Urinez dans les urnes
«Il y avait au carrefours à Rome des vaisseaux et demycuves pour y apprester à pisser aux passans.»
En ce temps-là (1861), Chigalev disait à ses disciples : «Un millième des hommes jouiront d’une liberté absolue et exerceront sur les 999 autres millièmes une autorité sans limites. Les autres devront renoncer à toute individualité, devenir un troupeau et par une soumlission totale ils arriveront au moyen d’une série de régénérations à l’état d’innocence primitive, quelque chose comme l’Éden, bien que, toutefois, ils devront travailler.»
En ce temps-ci (1953), le vote menace fort de devenir obligatoire. Le long des bâtiments publics on nous ordonne de voter pour Brandon parce que Brandon c’est Duconneau et que Duconneau c’est Brandon. Hier soir dimanche, en un certain lieu étroit de Paris, près d’une vieille église et là où l’école n’est pas assez longue pour étaler la connerie des candidats, des panneaux ont été disposés en forme de paravents chinois. Cela formait dans l’obscurité une forteresse à redans. Par cette belle nuit de printemps, les amoureux occupaient l’espace électoral et un clochard ronflait près de son litre de rouge.
Maurice Blanchard
Publié dans la revue Le fou parle.
Éditions Hermaphrodite