Quel antifascisme aujourd'hui ?
À l’heure où, entre les violences fascistes dans les rues et la recrudescence du FN dans les médias, la lutte contre le fascisme est toujours plus présente dans les préoccupations militantes, petite réflexion sur la situation actuelle et sur les moyens de lutter. Texte de la CGA-Lyon.
Le nécessaire bilan de deux décennies «d’antifascisme»
La lutte contre le fascisme a jusqu’à son effondrement temporaire, été souvent amalgamée en France avec la lutte contre le Front National et les idées racistes et réactionnaires qu’il véhicule.
Or le Front national n’est pas à proprement parler un parti fasciste, même s’il comporte une composante fasciste. C’est un parti d’extrême-droite nationaliste, qui a pendant longtemps fait coexister des tendances idéologiques différentes, depuis les nostalgiques de l’Algérie française, jusqu’au catholicisme intégriste, et pour un certain temps, les nationalistes révolutionnaires.
Il a représenté pendant longtemps la face visible et la plus explicite d’un nationalisme qui irrigue la classe politique en France, de la droite à la gauche voire à une partie de l’extrême-gauche.
Il a représenté la formulation explicite des conséquences idéologiques de ce nationalisme : un discours raciste et xénophobe, mais aussi sexiste et homophobe.
Il correspond au choix de la bourgeoisie française, dans le contexte de crise lié au second choc pétrolier, de promouvoir une grille de lecture raciste et xénophobe pour masquer les antagonistes de classe, et ainsi combattre le développement de luttes populaires. Il a également bénéficié des facilités accordées par la sociale-démocratie, dans une perspective politicienne, afin de briser sur le plan électoral l’influence de la droite.
La stratégie antifasciste de riposte dominante pendant ces 20 dernières années a été la création de fronts antifascistes spécifiques, larges et unitaires, dont la dominante idéologique a été un discours moral, fondé sur les valeurs humanistes, dans lesquels les références de classe et à la nature du nationalisme comme outil des classes dominante a été dilué, voire complètement masquée.
Même si les libertaires, comme d’autres groupes d’extrême-gauche, ont tenté de visibiliser cette dimension au sein de ces fronts, ils n’ont pu se faire entendre de manière audible, ce qui a amené à une prédominance du discours républicain en matière «d’antifascisme». Cela a souvent amené les libertaires à faire les «petites mains» de fronts antifascistes qui promouvaient une approche classiste du fascisme.
«L’antifascisme radical» n’échappe pas à ce constat. Malgré la volonté et les tentatives de relier la lutte contre le fascisme à la lutte contre le capitalisme, la dimension spécifique de ce courant a souvent évolué vers une tendance à réduire la lutte contre le fascisme à la lutte contre les fascistes, à se contenter d’une «riposte» qui plaçait nécessairement la lutte sur le terrain même du fascisme, lui laissant l’initiative politique, voire dans certaines de ses expressions, au folklore plus qu’à l’action politique. Une chose est sûre c’est que le développement des idées nationalistes, racistes et xénophobes n’a pas été stoppé, et qu’il a même été donné crédit à la rhétorique du fascisme qui a ainsi pu se présenter comme «antisystème», comme «révolutionnaire».
Un autre aspect de ce bilan est qu’une telle approche focalisée sur une organisation, le FN, est passé à côté de la réalité idéologique du fascisme, à savoir sa stratégie d’implantation «métapolitique», c’est-à-dire en conquérant une influence idéologique par la culture, mais aussi par un patient travail d’implantation sociale. Elle a également eu pour effet d’empêcher de saisir les «nouvelles» formes et tendances du fascisme, celui de la réorganisation d’un courant fasciste authentique, alliant racisme, antisémitisme et rhétorique «anticapitaliste», alliant discours social et national, et se développant hors de la sphère classique et identifiée du fascisme français, puisqu’il s’enracine et se développe également au sein des minorités nationales.
Analyser le fascisme comme tendance
Définir le fascisme
Qu’est-ce que le fascisme historiquement ? C’est l’alliance entre discours social et national, la formation d’une «droite révolutionnaire» qui remet en cause l’idéologie démocratique bourgeoise, se vit comme «révolutionnaire», mais sert les intérêts de la bourgeoisie en brisant les luttes populaires et toute perspective révolutionnaire. C’est aussi un discours voyant la société — amalgamée à la «nation», ce mythe au service de la bourgeoisie — comme un «organisme» qu’il faut purifier (des «ennemis intérieurs» que sont les minorités nationales et les étrangers, mais aussi les subversifs), diriger et défendre contre elle-même, en la guidant d’une main de fer.
