous les citoyens ainsi que le droit de grève, les infractions commises à l’encontre des droits et libertés, ainsi que les atteintes physiques ou morales à l’intégrité de l’être humain sont réprimées.
L’ouverture démocratique induite par la constitution de 1989, est suivie de la promulgation de la loi 90-14 du 02 juin 1990, relative aux modalités du droit syndical qui réglemente la vie syndicale. Si elle a le mérite d’avoir permis l’émergence de syndicats autonomes, plusieurs dispositions sont en contradiction avec les conventions internationales.
Historique du syndicalisme en Algérie…
Le pluralisme syndical en Algérie est d’apparition récente. C’est au détour des évènements d’octobre 1988 qui ont engendré une ouverture démocratique, que le pluralisme syndical et le droit de grève trouvent leur consécration constitutionnelle.
L’Union générale des Travailleurs algériens (UGTA), créée le 24 février 1956, est le premier syndicat algérien à voir le jour. Il est un prolongement du mouvement de libération national sans être sous la coupe des politiques de la révolution. Les membres fondateurs sont essentiellement des syndicalistes algériens de la Confédération générale du Travail (CGT) et de la Confédération française des Travailleurs (CFT). Un fait important est à souligner, l’UGTA a évolué en marge du mouvement politique. Cette autonomie durera jusqu’à l’indépendance.
Le premier congrès de l’UGTA en février 1963, par l’intrusion des forces de police au sein même de la salle des conférences, illustre la mainmise du pouvoir politique sur la centrale syndicale. La charte nationale de 1976 consacre le caractère d’organisation de masse de l’UGTA, ne peut être responsable au sein du syndicat unique que celui qui justifie de sa qualité de membre du parti unique. La lutte syndicale laisse ainsi place à un instrument de prévention des conflits et des grèves.
Après les évènements d’octobre 1988, les travailleurs algériens, profitant de l’esquisse d’ouverture démocratique, constituent des organisations syndicales autonomes par rapport au pouvoir et par rapport à l’UGTA. L’engouement des travailleurs et leur adhésion en masse dans les rangs de ces organisations, remettent en cause le monopole de l’UGTA. Ce pluralisme, mal perçu par le pouvoir, pousse les autorités à favoriser le syndicat appareil.
Aujourd’hui les travailleurs algériens des services publics et privés jouissent officiellement du droit de liberté syndicale et du droit de grève mais la législation algérienne recèle des contradictions qui ont permis aux autorités algériennes de transgresser la législation internationale. Les organisations syndicales, unions, fédérations et confédérations ont uniquement le droit de se constituer indépendamment par profession, branche ou secteur d’activité.
La loi impose en outre trois impératifs à satisfaire : le dépôt d'une déclaration de constitution auprès de l’autorité concernée, l’obtention d’un récépissé d’enregistrement et rendre public la déclaration, par voie publicitaire, dans au moins un quotidien national d’information.
Les autorités algériennes ont toujours refusé d’enregistrer des syndicats qu’elles ne contrôlent pas et ne remettent pas le récépissé d’enregistrement ou l’accusé de réception du dossier, ce refus n’est bien sûr pas notifié officiellement. Le Conseil des Lycées d’Alger et le Conseil National Autonome des Professeurs de l’Enseignement Supérieur et Technique en sont des exemples récents.
L’atteinte au droit de choisir sa ligne syndicale est aussi matérialisée par l’ingérence des autorités dans les affaires internes des organisations syndicales. Des tentatives de déstabilisation de ces organisations sont fréquentes et les autorités facilitent toutes manœuvres et actions allant dans ce sens. L’entretien de ces conflits est un prétexte qui justifie qu’aucun des syndicats, ni centrales syndicales autres que l’UGTA (considéré comme seul représentatif) ne sont consultés, ni invités aux négociations bilatérales sur les questions engageant l’avenir des travailleurs et de l’Algérie.
Des courriers destinés aux organisations syndicales arrivent à l’employeur avant même leurs destinataires, des correspondances tendancieuses sont émises par les services du ministère du Travail dans le but de semer le doute, de démoraliser les bases syndicales et d’orienter les décisions de justice si besoin.
