Vengeance pour Mohamed à Fréjus et saintRaphaël
De nouveaux incidents ont éclaté lundi soir à Fréjus (Var) entre les forces de l’ordre et de jeunes habitants de la cité de la Gabelle. La veille, Mohamed El Mathari, 21 ans, y avait trouvé la mort. Il s’était tué à moto vers 17h30 alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle de police, ce qui avait provoqué une soirée de violences.
Ce lundi, vers 20h30, le caillassage d’une patrouille de police, puis des jets de cocktails Molotov, ont conduit les forces de l’ordre à intervenir à nouveau dans la cité. Les groupes de jeunes ont été dispersés à l’aide de gaz lacrymogènes et avec l’intervention d’un hélicoptère de la gendarmerie équipé d’un phare anti-émeute. Plusieurs voitures ont été brûlées, selon une source policière. Le calme était revenu vers 22 heures.
Une demi-heure plus tard, des incidents ont éclaté dans un quartier de la ville voisine de Saint-Raphaël, avec le caillassage d’une patrouille de la brigade anticriminalité par une vingtaine de jeunes. Deux jeunes ont été interpellés, en possession de bouteilles de white spirit.
Vers 23h30, le dispositif des forces de l’ordre a été allégé, les incidents étant terminés. Quelque 140 policiers, CRS et gendarmes devaient cependant rester mobilisés, accompagnés de pompiers.

Les parents ne croient pas à l’accident
Selon le procureur adjoint Philippe Guémas, qui s’est exprimé ce lundi, «il n’y a pas eu de course-poursuite, il n’y a pas eu d’usage des armes, il n’y a pas eu de contact entre le véhicule de police et la moto de la victime qui, en roulant sur le bas-côté de la chaussée pour se soustraire au contrôle, a percuté un pin. C’est un accident.»
Une thèse que n’accréditent pas les parents de Mohamed. Selon Aziz El Mathari, un de ses frères, «la BAC (Brigade anticriminalité, ndlr) l’a repéré, lui a fait un barrage, lui a coupé la route et Mohamed n’a pas pu réagir et n’a pas pu éviter l’arbre qu’il a tapé».
«Nous avons des témoins» qui confirment qu’il a reçu un coup qui l’a fait chuter, a affirmé quant à lui Brahim, un cousin. Selon la famille, une automobiliste a indiqué aux enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) que le conducteur de la moto semblait avoir eu peur en voyant les policiers sortir de leur véhicule. Le motard aurait tenté de poursuivre sa route en roulant sur le bas-côté et aurait alors heurté un arbre.
Les policiers concernés et des témoins ont été entendus lundi, par les enquêteurs de l’IGPN, saisie par le parquet de Draguignan. Des expertises médico-légales devaient être pratiquées mardi soir sur le corps de la victime. La moto, une 250 cc non immatriculée qui n’était pas autorisée à circuler sur les voies publiques, a été placée sous scellés.
Leur presse (Le Parisien), 27 octobre 2009.
Manifestation à Fréjus à la mémoire d’un jeune décédé dimanche
Un demi-millier d’habitants du quartier de la Gabelle à Fréjus (Var) ont défilé mardi en mémoire de Mohammed, jeune motard décédé dimanche soir en voulant apparemment se soustraire à un contrôle policier.
Partis à pied du lotissement de la Gabelle en début d’après-midi, les manifestants se sont retrouvés devant le commissariat de la ville où ils ont été bloqués par des barrages de gendarmes mobiles.
Le rassemblement, qui se voulait silencieux, a donné lieu à quelques moments de tension face aux policiers.
«Assassins», «On reste là, on reste là», ont crié des manifestants dont certains avaient le visage masqué par des foulards.
Des membres de la communauté musulmane, parmi lesquels de nombreuses femmes, ont réussi à contenir les débordements par des mots d’apaisement.
Les manifestants ont finalement rebroussé chemin en direction de Saint-Raphaël. Ils se sont arrêtés à plusieurs reprises pour s’asseoir sur la chaussée ou au milieu de carrefours.

Des sources policières ont dit craindre des violences la nuit prochaine.
Quelques incidents ont éclaté dans la nuit de lundi à mardi dans la cité, où deux véhicules ont été brûlés.
Fréjus a connu dimanche soir une soirée d’échauffourées déclenchées par la mort de Mohammed.
Sa famille et ses amis rejettent la version de la police, selon laquelle le jeune homme de 20 ans a voulu se soustraire à une vérification de sa moto, qui n’était pas immatriculée. Ils assurent qu’il a été délibérément tamponné par la voiture de police.
Une version contredite par l’enquête, qui blanchit pour l’instant les forces de l’ordre.
Leur presse (Reuters), 27 octobre.
Fréjus : Déploiement de forces de l’ordre et mesures pour sécuriser la ville
Des forces de police et de gendarmerie étaient mardi soir encore mobilisées à Fréjus (Var) pour «sécuriser la ville et maintenir le calme et l’ordre public», après la mort d’un motard qui voulait se soustraire à un double contrôle routier, a déclaré à l’AFP le préfet du Var, Hugues Parant.
En début de soirée, un escadron de gendarmerie mobile, venu de Lodève (Hérault), a pris position dans la cité de la Gabelle pour, selon un membre de forces de l’ordre, «filtrer les entrées et les sorties et éviter de nouveaux incidents».
Craignant à nouveau les jets de cocktail Molotov, Hugues Parant a également pris un arrêté pour interdire, à titre provisoire, la vente et le transport de carburant dans des récipients et des jerricans à Fréjus et Saint-Raphaël, pour 48 heures.
Côté enquête, le procureur adjoint de Draguignan, Philippe Guémas, a reçu les conclusions des expertises médico-légales effectuées sur le corps du motard, Mohamed El Mathari.
Elles ont confirmé la thèse d’une mort accidentelle du jeune homme, tué dimanche soir après avoir, selon le parquet, heurté un arbre en roulant sur le bas-côté de la chaussée pour se soustraire à un contrôle de police.
«La mort est due au choc contre l’arbre à l’exclusion de tout autre coup et de violence», a déclaré à l’AFP le magistrat.
Une thèse qui confirme la version des policiers et des témoins mais que contestent les amis de la victime qui, mardi soir, se sont rassemblés sur les lieux de l’accident, pour tenter de démontrer le contraire.

