Les fronts de lutte

Publié le par la Rédaction

La Révolution, ce Graal, cherchée par beaucoup. La révolution permanente, l'insurrection, le soulèvement, tout ce champ lexical bien souvent consommé au coin d'un bar, sur les chaînes d'une usine, sur les bancs des écoles, dans les assemblées générales n'a pas fini de faire parler de lui. Beaucoup la désirent, beaucoup la craignent aussi. Certains pensent qu'elle est le seul moyen de sortir d'un carcan idéologique. «Tout renverser», «Attitude subversive», «Lutte perpétuelle» et autres expressions dont les louanges sont chantées à travers le monde. On n'a pas fini de la chercher qu'elle nous semble déjà bien loin, elle semble même parfois s'évaporer et sa lueur s'éteindre, vaincue à nouveau par la pénombre étouffante d'un monde grisé. Et pourtant, on en parle encore, de cette Révolution ! Partout sur les piquets de grève, on l'a sur les lèvres, plus séduisante qu'une femme et plus convoitée que l'or pour une quantité non négligeable de personnes dont les rêves n'ont pas encore disparu.

 

Mais comment l'atteindre cette Révolution ? Certains ont déjà sauté le pas, et vous diront qu'il la faut maintenant. Que demain, aux alentours de quatorze heures, elle sera là, et que nous n'aurons qu'à la cueillir. Qu'il suffit d'y croire, qu'elle est évidente. Et c'est vrai pour tous ceux qui en sont déjà convaincus. A contrario, quid de tous ceux dont le seul rêve est de pouvoir un jour s'acheter une maison et sortir de la banlieue ? Quid de tous ceux qui, avant de rêver d'un monde nouveau où les gens s'embrasseraient, sourires aux lèvres, essaient désespérément de trouver le paquet de pâtes le moins cher ? Alors il y a aussi tous ceux qui nous ulcèrent en prônant la «Révolution syndicale», tous ceux qui nous disent d'attendre et de prendre notre mal en patience, ceux qui nous énervent au plus haut point parce qu'ils brident les tentatives de libération, les expériences nouvelles ou non de (re)conquêtes de nos existences. Ceux qui nous blâment quand on va fracasser des vitres parce que c'est «contre-productif». Mais les deux points de vue me semblent erronés.

 

Il faut penser à nous et à notre parcours. Nous ne sommes pas devenus révolutionnaires un beau matin, au saut du lit. Le processus a été plus ou moins long, plus ou moins douloureux, plus ou moins facile. Personnellement, il a fallu qu'on me tire par la peau des fesses dans une AG où je n'avais pas très envie d'aller pour que, quelques mois plus tard, j'occupe un amphithéâtre et me mette à réfléchir sur l'organisation du travail, l'autoritarisme, la politique etc. Et pourtant je n'étais pas le moins politisé de ma bande d'amis à l'époque !

 

Il nous faut garder en tête que ce qui nous semble évident ne l'est devenu qu'après de longues soirées de discussions autour d'une bière ou après de longues réflexions seuls et perdus dans la nuit et le brouillard.

 

Nous ne devons surtout pas être des «avant-gardistes» ou des «penseurs éclairés», ces notions dangereuses sont à laisser au fond du placard des Révolutions mortes d'un autre temps qui ont laissé de bien douloureuses plaies. Mais nous devons de toutes nos forces recréer un lien social, et ce même avec les gens qui ne sont pas de notre avis. Nous devons par moments nous saisir de notre bâton de pèlerin et aller dans la rue expliquer pourquoi et comment le système opprime et arrive néanmoins à donner l'illusion de la liberté.

 

Mais à côté de ça, nous devons vivre nos luttes, nous devons attaquer sans cesse et sans honte le capitalisme et toutes ses armes. Car si la Résistance n'a pas changé le cours de la guerre en faisant sauter un train, elle l'a changé en en faisant sauter des dizaines ! Il y a toute une question d'intégrité et d'honnêteté intellectuelle derrière les actes qualifiés de «contre-productifs» à laquelle il ne m'appartient pas de répondre, mais qu'aillent au diable tous ceux que ça emmerde de sortir des copains de prisons ! Que l'on montre en quoi le système est mauvais, et surtout que l'on montre qu'il est attaquable !

