Lyon : Quelques informations sur l'activité de la Caisse de Solidarité ces dernières semaines
Petit rappel des faits. Au mois d’octobre dernier, Lyon a connu une de ses révoltes sociales les plus fortes depuis plusieurs années. Des manifestations monstres et des lycéens et lycéennes qui se joignent au mouvement, et qui lui donnent un caractère résolument offensif : blocage de lycées, débrayages, manifs sauvages, casse, affrontements avec les flics. Le directeur départemental de la sécurité publique, Albert Doutre, ne s’y trompe pas et évoque d’ailleurs, à propos de la journée du 19 octobre, «un échelon supplémentaire de franchi. Nous avons eu à faire à des comportements proches de la guérilla urbaine. Les dégradations des rues étaient systématiques.»
Le pouvoir s’affole et parle «d’exactions de près de 1300 casseurs» pour la journée du 19 octobre. Rien que ça. Au fil des manifs, des centaines de policiers se mettent à quadriller quotidiennement la presqu’île, notamment la place Bellecour, lieu de rassemblement habituel des lycéens. Sont mobilisés également un hélicoptère de la gendarmerie, le GIPN et des canons à eau.
Selon les chiffres de la préfecture, il y a eu 322 interpellations au plus fort du conflit (entre le 14 et le 22 octobre). Une soixantaine de jugements sont déjà tombés, à la fois en comparution immédiate (une vingtaine) et devant le tribunal pour enfants (plus de quarante selon sa présidente). Beaucoup de peines de prison ferme (25 selon la préfecture dont la moitié avec mandat de dépôt [C’est-à-dire que la personne part directement en prison.]), énormément de sursis et des amendes exorbitantes pour les flics le reste du temps. Les majeurs condamnés à de la prison ferme ont majoritairement été envoyés à la maison d’arrêt de Corbas (un est à Villefranche) tandis que les mineurs condamnés à du ferme ont été envoyé à l’EPM (Établissement Pénitentiaire pour Mineurs) de Meyzieu. Le procureur général de Lyon, Jean-Olivier Viout, avait par ailleurs annoncé son intention de faire appel des peines de prison avec sursis lorsque les juges n’avaient pas suivi les réquisitions du parquet qui demandait de la prison ferme. C’est chose faite. Les procès en appel ont commencé le 30 novembre [Ce jour-ci, fait exceptionnel, le président du tribunal accepte de diffuser un enregistrement vidéo de l’hélicoptère datant du 19 octobre — ce qu’avait vivement refusé le juge en première instance. Ce qu’il faut retenir de ça, c’est que l’hélicoptère est capable de suivre dans la foule un individu en particulier sans problèmes et de donner des signalements très précis aux troupes à terre.] et vont se poursuivre au moins jusqu’au 18 janvier [Les dates des procès en appel (qui commencent à partir de 13h30) sont le 30 novembre, les 2, 7, 10, 14, 16 décembre et les 4, 6, 11, 13, 18 janvier à la Cour d’appel de Lyon, les 24 colonnes, située quai Romain Rolland, dans le Vieux Lyon.]… Quand on connaît l’extrême sévérité de la Cour d’Appel de Lyon, on peut penser que certains risquent de ramasser des peines de prison et des amendes encore plus lourdes qu’en première audience. Les verdicts devraient tomber fin janvier-début février. En plus de ça, les enquêteurs lyonnais sont sur les dents et recherchent encore du monde. Des articles du Progrès datant de décembre relatent que 6 mineurs ont récemment été arrêtés par la direction départementale de la sécurité publique. Mieux : les flics affirment avoir constitué grâce à la vidéo-surveillance (ainsi qu’aux vidéos qu’ils ont faites) une soixantaine de dossiers avec des gens formellement identifiés [Ils se sont aussi servis d’Internet : blogs, forums et FaceBook, là où certains, se croyant à l’abri, se vantent de leurs exploits.]. On devrait donc s’attendre à voir d’autres arrestations dans les temps qui viennent. Pour mettre des noms sur les visages, des flics vont parlementer dans certains lycées avec les administrations en leur demandant de reconnaître leurs élèves. Certains acceptent de collaborer, d’autres non.
