Leur justice travaille à Poitiers
La cour d’appel a réexaminé hier le sort de cinq des jeunes interpellés en marge des débordements du 10 octobre à Poitiers. Délibéré le 19 février.
«Je n’ai jamais lancé de pierre sur la voiture du commissaire.» À la barre, Samuel B… a été le premier à s’expliquer sur les faits qu’on lui reproche. Et il a donné la couleur. Comme Jean-Salvy C…, Léo C…, Candice C… et Charles V…, Samuel a été jugé et condamné le 12 octobre 2009 en comparution immédiate pour sa participation aux événements qui ont violemment secoué Poitiers en marge de la manifestation anti-prison du 10 octobre 2009.
«Cette espèce de lâcheté…»
Hier, devant la cour d’appel qui rejugeait ces faits, il a plaidé non coupable. Car, a-t-il affirmé, la violence va «à l’encontre de [son] éducation». Son pote Jean-Salvy, accusé d’avoir lancé un objet métallique vers les policiers, a adopté la même posture : «Je n’ai jamais commis d’acte de violences.» Léo et Candice, interpellés chez un fleuriste, rue Pétonnet, ont affirmé qu’ils n’étaient pour rien dans l’incendie d’un conteneur à ordures rue Jean-Jaurès. Charles a, quant à lui, juré qu’il était venu dans le centre après la manif et n’avait fait que ramasser la fusée de détresse et le masque de plongée saisis dans son sac à dos.
«Moi aussi, j’ai eu 20 ans et des convictions, a commenté l’avocat général. J’ai eu des convictions et je les ai défendues jusqu’au bout. Mais la société a évolué.» Et le magistrat de regretter «cette espèce de lâcheté qui se développe à la barre et qui consiste à nier les évidences en disant “Je n’y étais pas” ou “Ce n’est pas moi”». Admettant que ces cinq-là ne faisaient pas partie des meneurs, le parquetier a requis «des peines exemplaires», tant pour «garantir que l’institution judiciaire n’est pas insensible à ce qu’a vécu Poitiers» que pour signifier «à chacun» ce qu’on encourt quand on bouscule les canons de la paix sociale.
Des «lampistes»
À l’unisson, les avocats de la défense ont tous plaidé la relaxe de leurs clients. Les uns démentant des affirmations des policiers, les autres dénonçant la fiabilité des aveux signés en garde à vue par les prévenus. Tous répétant que ces gamins ne sont pas les vrais responsables du saccage de Poitiers. «Des lampistes, et nous en sommes tous conscients», a même résumé l’avocat de la Ville, partie civile. Condamnés en première instance à des peines allant de deux mois avec sursis à six mois dont un ferme avec mandat de dépôt, seront-ils tous relaxés par la cour ? Pas sûr. Car, comme l’a déclaré Me Simone Brunet en défense : «Cinq relaxes d’un coup ? Ce sera délicat. Car comment des magistrats pourraient-ils désavouer la police ?»
Jugement le 19 février à 9 heures.
Emmanuel Touron
Le centre-ville en état de siège
«C’est pour quoi, tout ça ?» Depuis mercredi soir, la question était sur bien des lèvres. Que ce soit aux abords du palais de justice ou à proximité de Notre-Dame-la-Grande, les fourgons bleus et blancs de la police ne sont pas passés inaperçus. À leur bord, plusieurs dizaines d’hommes, bien équipés, ont stationné jusqu’à hier midi pour «sécuriser» le procès en appel des événements du 10 octobre. Le même type de dispositif avait aussi été déployé ces dernières semaines pour «encadrer» cette fois les manifestations et rassemblements de soutien aux «inculpés».
Tous filmés !
Hier donc, il y avait foule au palais de justice. Familles, proches et sympathisants des cinq prévenus ont pu assister au procès. Pas tous cependant. Certains sont restés sur les marches et dans la salle des pas perdus pendant les 4 heures 30 de l’audience.
Parmi eux, quelques-uns déploraient le fait d’être filmés et photographiés par la police, se souciant de l’utilisation qui pourrait être faite de leur image.
Au final, même si la présidente de la cour d’appel a pris soin dès le début des débats d’en appeler à la sérénité, c’est une fois de plus dans un climat tendu que s’est déroulée cette matinée.
En mettant toutefois cette affaire en délibéré au 19 février prochain, nul doute que les juges poitevins ont voulu se donner le temps de la réflexion. Pour une justice sereine, posée, réfléchie.
J.-M. G.