 

Deux fronts doivent alors être créés ; celui de la guerre philosophique : nous devrons argumenter et débattre, nous positionner et vaincre, jour après jour, toutes les contre-vérités, tous les mensonges, tous les prédicats, même si cela passe par, temporairement, accepter de lutter aux côtés de gens dont l'intérêt à long terme n'est sans doute pas un changement profond et généralisé. Nous devons prendre garde à ne pas devenir des idéologues, nous devons partir du principe qu'on a raison, tout en se disant qu'il est possible qu'on ait tort. Un système anti-hiérarchique ne fonctionne pas sans sagesse ! Nous devons prendre garde aussi à ne pas devenir sectaires et à repousser tout ce qui n'est pas fondamentalement de notre avis (parce qu'on peut discuter avec un carnivore quand on est végétarien, mais dès lors qu'un militant des droits des homosexuels discute avec un homophobe, le débat a vite fait de péricliter). On peut répéter à l'envi qu'on se fout de la Société et qu'elle peut crever sans nous, créer des alternatives intéressantes et pleines de promesses, mais tôt ou tard, dans un monde qui veut tout contrôler, la Société finira par nous tomber dessus et nous demander des comptes. Sans compter qu'on risque l'isolement, ce qui serait dommage dans un environnement qui regorge encore de beaucoup de volontés et de possibilités ! Si l'on veut changer le système, il faut que les gens qui composent ce système et participent, par obligation pour la grande majorité, à son fonctionnement en aient envie aussi. Si vous voulez couler une entreprise, vous pouvez tuer le patron et tous les actionnaires, puis d'autres prendront leur place. Il en va de même du monde.

 

Le deuxième front à ouvrir et le plus risqué, mais aussi le plus passionnant, est celui de la guerre matérielle. Celui où l'on détruit les symboles mais aussi les outils d'un système répressif, oppressif et humiliant. Celui où l'on défie l'autorité, où on l'effraie pour lui rappeler qu'elle a encore du chemin à faire si elle veut la soumission de tous. «La propagande par le fait», qui n'est que l'extrapolation du premier front, qui donne aux gens la vision que le système est faillible et même parfois carrément faible, de même que l'enfant (et cette image est bien sûr volontaire) découvre un jour qu'il peut dire non à ses parents, le peuple doit découvrir qu'il est possible de se lever et de crier avec fierté qu'il ne se résignera pas à un mode de vie qui le répugne parce que «sinon, ça ne marche pas».

 

Pour ce qui est de la police, officielle ou non, nous devons nous méfier, sans avoir peur. Elle existe et doit être prise en considération, il y va de l'intérêt de tout le monde de ne pas faire n'importe quoi, n'importe où, et de savoir renoncer à quelque chose quand le risque devient trop grand. Pour autant, nous ne devons pas sans cesse nous freiner, insister sur la possibilité de garde à vue ou de condamnations plus lourdes. J'en ai marre d'entendre partout «Oui mais c'est quand même dangereux». Tout ce qui est illégal l'est, et il me paraît malhonnête et idiot de prôner la lutte tout en n'utilisant que les outils que le système met à notre disposition. La France a frôlé la pénurie de carburants, des milliers de gens ont été arrêtés, un grand nombre est parti en prison, il y a eu à certains endroits plus de lacrymogènes dans l'atmosphère que d'air, de pauvres gens y ont laissé un œil et le feu a pris partout, mais encore là nous en trouvons pour nous dire qu'il faut que nous restions assis bien sagement à attendre qu'on veuille nous écouter ! Quelle hypocrisie et quelle traîtrise envers tous ceux qui ont voulu mettre leurs tripes et leur rage dans le renversement de ce qui pourrit l'Humanité !

 

Alors je m'adresse à vous, compagnons de lutte, pour vous dire qu'ici bas tout est possible, que notre rage doit s'exprimer, mais que nous devons pouvoir la communiquer !

 

Avec tout mon amour et mes espoirs !

 

Lundi 8 novembre 2010.

 


Publié dans Colère ouvrière

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