Il faut bien voir que que si le temps de la révolte est (provisoirement) achevé, le temps judiciaire, le temps de la peine, lui, n’est pas fini. Certain.e.s interpellé.e.s ne sont pas passés en comparution immédiate tout de suite mais ont reçu des convocations ultérieures (l’un par exemple pour le mois de juin 2011). Sans parler de celles et de ceux qui ont ramassé du sursis et qui passent actuellement en Cour d’Appel, de tous ceux qui doivent maintenant effectuer leur peine de prison en taule. Le parquet est allé jusqu’à faire appel pour un jeune de 22 ans, actuellement encore en détention, qui s’était ramassé 3 mois de prison ferme pour jet de projectiles, estimant que la sanction n’était pas assez forte. Ainsi toutes les personnes qui ont vu des arrestations violentes et/ou qui peuvent contredire les allégations policières sont invitées à se faire connaître auprès de la Caisse de Solidarité. Les témoignages de manifestant.e.s, ou de gens qui passaient par là, sont en effet cruciaux pour les procès en train de se dérouler.
Concernant la solidarité financière, elle reste essentielle. Les très nombreux dons sont utilisés pour les frais de justice et l’envoi de mandats aux prisonniers. Pour cette fin d’année 2010, plus de 1200 euros ont déjà été envoyés, sous formes de mandats, à huit personnes ayant fini en prison (une partie y est encore). Les mandats envoyés sont généralement de 80 euros, parfois un peu plus. Et les avocats qui demandent 1000 euros d’honoraires lors du premier passage en comparution immédiate, et encore plus en appel, ne sont pas si rares que ça. Une dizaine de personnes ont reçus entre 200 et 500 euros pour les frais d’avocats.
À la base, la Caisse de Solidarité se veut, sur la région lyonnaise, l’outil servant à soutenir les victimes de violences policières et tous les inculpé.e.s des mouvements de lutte. Elle sert concrètement à s’organiser face à la police et à la justice, face aux arrestations, aux contrôles d’identité qui finissent par des passages à tabac et des accusations d’«outrage et rébellion». Parce qu’il est inenvisageable de recréer à chaque mouvement social, à chaque tabassage policier un nouveau collectif pour protester contre tel ou tel abus, cet outil a vu le jour. Ce qui fait la différence d’avec les comités anti-répression, c’est que la Caisse ne suit pas une affaire en particulier jusqu’à son dénouement mais qu’elle est une structure pérenne dans le temps dont tout un.e chacun.e peut participer. Elle accumule des savoir-faire, de l’argent, des contacts avec des avocats, bref : des pratiques d’entraide face à la police et à la justice.
L’état des lieux des gestes qui font la Caisse de Solidarité est vaste : ça va de coller des affiches, à diffuser les tracts de conseils en manif, tenir des tables de presse dans les concerts, faire tourner le numéro le plus largement possible, appeler en cas d’arrestations, récolter des thunes, etc.
Qui participe de la Caisse ? C’est aussi bien un brasseur qui offre un fût de bière pour une soirée, que des étudiant.e.s qui font tourner des tracts dans une manif ; aussi bien des gens qui s’organisent financièrement pour récolter de l’argent que d’autres qui vont de temps en temps au palais de justice assister aux comparutions immédiates pour en faire des comptes-rendus. Un peu n’importe qui en somme.