C’est un discours idéologique qui se fonde sur une vision raciste ou ethnodifférencialiste identitaire (racisme biologique ou culturel) qui divise l’espèce humaine en groupes auxquels il assigne une «race», une identité essentialisée, c’est à dire une ensemble de caracteristiques stéréotypiques. C’est enfin un discours assignant ces identités à un territoire, autour d’une mystique de la terre et des morts (cf. Maurras, l’un des théoriciens français du fascisme).
C’est une idéologie qui oppose le capitalisme industriel, corporatiste, considéré comme «authentique», au capitalisme financier, arbitrairement séparé, et amalgamé aux juifs par le discours antisémite, ce qui permet de protéger la classe capitaliste par une stratégie de bouc émissaire.
Le fascisme et la crise
Dans une période de crise d’adaptation capitaliste, le fascisme est l’ultime recours du capitalisme et de la bourgeoisie : pour briser toute résistance des classes populaires à ses offensives, mais aussi pour «mettre de l’ordre» en son sein. Tant que son pouvoir n’est pas remis en cause, la bourgeoisie a intérêt à préserver le cadre de la démocratie représentative, car le pouvoir d’influence est la forme de pouvoir la plus efficace et la plus économique. Mais dès lors que ce pouvoir est fragilisé, la tentation fasciste suscite rapidement l’adhésion de larges secteurs de la bourgeoisie.
Dans la période actuelle, la crise économique et sociale capitaliste a suscité un certain nombre de résistances populaires qui inquiètent la bourgeoisie. Parallèlement, elle bénéficie depuis plus de dix ans d’un avantage certain dans la lutte des classes liée à la désorganisation du mouvement ouvrier à l’échelle internationale :
Du fait de l’effondrement de l’URSS, la fin de l’illusion stalinienne a marqué l’affaiblissement des mouvements de classes qui se situaient en référence à l’Union soviétique. Faute d’un projet révolutionnaire alternatif, c’est le fatalisme et le sentiment de l’immuabilité du système capitaliste qui s’est installé dans de larges secteurs des classes populaires.
L’intégration d’une partie du mouvement ouvrier par le système capitaliste, lié à la bureaucratisation et à l’électoralisme, a affaibli l’autonomie de celui-ci et l’a rendu dépendant de la politique sociale-démocrate.
Cet avantage, la bourgeoisie veut le pousser et c’est ce qui l’amène à mener une offensive sans precédent contre les conquêtes sociales populaires, qu’elle n’est plus contrainte de conserver pour prévenir une dynamique révolutionnaire, puisque l’existence d’une alternative au capitalisme n’est plus portée que par une fraction très restreinte du mouvement ouvrier et des classes populaires, inaudible pour le plus grand nombre, en partie du fait de la puissance des relais idéologiques de la bourgeoisie.
La stratégie de «contre-révolution préventive», appliquant notamment la doctrine de la guerre révolutionnaire à la gestion de la contestation sociale, est à l’œuvre.
La doctrine de la guerre révolutionnaire repose sur deux aspects : isoler un «ennemi intérieur» réel ou désigné du corps social. Créer dans ce sens des hiérarchies parallèles visant à saper la base sociale de cet «ennemi intérieur», c’est-à-dire les liens qu’il entretient avec la population.
Le statu quo aujourd’hui qui permet au capitalisme de se maintenir, sans exploser sous les contradictions qui le travaillent, est lié à la capacité d’adaptation de celui-ci, et plus largement des systèmes de domination. Il est lié à l’absence de perspective révolutionnaire, faute de perspective (projet de société alternative) et de dynamique d’auto-organisation de masse.
Mais l’État et la bourgeoisie savent que ce statu quo est précaire, et tentent de préserver l’avantage en menant une offensive généralisée qui vise non seulement à faire payer la crise aux travailleuses et travailleurs, et ainsi pour elle se «refaire», mais aussi à les démoraliser. Mais elle s’inscrit plus largement dans la logique systémique du capitalisme, celle de l’appropriation d’une part toujours plus importante des richesses créées par les travailleuses et travailleurs.
La situation sur le plan international
Cette situation est visible clairement sur le plan international. On assiste à un triple mouvement : Le renforcement des outils de coercition des États et des régimes coercitifs visant à réprimer les mouvements populaires liés à la révolte des classes populaires contre leurs conditions de vie ; Le développement de mouvements populaires poussés par la nécessités, qui se confrontent aux intérêts de la bourgeoisie et des États, pour défendre leurs intérêts ; Et enfin le développement de courants idéologiques qui s’inscrivent dans la défense des intérêts de la bourgeoisie confrontée à ces soulèvement, mais qui se présentent comme «révolutionnaires» et «anticapitalistes». Ces tendances correspondent aux différentes formes que prennent le fascisme.
