Il est élu et puis après ?
Alors ? La sarkophilie galopante de ceux-ci se heurterait de plein fouet à l’anti-sarkozisme résolu de ceux-là ? Tout, avant, pendant et maintenant s’est focalisé sur le personnage de Nicolas. À la fois star et provocateur, une sorte d’anti-Gainsbar de la chose politicienne, omniprésent sur le papier glacé des peoples et au cœur des «Grenelles» bidons qui vont se multiplier en trompe-l’œil, à l’infini et sur n’importe quoi, le nouveau Président, s’il entend tout tenir dans ses petites mains, n’est, au départ et in fine, qu’un produit rentable lancé sur le marché électoral par la grande bourgeoisie. N’importe quel thuriféraire du libéralisme eût fait l’affaire, pourvu qu’il soit vendable. Banco.Ne nous y trompons pas : la bourgeoisie est aujourd’hui, au-delà des mouvements anti-CPE de l’an dernier, des cités qui craquèrent en 2005, du baroud d’honneur pour les retraites de 2003 et longtemps après le mouvement social de 1995 ; la bourgeoisie est la seule classe à se penser en lutte, en tant que classe. Avec un MEDEFiste inconditionnel aux manettes, elle pourrait désormais mettre en œuvre son grand dessein : la casse définitive du «compromis social» de 1945 (1), la mise au pas de la France en l’alignant sur les canons du libéralisme dominant en Europe et dans le monde. Pour ce faire, la République et sa démocratie représentative offrent un cadre de bon aloi qu’il suffit de savoir utiliser au mieux. C’est un métier.
Et à chacun son rôle : l’État gardera ses fonctions régaliennes (2), battra monnaie, rendra justice, fera la guerre et assurera l’ordre (3). En dehors de cela, pas touche ! La politique est l’affaire de l’Europe en tant que supra État latent pour l’organisation générale du fonctionnement institutionnel en réglementant, recommandant, fixant les quotas de ci et de çà d’un côté ; pour en maintenir la ligne sociale en fliquant, fichant, fortifiant les frontières de l’autre. L’économie est entièrement sous contrôle des patrons et financiers de haut vol, qui se foutent éperdument de l’État/Nation, le Président fût-il de leur caste. La France, c’est une entreprise et c’est un marché, point barre.
La campagne de France
Du coup le fameux État/Nation n’existe guère plus que durant les campagnes électorales. C’est un décor à planter au gré des panneaux électoraux, avec quelques formules publicitaires pour les médias. À cet égard le choix de Sarkozy est particulièrement judicieux. La récupération du fond de commerce du FN, étayée par cinq années-tests d’une politique identitaire crédible lui ont assuré une clientèle. La démonstration, tout aussi à la hauteur de la fonction répressive que le MEDEF en attend, de sa capacité à casser du jeune à capuche, à aligner du syndicaliste, à réprimer du militant indocile a favorisé son ascension. Sa superbe aptitude à la manipulation (4) a parachevé son adoubement par ses pairs (5).
«[…] Je serai servile avec les puissants et ignoble avec les faibles» ironisait l’alors candidat rompant dans le journal le Parisien (6). Ça n’exprime dans le fond rien d’autre que la violence d’une bourgeoisie qui n’a même plus besoin d’un «compromis» pour dicter sa loi. Il lui suffit de donner à son champion les moyens de travailler l’opinion : moyens matériels (en sus de ceux, publics, via ses fonctions ministérielles), médias, conseillers et communicants, dictionnaire des citations, show-bise, relais et châteaux. Un Président à l’égotisme érigé en système sera assurément l’homme de la situation. Rien de ce qui est privé ne lui échappe.
Impec ! Les armes sont fourbies depuis longtemps, la stratégie au point. D’abord, balayer les syndicats (7) : anéantissement du code du travail, dézingage du droit de grève, imposition du service minimum, reprise en main de l’Unedic.