Petits poissons
Ce 10 octobre 2009, Poitiers la sage, Poitiers la paisible était quelques heures durant la proie de quelque 250 «casseurs» venus d’on ne sait où. Bilan matériel important : 14 vitrines brisées, des monuments tagués, des poubelles incendiées mais aucun blessé à déplorer. L’opération commando, menée au nez et à la barbe de forces de l’ordre en net sous-effectif devait être revendiquée quelques semaines plus tard par un mystérieux groupe «insurrectionnaliste». Ces professionnels de la violence armée n’ont à ce jour pas été démasqués. En attendant, et parce qu’il fallait bien trouver des responsables, on a désigné quelques jeunes, étudiants ou marginaux, repérés dans ou aux abords de la manifestation. Ils sont de gauche ou militants de la cause anticarcérale, mais casseurs ? Pour l’heure, la justice n’a mis la main que sur de tout petits poissons.
J.-M. G.
Pas de mises en examen par les juges
Trois mois après les violences du 10 octobre 2009 à Poitiers où en est l’enquête ? Interrogé à ce sujet, le procureur de la République, Pierre Sennès, s’en tient à une communication millimétrée. Une information judiciaire avait été ouverte pour «provocation à un attroupement armé» et le pôle de l’instruction avait été saisi de ces faits. «Il n’y a pas eu de mises en examen dans ce dossier pour le moment, indique le procureur de la République. Il y a un gros travail d’exploitation technique et d’analyses à faire.» Autrement dit, le millier de pièces saisies après la dispersion de la manifestation est en cours d’analyse. Un travail long pour relever des empreintes digitales ou génétiques sur des masques, des manches de pioches… Il faut aussi compter avec le traitement de tous les documents photographiques et vidéo qui ont pu être récoltés. Les enquêteurs avaient notamment retrouvé un ticket de caisse correspondant à un achat de masques effectué à Rennes.
Leur presse (La Nouvelle République), 15 janvier 2010.
Des peines «exemplaires» requises à Poitiers
De lourdes peines de prison ferme ont été requises contre les «émeutiers» du 10 octobre à Poitiers.
Quatre garçons, une fille, âgés de 20 à 24 ans. Trois sont étudiants, deux smicards. Ils sont accusés d’avoir, le 10 octobre 2009 à Poitiers, lors d’une manifestation anticarcérale ayant dégénéré en violences urbaines, qui jeté des projectiles aux policiers, qui incendié une poubelle, qui coiffé sa capuche et transporté dans sa musette l’arsenal du parfait petit Black Bloc, lunettes de plongée, fusée de détresse, etc.
Ils ont été condamnés par le tribunal de Poitiers à des peines de prison ferme et avec sursis, et passent en seconde semaine devant la cour d’appel pour plaider leur relaxe.
Des casseurs, eux ? Des spécimens de cette «ultragauche» que Brice Hortefeux s’est juré de «dissoudre» ? Ils s’alignent sagement dans l’ordre que leur indique la présidente, Maud Vignau, répondent poliment à ses questions. Pas un mot plus haut que l’autre, pas la moindre velléité de transformer la barre en tribune politique.
Délibéré au 19 février
L’avocat général, Jean-Claude Bellot, leur reprochera «de ne pas défendre leurs convictions jusqu’au bout». C’est «une espèce de lâcheté», dit-il, que de répéter «j’y étais pas, j’ai rien fait» en «niant les évidences».
«C’est parce que vous préjugez de leur culpabilité ! rétorque Me Simone Brunet pour la défense. Ils n’ont pas à assumer des faits qu’ils n’ont pas commis.»
Les «évidences» du ministère public tiennent aux aveux des lanceurs de cailloux pendant leur garde à vue et aux témoignages des policiers qui les ont «formellement reconnus».
Reconnaissance formelle, mon œil ! lance en substance Me Brunet. Elle ne voit dans ces témoignages que bidonnages et contre-vérités. Ceux-là ont été «raflés» parce que la pression politique exigeait des coupables, et vite. Quant aux aveux, ajoute son confrère, Me Philippe Gand, ils ont été obtenus sous la pression, les prévenus se sont ensuite rétractés. Et de plaider la nullité de toute la procédure, les conditions de la garde à vue étant en France, comme personne ne l’ignore plus, contraires au droit européen.
Le ministère public persiste et signe. Comme le procureur de la République avant lui, l’avocat général a requis des «peines exemplaires» contre les cinq prévenus. Il a fixé l’«exemplarité» au même niveau : dix-huit mois de prison, dont une part «significative» de prison ferme afin que l’avertissement soit entendu «à Poitiers et au-delà», pour Samuel, Jean-Salvy et Charles, les jeteurs de pierres, et huit mois, avec sursis partiel, pour les incendiaires de poubelles.
La cour a mis son arrêt en délibéré au 19 février. Un délai inhabituel qui pourrait traduire soit un certain embarras, soit l’espoir que soit tranchée rapidement cette fichue querelle sur la garde à vue.
Leur presse (Pierre-Marie Lemaire, Sud-Ouest), 15 janvier.