Les employeurs sont tout autant actifs dans la répression syndicale : les syndicalistes sont continuellement persécutés. Certains sont mutés abusivement, d’autres traduits devant les commissions de discipline et enfin beaucoup sont licenciés. Le recours aux casseurs de grève est systématique, les employeurs recrutent des contractuels pour remplacer les travailleurs en grève.
Ces atteintes, portées à la connaissance des autorités et des instances concernées, restent sans suite et sans réhabilitation ni réparation des préjudices mais la justice, régulièrement saisie par des employeurs casse les mouvements de contestation. Toutes les grèves initiées par les organisations syndicales n’entrant pas dans les calculs des autorités sont systématiquement déclarées illégales, des syndicalistes sont arrêtés par les forces de l’ordre et emprisonnés.
Quelques exemples concrets…
➢ Le SNAPAP, Syndicat National Autonome des Personnels de l’Administration Publique, conformément aux orientations de son congrès, décide d’investir le secteur économique. Le dossier essuie un refus catégorique des autorités, en effet la loi ne permet pas l’enregistrement de syndicats non sectoriels.
➢ Le Conseil des Lycées d’Alger, a essuyé un refus catégorique d’Alger quant à la délivrance de son récépissé d’enregistrement. Ce syndicat qui a paralysé les lycées d’Alger pendant plus de trois mois, s’est vu interdit de réunion au sein des établissements. Sa direction, a fait l’objet d’arrestation et de poursuites judiciaires. Les enseignants affiliés ont été persécutés, salaires bloqués, interdiction de rejoindre leurs postes de travail, menaces de licenciement.
➢ Le SNOMMAR, Syndicat National des Officiers de la Marine Marchande, d’existence récente, a été victime d’une véritable machination administrative. Juste après le déclenchement d’une grève, l’administration de l’Entreprise Nationale de Transport Maritime de Voyageurs recrute des briseurs de grève et déclare la grève illégale. S’appuyant sur une correspondance de l’inspection du Travail, destinée au syndicat SNOMMAR — mais qui est reçu par l’ENMTV avant les intéressés — le tribunal de Sidi M’Hamed déclare la grève illégale. L’employeur procède immédiatement à des sanctions administratives et des blocages de salaires. Huit officiers sont suspendus et quatre autres licenciés pour des déclarations faites dans leur mandat syndical.
➢ De nombreux syndicalistes du Syndicat National des Praticiens de Santé Publique ont fait l’objet de persécutions. Les médecins subissent menaces par téléphone et emails anonymes, harcèlements de la direction, mutations, suspentions. Les Dr Bensebaini, président du SNPSP, Dr Besbas, Secrétaire Général, et Dr Batata ont été victimes de coups et blessures volontaires au sein même de l’établissement où ils exercaient. Le directeur, commanditaire de ces actes reste intouchable à ce jour.
➢ Le siège du Syndicat Autonome des Travailleurs de l’Éducation et de la Formation a été incendié, les menaces sur les membres de l’exécutif national et les poursuites judiciaires sont devenues le lot quotidien des épreuves que subissent les membres du syndicat.
Malgré la fin de la dictature en 1989, l’État algérien toujours plus riche continue de réprimer ceux qui se battent pour de meilleurs conditions de vie. Mais il n’a pas le monopole de la répression syndicale et des mouvements sociaux.
Que ce soit en Algérie ou dans le reste du monde, y compris en France, les organisations de travailleurs ont toujours représenté un danger pour des gouvernements s’enrichissant sur le dos des travailleurs et niant la démocratie. Les droits syndicaux ont toujours été acquis dans les luttes et c’est dans les luttes que nous devrons les défendre car ils sont les seuls remparts contre un système exploite des travailleurs de plus en plus pauvres.
Miaouu no 4, mars-avril 2008 — Fanzine de la CNT-FAU 33
Section «supérieur & recherche» du syndicat CNT éducation de la Gironde
Section «supérieur & recherche» du syndicat CNT éducation de la Gironde