Premier raid, le «salaire différé». La sécu, les retraites, les assurances sociales : au privé !
Dans le collimateur depuis des lunes, les secteurs énergétiques et des transports publics : à privatiser d’urgence ! Organiser la concurrence des bahuts et rentabiliser les facs. Casser le service public par trop dispendieux. Défiscaliser les heures sup. Revoir l’ISF. Et Cætera, Et Cætera. Tout est possible.
Pourtant, au détour des vannes, contradictions, volte-face, promos de supermarché, promesses sans plus d’importance que le reste, le sémillant champion des patrons aura omis de dévoiler la chute, le clou du spectacle, le gag du siècle : le précédent !
«Le 11 juillet 1953, l’assemblée accorde au gouvernement de Joseph Laniel une série de pouvoirs spéciaux lui permettant d’agir par décrets pour rétablir des finances publiques grevées par la guerre d’Indochine. Le Président du conseil choisit de profiter de la période des vacances pour s’attaquer au secteur nationalisé de la fonction publique : suppression d’emplois, limitation du recrutement, recul de deux ans de l’âge de la retraite pour les fonctionnaires, modification des règles d’avancement dans l’éducation et les PTT, etc.» (8)
Impec ! Les armes sont fourbies depuis longtemps, la stratégie au point. D’abord, balayer les syndicats (7) : anéantissement du code du travail, dézingage du droit de grève, imposition du service minimum, reprise en main de l’Unedic.
Premier raid, le «salaire différé». La sécu, les retraites, les assurances sociales : au privé !
Dans le collimateur depuis des lunes, les secteurs énergétiques et des transports publics : à privatiser d’urgence ! Organiser la concurrence des bahuts et rentabiliser les facs. Casser le service public par trop dispendieux. Défiscaliser les heures sup. Revoir l’ISF. Et Cætera, Et Cætera. Tout est possible.
Pourtant, au détour des vannes, contradictions, volte-face, promos de supermarché, promesses sans plus d’importance que le reste, le sémillant champion des patrons aura omis de dévoiler la chute, le clou du spectacle, le gag du siècle : le précédent !
«Le 11 juillet 1953, l’assemblée accorde au gouvernement de Joseph Laniel une série de pouvoirs spéciaux lui permettant d’agir par décrets pour rétablir des finances publiques grevées par la guerre d’Indochine. Le Président du conseil choisit de profiter de la période des vacances pour s’attaquer au secteur nationalisé de la fonction publique : suppression d’emplois, limitation du recrutement, recul de deux ans de l’âge de la retraite pour les fonctionnaires, modification des règles d’avancement dans l’éducation et les PTT, etc.» (8)
Ça, c’est de la rupture ! Le petit cachottier se gardera bien aussi de dire quelle guerre il mène et qui est en face.
L’opposition démissionnaire
Qu’on nous entende, le terme d’«opposition» est impropre à la réalité du jeu électoral. En l’espèce, il s’agit plutôt d’une forme de vague concurrence. C.V. contre C.V.
Disons-le : le PS (9) se mérite. Cette fois-ci, pas même besoin de racler les fonds de tiroirs de Le Pen, l’autre les a portés aux nues. Inutile de ressortir les considérations archaïques de fondateurs barbus, il les fait siens. Pas plus la peine d’élaborer un argumentaire social ou politique, on fait miroir à l’option libérale. Le terrain politique est remplacé par la poix des mots et le choix des photos, et c’est le clan «bleu» qui tient… «Match». Look contre look.