En Europe, on constate le développement de mouvements nationalistes, et notamment «nationalistes révolutionnaires», qui se traduisent à la fois par des violences contre les minorités nationales (Arabes, Noirs, Juifs, Rroms…), et contre les militant-e-s antifascistes et progressifs (agressions de camarades en Russie, en Serbie, etc…). Aux États unis, on constate le développement de groupes nationalistes et racialistes, depuis les supprémacistes blancs jusqu’aux «Minute Men» servant d’auxiliaires à la politique de répression de l’immigration américaine. En Amérique du Sud, le développement de groupes paramilitaires de type nationaliste et de groupes néo-nazis répond aux mêmes dynamiques.
En Turquie, les groupes fascistes tels que les Loups gris mènent une politique de violence et de terreur fasciste contre les minorités nationales kurdes, arméniennes, les minorités religieuses (halevis), et les militant-e-s révolutionnaires.
Dans un certain nombres de pays où la religion musulmanes est majoritaire, les groupes qui assument ce type de politique se cachent derrière le masque de la religion : nervis fascistes iraniens se réclamant de l’islam qui répriment et attaquent les militant-e-s ouvriers et féministes iranien-ne-s, fascistes ou réactionnaires religieux tels que les Frères musulmans, les salafistes, les militant-e-s du FIS en Algérie, qui servent de supplétifs à la répression antiouvrière et antiféministe, ainsi que de «fausse opposition» et de «fausse alternative» à des pouvoirs nationalistes discrédités, qui mènent eux aussi une répression directe des luttes populaires.
Ce type de mouvement existe également dans bon nombre de pays catholiques ou orthodoxes, à travers notamment des mouvement réactionnaires religieux qui assument ce type de politique.
La situation en France
La période récente se traduit par une montée en puissance du nationalisme, entretenu notamment par le pouvoir politique, mais aussi les relais médiatiques et idéologiques de la bourgeoisie. Si ce nationalisme irrigue la quasi totalité des courants politiques, depuis la gauche coloniale jusqu’à l’extrême-droite, les courants fascistes sont le fer de lance de sa diffusion en milieu populaire, au moyen d’une rhétorique «sociale» pseudo-anticapitaliste.
Au sein des catégories de population désignée par l’idéologie nationale comme constituant le «corps national», le fascisme joue un rôle mobilisateur pour les intérêts de la bourgeoisie, en présentant la violence sociale non pour ce qu’elle est, le résultat du capitalisme, mais pour l’effet de l’action «d’ennemis intérieurs» ou «d’ennemis extérieurs». Ces «ennemis intérieurs» et «extérieurs» sont désignés comme étant les membres de minorités nationales, religieuses, sexuelles du pays, ou les étrangers.
En contexte de crise, c’est la tendance «socialiste-nationale» qui se développe le plus rapidement, autour notamment d’un antisémitisme virulent (qui se masque derrière un discours prétendument antisioniste) réactivant la figure de bouc émissaire du Juif, d’une islamophobie virulante (substituant ou le plus souvent ajoutant à la figure bouc-émissaire du Juif celle du Musulman), et plus largement d’un racisme «décomplexé».
Cette tendance «socialiste-nationale» est représentée par plusieurs organisations se réclamant plus ou moins ouvertement du nationalisme révolutionnaire : Égalité et réconciliation et ses alliés (Dieudonné et les relais de l’État d’Iran en France que sont les militants du centre Zahra), qui privilégie un front antisémite visant à mobiliser au côté des nationalistes français une partie des personnes appartenant à la minorité nationale arabe. Les identitaires qui privilégient un front «antimusulman» qui vise à mobiliser au côté des nationalistes révolutionnaires européens les courants racistes qui se cachent derrière une «laïcité» à deux vitesses, et une partie des personnes appartenant à la minorité nationale juive (notamment la frange fasciste du sionisme, comme en témoigne l’organisation d’une manifestation commune identitaires-LDJ devant l’ambassade d’Israël).
Enfin, à cela s’ajoute la fraction mariniste du FN qui tente de développer un discours «national et social» proche de celui des identitaires, mais qui diffère en ce qu’il privilégie un cadre nationaliste français au cadre nationaliste européen (suprémaciste blanc) des identitaires.
