Notes pour la réunion commune des sections française et italienne, le 17 mars 1970
Guy Debord à toutes les sections de l’I.S.
Notes pour la réunion commune des sections française et italienne, le 17 mars 1970 (à transmettre aux autres sections)
1) Les difficultés des quatre derniers mois dans les sections américaine et italienne ont été particulièrement regrettables en ceci qu’elles ont ralenti le développement extensif de l’I.S. ; lequel s’était trouvé être à peu près notre seule réalisation durant l’année 1969. Il faut reprendre et poursuivre ce mouvement extensif, mais aussi reprendre tout de suite notre développement intensif pratico-théorique.
2) Dans les quatre mois précédents, pour la première fois, le côté administratif et disciplinaire interne l’a nettement emporté dans l’I.S. sur sa part de créativité ou d’expérimentation (part déjà peu considérable en 1969). Il faut tout de suite renverser ce rapport des facteurs, parce que, si celui-ci se maintenait, l’I.S. n’aurait aucune justification à se maintenir elle-même. Le camarade Verlaan a récemment très bien défini ce qu’il faut combattre, en remarquant que «là où la pratique révolutionnaire de l’I.S. fait défaut, les relations inter-individuelles deviennent fatalement la seule pratique» ; et naturellement elles se déploient dans la vieille pratique malheureuse des rapports de la société actuelle, encore très aggravée par une prétention creuse au rôle historique supposé. Nous avons tous à choisir et à juger notre activité commune ; mais être juges comme seule activité, ceci n’est pas acceptable.
3) Tout recul devant les questions concrètes (et au premier plan devant la question triviale de notre financement) doit être immédiatement dénoncé, et éliminé.
4) On a dû souvent chasser de l’I.S. ceux qui s’y trouvaient défectueux. Mais ce critère est trop exclusivement défensif. Pour qu’il y ait une égalité réelle, il ne suffit pas que les situationnistes évitent les défauts patents. Il faut que chacun soit, de quelque manière, «admirable» pour tous les autres.
5) Tous les camarades doivent reprendre (ou commencer) un travail théorique rigoureux. On peut dire, par exemple, que nous n’avions pas vraiment besoin des «succès historiques» enregistrés depuis 1968 pour être sûrs de la vérité de nos thèses précédentes. Mais, pour notre activité ultérieure, nous avons vraiment besoin d’analyser précisément deux échecs annexes, qui se complètent réciproquement :
On peut dire que les débats de la conférence de Venise ont, en général, très bien compris, et très bien prévu, ce qui se passe actuellement en Europe (quoiqu’en ayant vraiment très peu envisagé nos moyens de faire revenir ce genre de «science» dans l’activité pratique). Mais ces débats n’ont pas assez profondément examiné le premier point ; et n’ont pas assez précisément prévu le deuxième.
6) Malgré leur très grand intérêt historique et programmatique, les Conseils ouvriers du passé sont évidemment des expériences insuffisantes, et les organisations conseillistes réelles à venir sont encore assez loin d’exister. Une vague mode conseilliste se développe, jusque chez les crétins. Nous n’avons d’aucune façon à nous y ranger ; mais à la déranger, dès à présent. Au sens du contenu total que les Conseils doivent atteindre, au sens de ce que l’I.S. peut et doit faire pour que ce pouvoir existe en réalité, je résumerai ma thèse par une phrase : ce ne sont pas tant les situationnistes qui sont conseillistes, ce sont les Conseils qui auront à être situationnistes.
7) Le monde manque seulement de la connaissance d’un projet qu’il a déjà. Si l’I.S. peut encore servir à la lui apprendre, nous aurons à faire surgir d’autres Strasbourg et d’autres Sorbonne, et d’autres expressions de notre théorie (par les livres, ou autrement). Il va falloir encore étonner ce monde.