Ces dernières semaines, l’activité de la Caisse a consisté à soutenir les inculpés du mouvement d’octobre. Le sentiment diffus qu’il fallait dans cette situation, en très peu de temps, récolter des sous pour soutenir les interpellés a trouvé à se concrétiser en de multiples façons. La Caisse de Solidarité n’a fait que centraliser toutes ces initiatives. Que ce soit à l’occasion de soirées, de bouffes, de manifestations ou de diffusions de tracts dans la rue, plusieurs milliers d’euros ont été récoltés. Cet argent provient d’un peu partout : d’anonymes qui prennent l’initiative de récolter des sous sur un marché ou d’organiser des concerts, des bars qui reversent l’intégralité de leur recette d’un soir à la Caisse, des restos qui mettent en place une caisse de dons pour les inculpés, des établissements d’enseignement supérieur qui puisent dans les caisses de grève du dernier mouvement, des ventes de soupe en centre-ville, de petits producteurs qui offrent leur vin ou leur bière, une section syndicale qui s’organise pour récolter des sous auprès de travailleurs, ou encore un journal de lutte qui redonne son bénéfice, etc. Dans tout ça, la Caisse se veut un outil qui, de par son expérience, est à même de faciliter le soutien aux inculpés. Rien de plus. Soutenir les inculpés, ça veut dire du soutien financier face à la justice : payer en partie ou en totalité les frais de justice, les avocats. Écrire à ceux qui ont été envoyés en prison. Leur trouver des avocat.e.s compétent.e.s qui acceptent de prendre l’aide juridictionnelle [C’est une aide (250 euros) versée par l’État aux personnes à faibles ressources. Un commis d’office est obligé de l’accepter si la personne y a droit, mais un.e avocat.e choisi.e «volontairement» peut la refuser et exiger une plus grosse somme.], qui assurent de bonnes défenses en prenant le temps d’étudier précisément les dossiers [Pendant les comparutions immédiates d’octobre, certains avocats ont plaidé des peines d’emprisonnement et des amendes identiques aux réquisitions du procureur.]. Prendre parfois contact avec les familles, les proches, aller les voir. Ça veut dire également conseiller juridiquement les inculpé.e.s et leurs proches car bien souvent ils ne connaissent pas grand chose au fonctionnement de la justice. Ça veut dire tout simplement se retrouver, discuter et acter ensemble qu’il en faudra plus pour arrêter un mouvement.
La Caisse de Solidarité
06.43.08.50.32 - courriel
P.-S. : Dans certains lieux à Lyon, on peut trouver des caisses pour alimenter la Caisse de solidarité : particulièrement à l’Autre Côté du Pont (25 cours Gambetta dans le 3e) et à la Gryffe (5 rue Sébastien Gryphe, dans le 7e).
Rebellyon, 25 décembre 2010.
Deux nouveaux «casseurs» arrêtés, une soixantaine identifiable
Mercredi 15 décembre, la police lyonnaise a arrêté deux «casseurs». Deux mineurs de 15 et 16 ans qui ont reconnu avoir participé au pillage de la Sellerie Victor-Hugo, le 19 octobre dernier. Chez eux, les forces de l'ordre ont retrouvé plusieurs portefeuilles, sacs et articles de maroquinerie. À ce jour, la police lyonnaise parle d'une soixantaine de «casseurs» identifiables grâce à la vidéo-surveillance urbaine, plus d'une cinquantaine restent à interpeller.
11h30, mardi 19 octobre. Un millier de jeunes affrontent les forces de l'ordre place Bellecour au centre-ville de Lyon. Brusquement un groupe se détache, une centaine de jeunes se met à courir et déferle rue Victor-Hugo. En quelques minutes, plusieurs vitrines de magasins sont brisées, plusieurs commerces pillés : France Arno, Micromania, la Sellerie Victor-Hugo subissent des dégâts considérables tel un nuage de criquets sur un champ de blé. Ce que les jeunes oublient, c'est que les caméras de vidéo-surveillance veillent. Et Lyon, en la matière, est plutôt en pointe.
Deux mineurs de 15 et 16 ans arrêtés
C'est ainsi que mercredi 15 décembre, pour la deuxième fois en quinze jours, les policiers sont allés cueillir chez eux deux jeunes «casseurs». Deux jeunes de 15 et 16 ans, domiciliés à Vénissieux, «qui se croyaient à l'abri». Selon les forces de l'ordre, «ils ont reconnu avoir participé à ce pillage, avoir volé des portefeuilles, un sac à main et divers articles de maroquinerie à la sellerie Victor-Hugo». L'un d'eux a également été mis en cause dans le vol d'un des autres magasins de la rue. Les policiers ont retrouvé chez lui un article venant de chez France Arno, un sac à main.