Toutes ces tendances tentent de dévier la révolte sociale vers une approche nationaliste, xénophobe et raciste, en se présentant comme «révolutionnaires». Leur radicalité formelle leur permet d’amener aux thèses nationalistes une partie des travailleuses et travailleurs en révolte contre le système capitaliste, à travers un «anticapitalisme» qui se réduit à la défense du corporatisme contre le «capital financier», à présenter la nation comme un recours contre la «finance internationale», à une critique des valeurs consuméristes, sans contenu de classe, sans lien avec la réalité des luttes populaires. C’est en ce sens que ces courants diffèrent des courants nationalistes de la droite classique : en période de crise ceux-ci apparaissent trop ouvertement comme les représentants de la classe bourgeoise (en témoignent les affaires Béttencourt, etc…), et suscitent donc la méfiance au sein des classes populaires. Alors que la radicalité de postures des nationalistes révolutionnaires, leur conviction d’être «révolutionnaires», leur permet d’attirer aux thèses nationalistes des individus appartenant aux classes populaires, en mobilisant les valeurs réactionnaires largement présentes dans la société (sexisme, homophobie, chauvinisme…).
Soral a ainsi d’abord construit son image de «rebelle» sur un discours antiféministe et homophobe, présenté comme un «refus du politiquement correct», puis sur un antisionisme antisémite qui a visé à instrumentaliser la question palestinienne pour relégitimer l’antisémitisme historique des fascistes français.
L’outil internet a donné une caisse de résonance importante à des courants au départ confidentiels, qui ont su utiliser les nouvelles technologies (vidéos sur Dailymotion, Youtube), pour diffuser leur pensée. Ils ont également su utiliser des passerelles, sous la forme de sites internet relayant en lien leurs discours ou de personnes cautionnant leur discours (les universitaires «Bricmont», le journaliste «Michel Collon») au nom d’un «anti-impérialisme» hérité du stalinisme ou du tiersmondisme d’une part, les pseudos laïques relayant un discours raciste (par exemple l’officine raciste «Riposte laïque») derrière une prétendue critique de l’islam.
Sur internet par exemple, de nombreux sites diffusent l’idée d’un «nouvel ordre mondial» (expression qui provient à l’origine de la droite radicale américaine) dirigé par les «sionistes» et les «illuminatis». Il ne s’agit de rien d’autre que du bon vieux discours national-socialiste et fasciste sur le «complot juif et franc-maçon mondial», qui a adopté une nouvelle forme pour contourner le discours antifasciste et la législation de l’État sur le racisme.
Cette nouvelle forme du discours sur le «complot judéo-maçonnique» a des succès inattendus, au sens où de telles approches sont repris par des musiciens de rap, y compris ceux qui affichent des sympathies libertaires (par exemple Kenny Arkana), qui en ignorent peut-être l’origine, mais qui les banalisent et contribuent à leur diffusion dans la jeunesse populaire.
On retrouve ces influences dans les courants fascistes ou nationalistes spécifiques aux minorités nationales : ainsi, les sionistes de tendance fasciste de la Ligue de défense juive reprennent le discours raciste anti-arabe des identitaires ou la théorie du «choc des civilisations» et du danger islamique. À Belleville, des nationalistes chinois ont organisés une manifestation «contre l’insécurité» au cours de laquelles des passants noirs ou arabes ont été pris pour cibles, désignés comme des «voleurs» sur critères racistes, ce qui a provoqué les applaudissement des réseaux identitaires français (par exemple sur le site internet «Français de souche»).
De même une partie des courants fascistes panarabes et des courants fascistes se réclamant de l’islam politique reprennent la rhétorique antisémite issue du nationalisme français.
Ces convergences expliquent le développement de front communs entre nationalistes français et nationalistes se revendiquant des minorités nationales, qui peut apparaître surprenante au premier abord, puisque c’est le nationalisme français qui en excluant Juifs et Arabes du corps national a «créé» de toutes pièces les minorités nationales, en créant dans le même temps les conditions de l’oppression raciste des individus qui y sont alors assignés par leur origine et/ou leur couleur de peau.
Mais cela traduit au contraire la profonde parenté idéologique entre ces différents courants, et le fait qu’ils se nourrissent les uns des autres, au détriment des classes populaires, et particulièrement des individus victimes de l’oppression raciste parce qu’assignés à une «minorité nationale».
