On tient la rue ! Récit de la street party du 23 juin à Dijon
Tract vu dans Dijon, lors de la semaine du 21 juin :
Basta des apéros 200% traçables et fichables sur facebook.
De la fête autorisée une fois par an jusqu’à minuit «et tout le monde rentre chez soi !», du vide plombant souvent.
Des baqueux-caïds et des vigiles à chaque coin de rue, larbins piteux qui croient que la ville leur appartient. Des simples flics qui débarquent place Émile-Zola, sous prétexte que des gens sont posés dehors et éclatent un type en fauteuil roulant, sans que personne ne bouge.
Des rues réservées aux commerces et au taf, aux caisses et aux touristes.
Ras le bol d’habiter dans une ville-musée, vitrine bourgeoise à contempler sans toucher.
Des «arrêtés» qui interdisent de distribuer de la bouffe, de trinquer, de jouer, de rouler ou de se rassembler à plus de 3 personnes sur les places du centre-ville.
Des murs blancs et des peuples muets — Des vélos pucés contre des pubs immaculées.
De la fin des objets encombrants parce qu’il y en a qui récupèrent — Des bars lounges et des gueules correctes exigées.
Des loyers qui montent et des pauvres qui partent — Des lois anti-bandes et des vies qui rouillent.
Des raclures qui traquent les sans-paps’ qui se cachent — Des caméras qui t’observent et te suivent partout, d’une rue à l’autre jusqu’à chez toi ou à l’intérieur des bars.
De devoir demander des autorisations, des services d’ordres, d’hygiène, des subventions et des sponsors, le sourire du Maire et la Croix Rouge à chaque fois que tu veux que quelque chose se passe dehors.
Urbanistes, marchands, politiciens… ils ont voulu des villes où rien ne dépasse, ne bruisse, ne salit, ne rêve. Des allées aseptisées où il n’y a tellement plus rien à faire ni à rencontrer dehors, qu’il ne reste plus qu’à aller se ratatiner derrière un écran, entretenir des réseaux sociaux virtuels et des cauchemars numériques.
Nous on veut s’aimer sur les bancs publics, dériver dans les villes et explorer les toits, partager des paellas géantes et peindre des marelles, danser sur le bitume et refaire le monde sous les pavés. On veut des rues habitées et partagées, où l’on ne se contente pas de tracer.
On propose une FÊTE DE RUE et des surprises, le mercredi 23 juin à 21h, place du Bareuzai.
On tient la rue ! Récit de la street party du 23 juin
23 juin au soir, place du Bareuzai, la Fête de la musique, nettoyée à minuit deux jours plus tôt par la police, a déjà fait long feu. Mais des guitares, une contrebasse et un accordéon s’installent place Darcy. Des boissons et des sandwichs passent de main en main, au mépris des arrêtés municipaux. Des gens se rassemblent, se retrouvent, discutent ou reprennent les paroles en chœur. Des parties de foot ou de passe à 10 s’improvisent. Rapidement, un poids relié à une ficelle est envoyé par dessus la caméra de la place et des bouquets de ballons remontent prestement jusqu’au globe pour lui obscurcir la rétine.
Une voiture de baqueux puis un camion de flics passent et semblent décontenancés par la situation. Trop de gens pour faire les cow-boys ou trop d’heures supp’ avec la mobilisation pour la Fête de la musique et le méga défilé pour sauver les retraites du lendemain ? Difficulté à appréhender la situation, ou surprise ?
Toujours est-il qu’à la nuit tombée, une fanfare débarque et 200 personnes lui emboîtent le pas et déambulent dans les rues de la ville à la suite de la tournée des éboueurs. Étrange cortège nocturne, iconoclaste, joyeux et dansant.
Arrivé au croisement de la rue Berbisey et de la place Émile-Zola, on marque une pause, on garde la rue… Une banderole se déploie pour barrer la route, mais il n’y en a plus vraiment besoin. On est assez pour tenir le pavé, sans autorisation, sans fichage préalable, sans cadre lisse, sans laisser la police nous en empêcher.
Selon certains regards observateurs, il semblerait aussi que les fils de la caméra surplombante du carrefour pendaient alors éventrés et sortis de leur gaine métallique.
Un dispositif de cinéma sauvage, sur batterie, se met en place, un écran est accroché sur le mur d’une galerie marchande, des couvertures sont lancées depuis le balcon d’un immeuble pour obscurcir le lampadaire avoisinant. On mate des films qui marquent diverses manières de se réapproprier la ville : escalade urbaine et gangs de graffeurs, zombies attaquant des macdos et banques dans Dijon, techniques multiples pour frauder les transports en commun. Ca finit par des montages et collages filmiques sur l’envie de s’organiser pour ne plus payer. Pendant ce temps, certains font une partie de pétanque finnoise sur le bitume.
Au bout d’un moment, la fanfare reprend de plus belle, certains repartent, d’autres arrivent et se joignent à la danse. Moment de grâce, où l’on peut encore sentir que le monde ne se referme pas forcément, que Dijon n’est pas seulement une ville bourgeoise et gentrifiée aux rues vides de vie et d’imprévus, que la rue nous appartient si on la prend, si on ose se regrouper et penser l’inattendu. D’ailleurs ce soir là, les bleus se sont fait tout petits et ont pour une fois brillé par leur absence. Bon débarras !
Jusqu’à deux heures du matin, des groupes continuent de faire la fête, de se rencontrer et de bloquer la route.
À suivre dans la rue ! On peut se donner d’autres rendez-vous. N’importe où, n’importe quand.
Brassicanigra, 11 juillet 2010.