Drapeau tricolore et hymne national, sur la plupart des questions, le parti rose n’apporte au mieux qu’un contrechamp au point de vue du parti présidentiel. L’immigration ? Cas par cas, arrangements avec le pouvoir des pays d’origine (10). La jeunesse en rade ? Les flics ou l’armée. L’enseignement ? Remettre les fainéants laxistes au pas. La recherche ? Technologie de pointe avec intéressement des patrons (11). Justice ? Police. Travail et emploi ? Erikson (12) et l’exemple allemand (les syndicats ont accepté de travailler plus pour gagner pas plus). Et tout est à l’avenant…
On pourra dire ce qu’on veut, qu’il y ait un «traître» au PS ; soit… Que trois-quatre autres (13) passent aussi facilement à l’«ennemi», soit la soupe est bonne et le fromage copieux, soit les deux programmes sont interchangeables. Pas besoin de cohabitation puisque tout se vaut.
Le jour d’après
Une tromperie de cette dimension, après le coup des «82%», ne pouvait laisser la France qui-ne-s’est-pas-passionnée-pour-ces-élections indifférente. Les contestations ouvertes qui se sont spontanément déclarées révèlent le malaise engendré par un système qui se redistribue périodiquement le pouvoir. L’alternance ne change rien à l’affaire, ce sont toujours les mêmes qui payent. Et d’avance. L’alliance entre le monde du bizness et de l’État contre ce qu’ils (re)définissent comme les «classes dangereuses» est objective et permanente et les gouvernements successifs offrent ou cèdent des garanties d’hégémonie à la classe dominante.
L’écrasement de toute contestation du résultat du scrutin était programmée. Deux jours avant la proclamation du score, les CRS étaient sur le pied de guerre dans les quartiers sinistrés.
À «Tolbiac», la contestation s’est révélée fondamentalement politique. Les «émeutiers» devaient être laminés parce que remettant en cause la légitimité d’un pouvoir issu d’une manipulation de l’opinion, d’une perversion de l’engagement politique. Une fois de plus, tout s’est joué sur des trouilles, des leurres, des boucs émissaires.
Nul ne peut ignorer, à commencer par les nouveaux conquis que le numéro d’ouverture, sur un air de chaises musicales, du nouveau souverain n’est qu’une parade de lune de miel. Maintenant qu’il est entré dans la chambre bleue…
La grande peur
Alors, pour les uns, la sarkozysation des esprits est en route, pour d’autres, le pire est devant nous. C’est oublier un peu vite que le nouveau boss ne surgit pas de nulle part. Il est l’instrument actif, consentant et intéressé d’intérêts supérieurs qui reposent sur un nettoyage social, économique et national déjà engagé. Les délires provocateurs sur le dépistage de la racaille dès l’âge de trois ans, les sources génétiques de la pédophilie, les rafles d’étrangers dans les écoles finissent par être anecdotiques. Il n’y aura pas de «Grenelle» de l’immigration. Juste de la répression aveugle et imbécile.
Pour la galerie, reste le cinéma. Sarkozy à la plage, Sarkozy fait du bateau, de la course à pied, de la gonflette… Et derrière l’écran, caché par les gorilles et les ministres porte-parole, il fait de la politique. Avec le premier, le meilleur, le seul vrai rôle. Quel débat d’idée peut-il s’engager à une assemblée où, dans l’hémicycle comme sur les bancs du gouvernement, on retrouve les deux partis (forcément) finalistes ? La démocratie représentative est plus que jamais en représentation. Elle représente des appareils qui, faute de s’opposer, vont nous jouer quelques scènes de ménage…
La remise en cause de la légitimité de «Sarkozy Président», c’est la remise en cause d’un système qui permet la détention de tous les pouvoirs. La débauche tous azimuts de «personnalités» abusées ou désabusées, avides de pouvoir ou d’une miette, d’un ersatz, d’une ombre un peu clinquante, ou réduites à l’état de prises de guerre ne fait qu’agrémenter l’affiche de quelques noms. Sarkozy décide de tout, y compris des instances du PS (15). Il n’y a donc rien à attendre des élections, même en se levant de bonne heure.