En début d’après-midi, plus de 500 personnes, ont participé à une marche silencieuse organisée à la mémoire de Mohamed El Mathari.
Dimanche soir et lundi soir, des incidents violents ont eu lieu à la Gabelle où demeurait Mohamed El Mathari. Lundi peu avant minuit, deux jeunes gens pris en flagrant délit de caillassage d’une patrouille de la brigade anti-criminalité (BAC) et trouvés en possession de white spirit, ont été interpellés.
Le plus jeune, un mineur de 16 ans, a été présenté mardi au juge des enfants qui l’a remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le majeur de 18 ans était jugé en début de soirée en comparution immédiate.
Leur presse (AFP), 27 octobre.
Jean-Pierre Mignard, avocat : «La justice a du mal à penser qu’un jeune de banlieue puisse aussi être une victime»
Un éternel recommencement. Un quartier de Fréjus (Var) vient de connaître deux nuits de violences urbaines après le décès d’un jeune homme qui avait voulu échapper à un contrôle routier, dimanche 25 octobre. Ces explosions de colère récurrentes interviennent quelques mois après des épisodes similaires à Bagnolet, Firminy et Amiens. Elles font aussi écho aux nuits d’émeutes provoquées par le décès de deux jeunes à Villiers-le-Bel en novembre 2007 et à Clichy-sous-Bois en octobre 2005.
Dans le premier dossier, la juge d’instruction vient de rendre une ordonnance de non-lieu en faveur des policiers. Dans le second dossier, la justice n’a toujours pas terminé l’instruction, quatre ans après les faits. Avocat des familles dans ces deux affaires, Jean-Pierre Mignard, par ailleurs membre du conseil national du PS, s’interroge sur l’attitude des pouvoirs publics face à ces situations de crise.
La justice fonctionne-t-elle correctement sur les affaires impliquant jeunes de banlieue et policiers ?
À l’évidence, non. Je constate des similitudes pour Clichy-sous-Bois et Villiers-le-Bel. Dans les deux dossiers, le pouvoir n’a pas immédiatement désigné de juge d’instruction pour conduire des investigations indépendantes. Sa logique était de confier les affaires au parquet, dont on sait qu’il est subordonné à l’exécutif. Dans les deux cas, cela a contribué à alimenter un climat de suspicion sur l’impartialité de l’enquête et nourri les violences, parfois très graves, qui ont eu lieu. À Clichy-sous-Bois, il avait fallu huit jours, à Villiers-le-Bel trois jours, pour que des juges soient désignés. Même si je n’ignore pas que d’autres facteurs ont pu intervenir, à chaque fois le calme est revenu très vite dans ces deux villes après l’annonce d’enquêtes indépendantes.
La désignation d’un juge d’instruction est-elle une garantie suffisante ?
Cela change fondamentalement la situation, car cela donne aux familles des victimes la possibilité d’accéder au dossier et de comprendre ce qui s’est passé. C’est donc un facteur de pacification. Tant qu’on reste dans l’ignorance, ce sont les rumeurs qui circulent, avec le risque de favoriser les violences. Mais cela ne fait pas tout : si on prend l’exemple de Clichy-sous-Bois, l’enquête a inutilement traîné en longueur, sur plus de quatre ans. Trois juges se sont succédé, dont l’un qui a tout repris à zéro, alors que l’enquête était quasiment terminée. Cela explique qu’on ait eu deux reconstitutions et trois transports sur place. Quatre années, c’est considérable : j’y vois le signe d’une volonté d’obstruction. Comme s’il fallait absolument gagner du temps avant que l’affaire n’apparaisse publiquement devant un tribunal.
Clichy-sous-Bois et Villiers-le-Bel impliquaient les mêmes acteurs principaux : jeunes contre policiers. Les traitements judiciaires ont-ils été similaires ?
Au fond, l’institution judiciaire a du mal à penser qu’un jeune de banlieue puisse aussi être une victime. Elle agit comme s’il ne fallait pas porter atteinte au moral des fonctionnaires de police, comme on disait, en temps de guerre, qu’il ne fallait pas porter atteinte au moral des troupes. Je crains que cette logique de guerre mentale, qui ne dit pas son nom, produise des effets délétères et qu’on vive bientôt ce que les États-Unis ont connu il y a quelques décennies en termes de violences. Cette situation est très dangereuse. Pour les jeunes, bien sûr. Pour les policiers, qui sont les victimes directes de ces rumeurs. Pour la République, aussi, parce que la loi perd sa force. Il est impératif de chercher à restaurer un climat de confiance. Car, sans justice, les politiques sociales, scolaires, urbaines ne pourront jamais être efficaces.
Propos recueillis par Luc Bronner
Leur presse (Le Monde), 27 octobre.
