La révolution comme apparition

Publié le par la Rédaction

 

«Un accident frappe un corps ; un fait brut doit mettre un terme à l’indétermination brillante des idées.» — Jean-Paul Sartre.

 

La confusion qui règne aujourd’hui dans le champ théorique n’est qu’un écran de fumée : les potentialités révolutionnaires de ce siècle sont vertigineuses. Ne manque qu’un évènement qui dégagera des lignes enfin claires, et nous replacera dans une historicité plus globale, plus brutale aussi.

 

 

Les mouvements sociaux de ces dernières années dans les pays industrialisés ont montré quel était le qualificatif qui pourra s’appliquer à cet évènement clé : il s’agira d’un moment d’intensité dramatique exacerbée, intensité que nous devrons avant tout aux névroses de ce siècle, au sentiment réprimé de la violence dans nos quotidiens, violence proprement insoupçonnée, bien qu’existante au sein d’un monde d’enquêtes et de suspicion généralisée.

 

Je pense essentiellement à la valeur qu’a pris la mort dans les rapports conflictuels entre les populations des pays industrialisés et les États qui dirigent ces pays. Au XIXe siècle, et jusqu’à récemment, il n’était pas rare de compter les morts au lendemain d’une grève, y compris locale, tant la conflictualité s’exprimait militairement. Aujourd’hui, on guette le Mort comme le signal d’un basculement. C’est la mort de Zyed et Bouna qui a déclenché l’insurrection d’octobre 2005. C’est la mort d’Alexis qui a jeté la jeunesse grecque dans les rues d’Athènes en 2008. Les immolations ont précédé la colère en Tunisie ou en Égypte, en 2011. Le simple fait de pouvoir nommer ces morts, de les associer spontanément à des évènements historiques d’ampleur, montre combien a été importante la rencontre de trajectoires, le processus d’identification, dans un premier temps dans un rapprochement individuel, puis, finalement collectif. Ce qu’il y a de nouveau, c’est que, massivement, les identités collectives s’affirment sur la base de destinées individuelles, figées dans des mythes modernes.

 

 

En fait d’identités collectives, il ne s’agit pas de savoir si le prolétariat «existe encore», à l’heure où, pour prendre l’exemple de la France, environ 6 millions de personnes ne gagnent pas plus de 750€ par mois. Il s’agit de savoir comment on doit parler de ce prolétariat, qui n’est pas celui du XIXe ou du XXe siècle, dans quelles conditions historiques il pourra accéder à sa propre reconnaissance, à la quête de son dépassement prochain. Je crois pour ma part que seul un drame (à la fois individuel et collectif), tel que je l’évoquais plus haut (ou avec une force similaire, rien n’est moins souhaitable que la mort d’un des nôtres), pourra permettre cette reconnaissance. Toutefois, nous ne sortirons de l’impasse que lorsqu’une dynamique essentiellement collective allant dans le sens de la révolution sociale aura impacté massivement les rapports économiques, politiques et sociaux au niveau mondial, et cette dynamique me paraît être celle, aujourd’hui, de plusieurs mouvements en apparence extrêmement disparates dans différentes parties du monde, mouvements qui ont en commun d’avoir eu pour déclencheurs ces évènements proprement dramatiques que j’ai tenté de décrire.

 

Dès lors, la logique induite par ces possibilités évènementielles voudrait que tout groupe révolutionnaire quitte le terrain de la contestation, et s’envisage comme groupe potentiellement armé. Je veux dire par là qu’il est temps de répandre à nouveau l’idée que le grand soir est pour demain, et que les couteaux doivent être aiguisés en conséquence. Car le temps est moins à la planification qu’au surgissement, et il s’agit bien d’allier effroi et plaisir. La révolution n’est pas un dîner de gala, mais un guet-apens, dans lequel nous serons tous pris. Essayons désormais de savoir qui piège qui, et attribuons à chacun les rôles qui conviennent, pour, espérons-le, la dernière surprise-party de la société de classes.

 

La guerre dans l’âme, 26 février 2011.

 

 

Publié dans Agitation

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