Notes pour la réunion commune des sections française et italienne, le 17 mars 1970 (à transmettre aux autres sections)
1) Les difficultés des quatre derniers mois dans les sections américaine et italienne ont été particulièrement regrettables en ceci qu’elles ont ralenti le développement extensif de l’I.S. ; lequel s’était trouvé être à peu près notre seule réalisation durant l’année 1969. Il faut reprendre et poursuivre ce mouvement extensif, mais aussi reprendre tout de suite notre développement intensif pratico-théorique.
2) Dans les quatre mois précédents, pour la première fois, le côté administratif et disciplinaire interne l’a nettement emporté dans l’I.S. sur sa part de créativité ou d’expérimentation (part déjà peu considérable en 1969). Il faut tout de suite renverser ce rapport des facteurs, parce que, si celui-ci se maintenait, l’I.S. n’aurait aucune justification à se maintenir elle-même. Le camarade Verlaan a récemment très bien défini ce qu’il faut combattre, en remarquant que «là où la pratique révolutionnaire de l’I.S. fait défaut, les relations inter-individuelles deviennent fatalement la seule pratique» ; et naturellement elles se déploient dans la vieille pratique malheureuse des rapports de la société actuelle, encore très aggravée par une prétention creuse au rôle historique supposé. Nous avons tous à choisir et à juger notre activité commune ; mais être juges comme seule activité, ceci n’est pas acceptable.
3) Tout recul devant les questions concrètes (et au premier plan devant la question triviale de notre financement) doit être immédiatement dénoncé, et éliminé.
4) On a dû souvent chasser de l’I.S. ceux qui s’y trouvaient défectueux. Mais ce critère est trop exclusivement défensif. Pour qu’il y ait une égalité réelle, il ne suffit pas que les situationnistes évitent les défauts patents. Il faut que chacun soit, de quelque manière, «admirable» pour tous les autres.
5) Tous les camarades doivent reprendre (ou commencer) un travail théorique rigoureux. On peut dire, par exemple, que nous n’avions pas vraiment besoin des «succès historiques» enregistrés depuis 1968 pour être sûrs de la vérité de nos thèses précédentes. Mais, pour notre activité ultérieure, nous avons vraiment besoin d’analyser précisément deux échecs annexes, qui se complètent réciproquement :
a) Dans la formation de l’organisation révolutionnaire consciente, l’extrême débilité des groupes constitués en France après l’admirable leçon de mai.
b) Dans le processus d’une lutte purement spontanée qui portait le prolétariat à mettre objectivement en question le pouvoir de classe en Italie, l’extrême facilité de la réussite d’une provocation intelligente (la bombe de décembre) ; échantillon relativement minime d’une pratique à laquelle tout État moderne n’hésitera jamais à recourir devant toute menace aussi vitale.
On peut dire que les débats de la conférence de Venise ont, en général, très bien compris, et très bien prévu, ce qui se passe actuellement en Europe (quoiqu’en ayant vraiment très peu envisagé nos moyens de faire revenir ce genre de «science» dans l’activité pratique). Mais ces débats n’ont pas assez profondément examiné le premier point ; et n’ont pas assez précisément prévu le deuxième.
6) Malgré leur très grand intérêt historique et programmatique, les Conseils ouvriers du passé sont évidemment des expériences insuffisantes, et les organisations conseillistes réelles à venir sont encore assez loin d’exister. Une vague mode conseilliste se développe, jusque chez les crétins. Nous n’avons d’aucune façon à nous y ranger ; mais à la déranger, dès à présent. Au sens du contenu total que les Conseils doivent atteindre, au sens de ce que l’I.S. peut et doit faire pour que ce pouvoir existe en réalité, je résumerai ma thèse par une phrase : ce ne sont pas tant les situationnistes qui sont conseillistes, ce sont les Conseils qui auront à être situationnistes.
7) Le monde manque seulement de la connaissance d’un projet qu’il a déjà. Si l’I.S. peut encore servir à la lui apprendre, nous aurons à faire surgir d’autres Strasbourg et d’autres Sorbonne, et d’autres expressions de notre théorie (par les livres, ou autrement). Il va falloir encore étonner ce monde.
Debord
Document 4 du Débat d’orientation de l’ex-I.S.