Le syndicalisme est-il soluble dans les particules ?
Il est encore de bon ton dans les syndicats, de séparer soigneusement la lutte de défense (la lutte pour les conquêtes est bien oubliée) des travailleurs, de la lutte de défense de l’environnement. Cette dernière est laissée aux partis politiques, aux associations, et aux jeunes «poilus allumés». Il ne s’agit nullement d’une «erreur» due à une limitation d’esprit des syndicalistes, mais d’un parti pris déterminé : le rôle actuel des syndicats n’est pas de critiquer un mode de production industrielle, même s’il est dévastateur, mais d’accompagner son développement en prétendant aider les travailleurs. Produisons, produisons et la classe ouvrière y retrouvera ses paradis !
Dans un article récent, Rue 89, raconte l’un des derniers déboires de la firme Ikéa, qui a dû retirer (avec plus ou moins de bonne volonté) de la vente un de ses modèles d’armoire («Rakke»). Cette dernière produisait un dégagement de formaldéhyde, provoquant rhinites, maux de tête, et cancers. Au passage on trouve cette admirable et pertinente phrase d’une responsable de la firme : «Nous sommes conscients du problème du formaldéhyde, qui peut provoquer des allergies. Mais ce produit est présent partout.»
Mais pourquoi donc ?
Comme c’est vrai ! La production de meubles «bois» d’Ikéa est essentiellement fabriquée avec des panneaux de particules et des revêtements stratifiés (ou des panneaux mélaminés). Par nature, ces produits sont constitués de colles et de résines synthétiques dont le coût de revient est aussi modeste que les dégâts environnementaux sont ambitieux !
Le faible coût apparent et l’intérêt d’usage de ces panneaux (bonne stabilité dimensionnelle et revêtement d’entretien aisé pour les stratifiés et mélaminés), ne sont pas les seules raisons de leur fabrication et de leur emploi. En effet l’industrie est également (et surtout) sensible au fait que ces matériaux offrent une possibilité d’usinage «rationnel» et automatisable.
Les conséquences pour les travailleurs sont multiples et dévastatrices :
— Dangers pour leur santé : en plus des dangers dus aux poussières de bois, s’ajoutent ceux dus aux produits synthétiques.
— Dangers pour la défense de leurs intérêts : les processus de fabrication ne nécessitent comme travailleurs que des manutentionnaires, des automaticiens, et des «artistes», les trop fameux designers. Cela implique que l’industrie du bois fait disparaître toute culture de métier, toute qualification en rapport avec le matériau, donc toute possibilité de faire valoir un réel savoir-faire.
De plus, l’absence de qualification ouvrière s’accompagne évidemment de salaires minimums et d’une menace permanente de délocalisation.
Allons, allons… un peu d’ optimisme
L’industrie est-elle en mesure de proposer d’autres matériaux ?
Bien entendu ! Les années 50 et 60 avaient vu la production de meubles en métal, verre, plastique, et on commence à voir poindre une mode, avec le concours «d’artistes d’avant-garde», de meubles en carton. Le XIXe siècle avait également promu la fabrication de meubles en «papier mâché». Il n’y a donc aucun souci à se faire d’un point de vue industriel : s’il est impossible de faire du profit avec des meubles en panneaux pour des raisons environnementales, l’industrie proposera, et fera faire la promotion par des architectes et artistes bien en cours, un «nouveau» style de mobilier «écologique», «économique» et … gracieux (enfin, c’est ce qu’ils imposeront, à grand recours de manipulations médiatiques) ! Ce qui ne saurait changer, en revanche, c’est l’impérieuse nécessité de maintenir la classe ouvrière dans la précarité et l’ignorance, puisque c’est la base même de la réalisation de profits, seul objectif de l’industrie.
D’une certaine façon, ceci semble justifier l’attitude des syndicats vis-à-vis des problèmes environnementaux : peu importent les questions écologiques puisque, de toute façon, le problème central est l’exploitation de classe.
Allez les bœufs !
Sauf que… Les systèmes du socialisme réel (celui des pays soviétiques), prétendant reposer sur la libération de la classe ouvrière, ne l’ont nullement libérée (ils ont plutôt enfermé tout le monde), et surtout, ils se sont avérés champions des dégâts environnementaux. Or, même s’ils le contestent maintenant, le fond culturel des syndicats actuels, repose bel et bien sur des conceptions de libération de la classe ouvrière identiques aux conceptions politiques staliniennes. Dans la version «moderne», on ne parle plus de classe ni surtout d’intérêt et de lutte de classe, mais on conserve, et c’est l’essentiel, le refus de considérer la classe ouvrière comme apte à gérer elle-même la production. Et la seule garantie qu’une production ne soit nuisible, ni aux travailleurs, ni aux utilisateurs, ni à l’environnement, c’est justement qu’elle soit conçue et effectuée par des travailleurs formés, informés, conscients, et fiers de leur boulot : exactement le contraire des modes de gestion impérialement de l’industrie. Et accessoirement, exactement le contraire de l’asservissement induit par les pratiques des confédérations syndicales !