«Je ferai ce que j’ai dit» prophétisait le candidat à la toute puissance. Et il n’a pas tout dit. Aujourd’hui qu’il est arrivé à ses fins, il continue dans le tape-à-l’œil. Et c’est efficace au point que la vilenie du personnage passe pour de l’intelligence politique. Où est donc le danger que d’aucuns annonçaient, dans tout ça ? Partout, dans le fonctionnement même de la machine.
Sarkozy, un danger pour la démocratie ? Pas pour la notre en tous cas. Les Sarkozy d’avant, de toujours, l’ont combattue sans relâche. Un danger pour la démocratie représentative, le régime présidentiel, la République ? Mais il en est le produit ! Il utilise tous les possibles du système pour s’arroger le pouvoir absolu. Nous ne remettrons en cause sa légitimité que dans la lutte, pied à pied, partout où il frappera : sur le lieu de travail, dans nos quartiers, au supermarché, dans la rue, au ciné… Du fichage ADN politique à l’enfermement arbitraire, des exactions policières à la chasse à l’étranger, de la privatisation des facs à la nucléarisation débridée, de la prolifération des OGM au racket à la consommation, du capitalisme mondial à l’identité nationale (liste non exhaustive), soyons sur tous les fronts. Et ne comptons que sur nous même. La France d’après, c’est le monde de maintenant : c’est le nôtre.
Notes :
1 - Issu du programme du Conseil National de la Résistance adopté à l’unanimité le 15 mars 1944 avec l’aval de De Gaulle, le «compromis social» prévoyait, entre autres l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, une organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général… sur le plan économique et le droit au travail et le droit au repos… un plan complet de sécurité sociale avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État, la réglementation des conditions d’embauche et de licenciement, une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours… sur le plan social.
2 - Encore qu’en son temps au Ministère des finances, Sarkozy avait tenté de déposséder l’imprimerie nationale de l’impression de timbres au profit d’une boîte privée.
3 - Ces dernières prérogatives ayant l’avantage de développer des marchés juteux.
4 - Des faits, des chiffres, des gens, de l’Histoire…
5 - Guillaume Sarkozy, frère d’icelui, chef de file de la resplendissante branche textile de l’industrie a été vice-président du MEDEF sous le baron.
6 - Non, ça n’est pas prophétique ! C’est un C.V. !
7 - «Et un Grenelle, un !», tout le monde il sera content.
8 - Tiré de «Sur l’ultra-gauche», Brochure no 3 : Les groupes/revues «Socialisme ou Barbarie» (1949-1967) & «Noir et Rouge» (1956-1970), éditions Les chemins non tracés.
9 - On ne nous en voudra pas de ne pas s’étendre sur la débâcle de tout ce qui se voulait un peu radical, ou plus conciliant, ou bien avoir le temps…
10 - Forcément «amis» de la France, tous les régimes se valant économiquement.
11 - Les sciences sociales étant, au mieux, négligées quand elles ne produisent pas d’analyses contrariantes.
12 - Ségolène Royale s’est félicitée (sur radio France) d’avoir constaté, lors d’une visite de l’usine en Suède, que 10.000 emplois avaient été supprimés sans provoquer le moindre jour de grève au prétexte qu’Erikson les recréerait plus tard !
13 - Jack Lang, n’aurait démenti que tardivement avoir été approché sans céder à «l’ouverture». Coquin, va !
14 - Au «13-14» de France Inter un représentant du Syndicat national des policiers en tenue les identifiera comme membres de l’ultra-gauche et anarcho-syndicalistes venus uniquement pour casser. Il est resté incapable de définir les vocables qu’il venait d’employer…
15 - Le 21 juin, c’est Royal qui a été invitée au Château pour causer résumé de la nouvelle «Constitution» européenne et pas Hollande, le chef officiel. Ce dernier s’était pourtant ostensiblement affiché avec Sarkozy à la «Une» de Match (déjà !) pour appeler à voter «oui». Et ben non.
La Mouette Enragée no 28, printemps 2007
supplément à Courant Alternatif (OCL)
supplément à Courant Alternatif (OCL)