Cela montre qu’il n’existe pas d’alternative au racisme dominant dans le développement d’un nationalisme au sein des minorités nationales, puisque celui-ci reproduit le discours raciste dominant et converge parfois avec le nationalisme dominant, mais au contraire dans le développement d’un antiracisme populaire qui combatte toutes les formes de racisme, sur le plan idéologique comme sur le plan pratique.
Les différents courants fascistes ont progressés sur le plan organisationnel comme sur le plan de leur influence idéologique et culturelle : ils ont ainsi réussi à imposer leurs «sujets», leurs «approches» dans le débat politique : une approche éthno-différentialiste des questions politiques et économiques au détriment d’une approche de classe, une rhétorique fondée sur la «menace intérieure» ou «extérieure» que représenteraient les minorités nationales ou religieuses, au détriment de l’affirmation de la question sociale, etc…
L’influence de l’idéologie nationaliste a progressé, et celle de l’idée de la «guerre du tous contre tous» également. Dans le même temps les discours ouvertement sexistes ou homophobes, qui constituent également une partie du corpus fascistes, ont gagné du terrain. L’influence de l’idéologie fasciste dépasse de loin celle des groupes constitués, mais ceux-ci progressent quantitativement et organisationnellement, notamment dans les campagnes, mais aussi en ouvrant des locaux pignons sur rue dans plusieurs grandes villes.
Il est également significatif que des discours reprenant les canons de l’idéologie fasciste ne sont pas considérés comme tels y compris au sein de la gauche et de l’extrême-gauche, voire d’une partie du courant anarchiste. C’est ce qui explique notamment l’invitation de «Riposte laïque» sur Radio Libertaire, la promotion d’un livre développant l’idée de la défense de «valeurs de l’Occident» aux Éditions du Monde Libertaire, ou le travail avec des organisations relayant le discours des antisémites comme Gilad Atzmon au nom de la solidarité avec la Palestine. Ce qui explique par exemple la tolérance dont a longtemps bénéficié Dieudonné au sein de l’extrême-gauche au nom d’une posture «rebelle», certains groupes le trouvant fréquentable jusqu’à ce que celui-ci invite Faurisson sur scène.
On peut trouver des éléments d’explication dans la faiblesse de réflexion sur le fascisme de «l’antifascisme des années 90», qui s’est focalisé sur les groupes fascistes plutôt que sur leurs idéologies (quand dans sa version gauchiste ou social-démocrate il ne s’est pas contenté d’une dénonciation du FN), qui a négligé la lutte idéologique antifasciste pour se consacrer exclusivement à la nécessaire (mais pas suffisante) lutte et autodéfense contre les groupes fascistes constitués. On peut aussi trouver une explication à cela dans l’amalgame fréquent entre nationalisme, fascisme et racisme. Or si le fascisme se nourrit et fait la promotion du racisme et du nationalisme, il ne s’y résume pas, et réciproquement : on retrouve l’idéologie nationaliste dans une grande partie du spectre politique, comme le discours raciste. La spécificité du fascisme réside dans le développement d’un discours social «antisystème» qui permet de recruter au sein des milieux populaire en période de crise des personnes qui auraient pu être attirées par un réel discours révolutionnaire.
Une réponse anarchiste
Cela soulève la nécessité d’une contre-offensive idéologique. Cela fait apparaître de manière d’autant plus criante la nécessité d’une réponse politique anarchiste.
D’abord sous la forme d’une autoformation sur les formes que prennent les discours racistes et fascistes au sein de notre organisation, et plus largement, dans le mouvement libertaire et le mouvement social.
Ensuite sous la forme du développement de luttes populaires qui restent le meilleur moyen d’imposer nos thématiques (lutte de classe, solidarité, refus de la domination masculine et de l’homophobie…) dans le débat politique et de briser ainsi les tentatives d’hégémonie culturelle des nationalistes et des fascistes.
Enfin sous la forme du développement d’une autodéfense antifasciste qui évite le piège d’un tête à tête anarchistes contre fascistes, qui placerait l’État, et les courants politiques institutionnels dans le rôle d’arbitres, usant tour à tour de la répression pour l’un et pour l’autre, ce qui n’empêche pas l’État par ailleurs de soutenir ponctuellement les fascistes (en leur garantissant l’immunité ou en les protégeant). Cette autodéfense antifasciste, c’est une culture d’autodéfense à développer dans nos quartiers, nos lieux de travail, nos associations, nos syndicats, qui ne se résume pas à l’autodéfense physique, nécessaire, mais aborde aussi l’autodéfense idéologique contre les offensives fascistes masquées derrière des «passerelles».
Coordination des Groupes Anarchistes - Lyon
Rebellyon, 31 mars 2011.