Samedi 2 octobre : Si l'erreur a une mère, cette mère est la routine
«Si l’erreur a une mère, cette mère est la routine.» — Al Zamakhshari.
La répétition jusqu’à la perfection est le B A-BA de tout conditionnement, que ce soit la répétition d’un geste jusqu’à sa maîtrise parfaite, ou la répétition d’un message, d’une idée jusqu’à son implantation totale dans l’esprit des gens. À force d’habitude le chien de Pavlov, se mettait à saliver dès qu’il entendait le tintement d’une cloche. Les manifestants se mettent sagement en rang et avancent dès qu’ils entendent les mégaphones.
Il y a derrière ces promenades bimensuelles quelque chose de profondément abrutissant et désespérant. La contestation s’y exprime en rangs bien ordonnés et le martèlement cadencé des slogans officiels, empêche de penser, empêche de parler, empêche simplement de se révolter. Les parcours identiques et répétitifs ne réservent ni surprise, ni aucune de ces petites imperfections qui différencient la réalité, des idéaux, qui font de la révolution un jeu qui se joue dans la rue. Suivre la banderole, suivre le camion-sono, suivre tout simplement celui qui est devant et toujours avancer, sans jamais emprunter les chemins de traverses ni les voies interdites, sans se demander où l’on va.
C’est la routine qui prend le dessus, rendez-vous à heure fixe au même endroit, départ à heure fixe, on défile avec les mêmes personnes en criant les mêmes choses et à la fin c’est les mêmes impressions qui se mélangent : devoir accompli, désillusion, impuissance. On se disperse sagement, on remballe son matos on va boire une bière à la terrasse d’un café en se gargarisant sur les chiffres du jour et en espérant que la prochaine manif sera aussi réussie et peut-être un peu moins chiante.
Et pourtant beaucoup y reviennent toujours, car chaque fois c’est le même dilemme qui s’offre à chacun de nous : d’un côté ne pas y aller pour cesser de reproduire cette mascarade, dire merde, envoyer chier les syndicats et le spectacle de la contestation ; de l’autre la certitude que si on n’y va pas on rate une occasion de l’ouvrir. Un espèce de chantage à la conscience, ne rien faire, se taire, cesser de s’opposer à l’innommable c’est mourir et pourtant la seule forme d’opposition massive et collective que l’on nous propose est elle-même muette. Cette liberté de manifester nous enferme.
La révolte commence toujours par une rupture de la routine, celle de la pensée. Derrière chaque acte de révolte, derrière chaque prise de position il y a à l’origine une remise en question des habitudes de pensée. Face aux certitudes, blocs inébranlables de l’imaginaire collectif, apparaissent les fissures du doute. Briser la routine c’est déjà en soi un acte révolutionnaire, c’est un affront à la médiocrité et à la paresse intellectuelle dans laquelle nous sommes maintenus par le spectacle dans l’espoir que nous ne nous éveillerons jamais.
Aujourd’hui nous vous proposons de briser la routine, de le faire collectivement. Pour cela plutôt que de rendre la rue et qu’après la routine d’une manifestation sage et bien encadrée, reprenne la routine du spectacle de nos vies, nous vous proposons d’occuper la rue. Occuper la rue pour discuter, se rencontrer, pour tisser les liens que la médiation spectaculaire nous a toujours empêché de tisser, et tenter de matérialiser nos désirs.
SAMEDI 2 OCTOBRE, après la manif… On tient la rue !
Tours, 1er octobre 2010.