Révolutions "Dégage !" / Le "pays des droits de l'Homme" exporte la mort

Publié le par la Rédaction

Révolutions «Dégage !»


En appelant la révolution des Tunisiens «révolution du jasmin» les médias français, garants de l'ordre et de la stabilité de l'État, ont joué leur rôle habituel : conforter l’image qu’on dresse des «étrangers» comme des sous-hommes, soumis par nature, incapables de réagir par la violence et la raison au sort qui leur est réservé par leurs dictatures mais aussi par les lois anti-immigrés dans les «démocraties» occidentales.

 

 

Mais la révolution tunisienne ne s’est pas faite à coups de jasmin, elle n’a pas non plus été une «cyberévolution» des beaux quartiers. La révolution «Dégage !» s’est faite pour honorer Mohamed Bouazizi à qui des flics de Sidi Bouzid ont confisqué ses marchandises après lui avoir craché dessus, qui a ensuite été chassé et insulté par un employé municipal. Elle s’est faite pour venger les manifestants de Kasserine, de Thala ou de Tunis assassinés par la police et au delà les révoltés de Gafsa réprimés en 2008 ou encore les milliers d’hommes et de femmes qui ont été humiliés, harcelés, emprisonnés, torturés ou tués par la police pendant les 23 ans de Ben Ali, et avant cela pendant la dictature de Bourguiba et avant cela encore sous la colonisation. Elle s’est faite en s’organisant et en s’armant pour résister à la terreur semée par les milices benalistes ; elle s’est faite et continue de se faire à coups de manifs interdites et réprimées, à coups de slogans radicaux, d’occupations, de pillages et de destructions des commissariats, des locaux du RCD et des villas de la mafia benaliste, de dressage des listes des biens à confisquer, des personnes à chasser et des institutions à démanteler.

 

Et, en plus d’être violents, rationnels et dignes, les Tunisiens sont «contagieux» : en Algérie, en Jordanie, au Maroc, en Égypte, au Yémen des hommes se sont immolés scellant leur sort avec celui de M. Bouazizi, des manifs interdites sont organisées bien que la police tire et réprime et on assiste maintenant, haletants, à la révolution des égyptiens. Alors bien qu’elles ne touchent encore que des arabes, soumis à la misère et à la dictature, ces révolutions font leur effet ici aussi : elles portent un coup fatal aux campagnes islamophobes et aux lois anti-étrangers en nous montrant ces «étrangers» pour ce qu’ils sont, des hommes et des femmes révoltés qui ont le courage et l’intelligence de s’attaquer aux fondements de nos sociétés ! Désormais rien ne sera plus comme avant ni ailleurs ni ici.

 

 

Le «pays des droits de l’Homme» exporte la mort

 

Le 12 janvier, alors que la répression des révoltés tunisiens est montée d’un cran (50 morts en un week-end), MAM intervient à l’Assemblée pour proposer aux régimes Ben Ali et Bouteflika la collaboration de la police française pour mater les manifestations et «régler des situations sécuritaires de ce type».

 

Il est vrai que la police française est experte en la matière : briser sans tuer comme pendant les révoltes de 2005 (l’affreux ex-ambassadeur tunisien à l’Unesco ne s'y est pas trompé : il y a bien un lien entre la manière dont le régime tunisien traitait le peuple et la manière dont le régime français traite les habitants des quartiers populaires en France). Ce jour-là à l’Assemblée aucun député ne s’est levé de son banc pour s’indigner et réclamer une quelconque démission ; il faudra attendre la fuite de Ben Ali trois jours plus tard pour voir apparaître les premières critiques. On apprend alors aussi que ces paroles ont bien été accompagnées d’actes : le 14 janvier les douaniers français ont bloqué une cargaison de plusieurs tonnes de grenades lacrymogènes mais aussi de casques et de boucliers commandée à la société Sofexi, cargaison qui était en voie d’être exportée en Tunisie après avoir obtenu l’autorisation des ministères français de l’Intérieur, de la Défense et des Affaires étrangères. Fin 2010, au moins quatre livraisons de grenades lacrymos commandées par le régime tunisien ont ainsi été validées et autorisées.

 

Mais ce n’est pas qu’en Tunisie que le «savoir-faire français policier» est exporté. En octobre 2010 des policiers français sont envoyés en Égypte former la police locale pour la «gestion des foules et des grands événements». Et ça marche : deux mois après des centaines de cadavres jonchent les rues du Caire et d’Alexandrie. L’industrie d’armement s’y met aussi. Les dictatures veulent urgemment du matos pour écraser les révolutions qui s’annoncent. La Lybie de Kadhafi négocie l’achat de 120 VBR (véhicules blindés à roues) de chez Panhard, la Russie demande 500 chars légers. Les commandes affluent aussi des dictatures du Golfe. Il ne suffit pas de critiquer Sarkozy and Co., il serait temps que les syndicats passent à la pratique et organisent le boycott des exportations de la mort !

 

Résistons ensemble no 94, février 2011.

 

 

Publié dans Internationalisme

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