Le G20 à Toronto : L'élégante matraque de la démocratie

Publié le par la Rédaction

 

Les mauvais mots sont toujours pour les mauvaises personnes, et les mauvaises personnes n’ont généralement … pas un mot à dire. La violence, en ce sens, nest jamais celle de celui qui en parle. Jamais un politicien, un porte-parole policier ou militaire ou encore — ce qui revient pratiquement au même — un journaliste ne se portera à la défense de la violence. La violence, cest toujours lAutre qui lexerce. Et comme les classes dirigeantes fondent leur légitimité sur la Démocratie et la Liberté, ils ne pourraient, eux qui sont si sensibles et généreux, être des vecteurs de violence.

 

 

Il faut analyser les choses objectivement, disent-ils. Notre société donne la parole aux citoyens : les plus timides consomment — que dis-je ! — votent équitable et signent des pétitions, les plus éduqués écrivent des lettres dans les journaux, les nostalgiques fondent des syndicats, les arracheurs de dents peuvent se présenter aux élections et les plus taquins manifestent pacifiquement. Les plus audacieux peuvent même fonder leur propre entreprise citoyenne, organiser des épluchettes de blé dInde pour se financer, faire des macarons, passer des tracts… Ils vont bientôt attirer lattention des forces de lordre, mais bon, sils nont rien à se reprocher, on se demande bien qui ça peut déranger… Nest-ce pas ça, la démocratie ?

 

Bien sûr, disent encore les gestionnaires du régime, certaines lamentations sont chroniques : des hippies, des anarchistes, des féministes et des révolutionnaires pas trop propres, il y en aura toujours. On se souvient de la violence «terroriste» du Black Bloc lors du Sommet des Amériques et de la violence «organique» des grévistes de lASSÉ qui avaient déféqué dans un bureau gouvernemental — ce qui était faux, mais avait quand même permis au ministre de se débarrasser des revendicateurs au profit dinterlocuteurs plus raisonnables, donc plus abrutis, que sont la FEUQ et la FECQ. Comble dironie, on se souvient aussi de la violence des «pacifistes» manifestant contre le départ des troupes canadiennes vers lAfghanistan. Pour loccasion, toujours bien en laisse, Mario Roy nous avait parlé, tout en se grattant le derrière de loreille avec la patte qui nécrit pas, de «lassaut de pacifistes guerriers» (La Presse, juin 2007).

 

Lors des manifestations contre le G20 à Toronto, malgré la très démocratique répression systématique, la présence de plusieurs milliers de flics (ils en importent de Montréal, cest tout dire), les nombreuses darrestations, les gaz, le mur de plusieurs kilomètres, la méthodique campagne de dénigrement, despionnage et dintimidation… La même chanson est sans surprise gazouillée à lunisson par les amis de lordre, bien sûr, mais également par une certaine gauche réformiste désirant charmer lopinion publique (cette somme abstraite et contradictoire délecteurs-clients) en bichonnant son image de marque.

 

Comme toujours, la violence dépeinte par les scribouilleurs en laisse est attribuée à ceux et à celles qui la subissent. Selon les fins critères sensibles de lesthétique bourgeoise, laction directe naura jamais lélégance dun gracieux coup de matraque. Car si la répression policière a la possibilité de se transfigurer, comme leau en vin, en «opération de paix», en «maintien de lordre», voire en «protection des manifestants», laction militante na pas ce privilège. Elle est et restera de la violence «apolitique», «irrationnelle» et «terroriste».

 

Tout le monde le sait, mais comme beaucoup de gens — même de gauche — écoutent trop la télé, répétons-le encore une fois : dans le monde, les biens des 200 personnes les plus riches dépassent le revenu total de 41% de la population mondiale — soit le revenu de plus de deux milliards et demi de personnes ; au Canada, le salaire des plus grands dirigeants est de 174 fois plus élevés que celui du travailleur ordinaire et le salaire national moyen est gagné par les plus gras des PDG en une demi-journée de travail. Partout sur terre, des gens meurent parce que leur vie est inutile ou nuisible à laccumulation du capital ; dautres sont tués par nos armées sans même que les journaux nen fassent mention ; des centaines de milliers denfants naissent, grandissent et meurent dans des dépotoirs ; des millions de jeunes filles sont vendus sur le marché international… Ajoutons que létalage indécent des marchandises protégées par les sbires de lÉtat est violence pour celui qui ne peut se les payer. Et ajoutons encore, accessoirement, que la planète se dégrade à un tel rythme que lépoque grise et terne qui est la nôtre pourrait bien être … la dernière.

 

Le mandat officiel du G20 est de «promouvoir la stabilité financière internationale». Cest contre cette stabilité de fosse commune que les gens vont manifester dans des sommets comme celui de Toronto. À la violence systématique, froide et calculatrice, ils opposent la force de leur propre volonté démancipation. Non seulement ils subissent la répression brutale des forces de lordre, mais doivent, à peine remis de leurs émotions, subir la matraque des flics de papiers, ceux que notre société appelle trop généreusement les «journalistes».

 

Et si la gauche radicale utilise une certaine violence — minime et symbolique, du moins pour le moment — il ne faut pas perdre de vue que son action vise, justement, la fin de la violence. Elle est destructrice, il est vrai, mais destructrice de destruction. Négatrice de la négation, elle est affirmation de liberté et de dignité. Car il sera toujours moins violent de brûler une banque que den ouvrir une.

 

Mais ça, on nen parlera pas à la tivi…

 

Cet article a été écrit le 18 juin, soit quelques jours avant les manifestations contre le G20. Il est disponible dans le journal Le Couac de juillet. 
La Commune, 2 juillet 2010
Blogue d’information politique de l’UCL-Montréal.

 


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