Oui, mais nous, on dit…
Dès lors, une conséquence s’impose : il n’est actuellement pas question pour des syndicalistes, voulant conserver une certaine cohérence, de prétendre délivrer des recettes toutes faites aux travailleurs. C’est, de toute façon, voué à l’échec.
Pour en revenir aux problèmes posés par l’industrie du bois, il y a deux attitudes également pernicieuses : la première consiste à prendre la défense des travailleurs pour maintenir l’activité industrielle quels que soient ses objectifs de production, la seconde est de déclarer l’inanité complète de cette production pour des raisons écologiques, donc de délaisser des combats ouvriers, parce que sans perspectives écologiquement correctes.
Entre, un réformisme conservateur de modernité industrielle, et un avant-gardisme à l’humanisme décroissant, le syndicaliste cohérent se pose légitimement la question d’une pratique efficace et durable ; l’autogestion, la prise en main de la production et de sa gestion par les travailleurs eux-mêmes résout, en théorie, radicalement le problème : si l’industrie fait n’importe quoi pourvu que ça rapporte aux actionnaires principaux, c’est bien parce que les travailleurs sont exclus de toute gestion (autrement que par des ersatz tels que les comités d’entreprise). Certes, mais quiconque a posé directement la question d’une perspective d’autogestion à des salariés d’une boîte en crise, sait que cette perspective, bien loin de provoquer l’enthousiasme créatif, entraîne l’angoisse et la défiance, tout particulièrement chez les militants syndicaux.
C’est la preuve d’une nécessaire rupture fondamentale dans le rôle actuel des syndicats. Très rapidement (et trop théoriquement) exprimé, le syndicat doit avant tout, étant donnée la situation actuelle, informer, former, donner conscience de l’objet et de l’intérêt social d’une production dans toutes ses dimensions : service fourni à la collectivité, intelligence de conception, esthétique employée, respect maximum de notre environnement (l’activité humaine modifie toujours l’environnement, mais qu’au moins, cette modification tienne compte de nos connaissances scientifiques, et que les prospectives ne soient pas financières) ; bref, si l’on vise une décroissance astucieuse et efficace, il faut redonner la fierté de produire ! Et c’est le rôle des syndicalistes.
Le Réveil du Bâtiment no 19, décembre 2007
Lettre d’information de la Fédération française des Travailleurs du bâtiment,
des travaux publics, du bois, de l’ameublement et des matériaux de construction
Lettre d’information de la Fédération française des Travailleurs du bâtiment,
des travaux publics, du bois, de l’ameublement et des matériaux de construction
affiliée à la Confédération nationale du Travail (CNT)
Gagner des droits nouveaux dans les entreprises
Le syndicat a tout d’abord un rôle défensif. C’est l’organisation qui permet aux travailleurs de faire appliquer leurs droits et la réglementation. Mais en tant que structure défensive, il est amené à intervenir a posteriori, une fois que le patron a enfreint les droits et méprisé la dignité des ouvriers. Le syndicat assiste et défend ses adhérents une fois qu’ils ont été licenciés, une fois que la maladie professionnelle s’est déclarée ou qu’un accident a eu lieu. Dans ces situations, le Conseil des Prud’hommes est souvent le seul recours possible. Mais ce n’est pas dans cette instance paritaire, où des salariés fricotent avec le patronat pour juger d’autres salariés, que nous gagnerons. Attaquer le patron devant le Conseil des Prud’hommes permet certes de retrouver sa dignité, mais c’est une démarche individuelle et longue. Militants et adhérents s’y usent pour n’obtenir que quelques dommages et intérêts et l’application minimum des droits. Il n’annulera pas les tords faits aux salariés.
Pour éviter ces situations de vie terribles, c’est avant le chômage, le licenciement ou l’accident qu’il faut lutter dans les entreprises. Organisés dans les entreprises, on peut négocier et obtenir des augmentations de salaires, de primes de pénibilité, l’aménagement des conditions de travail, l’augmentation et l’aménagement des congés.
Toutefois, ce n’est que dans un rapport de force que le patron lâchera ces droits nouveaux. C’est pourquoi nous devons amener les collègues à se rapprocher progressivement du syndicat.
Vite fait sur l’gaz no 3, octobre 2007
Lettre d’information express du SUB-TP-BAM-RP