20 délits et 60 individus identifiables grâce la vidéo-surveillance
Sur cette affaire, les policiers ont enquêté à partir de faits, en l’occurrence le «vol en réunion» commis à la Sellerie Victor-Hugo, un délit passible de cinq ans de prison. Ils ont ensuite vérifié s'ils pouvaient reconnaître les auteurs sur les images de vidéosurveillance urbaine. Puis, ils ont mobilisé les commissariats de l'agglomération afin de reconnaître les visages identifiés sur les vidéos. Bingo, ces deux-là étaient connus des services de police. Des noms ont été rapidement mis sur leurs visages.
«De toute façon, on les gaulera !»
Depuis début novembre, une cellule d'investigation spéciale a été mise en place à l'hôtel de police de Lyon, rue Marius Berliet, dans le 8e. Elle mobilise deux policiers de chaque commissariat central de l'agglomération (Est, Centre et Ouest) et deux enquêteurs de la sûreté départementale qui travaillent exclusivement à retrouver les «casseurs». À cette date, les policiers disent avoir mis à jour une vingtaine de faits «pénalement répréhensibles» : retournement de voiture, jets de pierre sur les forces de l'ordre, vol en réunion, etc. Ils parlent également d'une soixantaine d'individus, auteurs de ces faits, reconnaissables sur ces images. Reste à mettre un nom sur leurs visages, certains sont déjà identifiés et seront interpellés prochainement.
À cette date, six casseurs ont été arrêtés grâce à la cellule d'investigation. Deux le 2 décembre pour avoir participé au retournement de deux véhicules sur la voie publique (lire par ailleurs). Ajoutés aux deux arrestations de ce mercredi, et à deux autres, issus d'une enquête ouverte pendant les émeutes, cela porte à six le nombre de «casseurs» interpellés. La Sûreté départementale promet «bientôt, d'autres développements». Arrestations et présentations au parquet seront «ventilés dans le temps», précise Albert Doutre, patron de la Sécurité publique. «De toute façon, on les gaulera», concluait le préfet du Rhône, jeudi matin. Jean-François Carenco recevait les médias à l'occasion d'un point presse sur la sécurité départementale. Un peu plus d'une cinquantaine de «casseurs» resterait donc à interpeller.
Leur presse (Lucie Blanchard,
Lyon Capitale), 16 décembre.
Encore quatre arrestations liées aux manifestations d’octobre
La cellule spécialisée mise en place début novembre continue à identifier des suspects.
Quatre adolescents, soupçonnés d’avoir participé aux violences urbaines et aux pillages en marge des manifestations d’octobre contre la réforme des retraites, ont été interpellés mercredi matin. Ces arrestations font suite à celles du 2 décembre et visent «les fauteurs de troubles» responsables des faits les plus violents commis à l’occasion des manifestations. Depuis début novembre, une cellule constituée d’une dizaine de policiers de la Sécurité publique travaille à plein-temps sur l’identification et l’interpellation des casseurs, en lien avec le parquet de Lyon.
Les enquêteurs disposent notamment d’un volume très important d’images, issue de la vidéosurveillance urbaine, des films réalisés depuis l’hélicoptère de la gendarmerie, ainsi que par les CRS, sans oublier les réseaux sociaux.
C’est à partir de ces données qu’une soixantaine de personnes sont d’ores et déjà identifiées. Mercredi matin, deux adolescents de 16 ans ont été arrêtés à Vénissieux, l’un chez lui, l’autre dans son lycée. Ils sont impliqués dans le pillage de la sellerie Victor-Hugo et du magasin France Arno, rue Victor-Hugo le 19 octobre. Deux autres garçons de 16 ans ont été interpellés à Rillieux et à Lyon (9 e), pour avoir dégradé et retourné, en compagnie d’autres jeunes gens, des voitures rue de la République. Ces quatre garçons ont été présentés hier au parquet.
Leur presse (Christine Mérigot,
Le Progrès), 17 décembre.