La Laiterie, lieu de vie au cœur de Lausanne
La prochaine fois que vous passerez devant le 23 de la rue Marterey, faites ce que j’ai fait il y a quelques heures : sonnez, et allez à la rencontre des habitants. Bien plus qu’un logement, cette maison aux volets bleus représente pour celles et ceux qui la font vivre un lieu d’expérimentation et de résistance(s), la possibilité de vivre au quotidien une certaine forme de sociabilité. S’arrêter à la Laiterie, c’est aussi s’accorder quelques minutes de réflexion bienvenues sur ce qu’habiter veut — et peut — dire. Entretien avec six squatters autour d’une tasse de thé…
Il y a quelques jours (le 22 décembre) a eu lieu l’audience civile devant le tribunal d’arrondissement de Lausanne. Rappelons que la banque WIR, propriétaire de l’immeuble, demandait des mesures provisionnelles visant à l’évacuation immédiate de la maison. Comment cela s’est-il passé ?
Cela s’est passé aussi bien que possible. Dès le début de l’occupation, nous avons dit que nous partirons au début effectif des travaux de rénovation. Or cela fait plusieurs années qu’on nous annonce que ceux-ci vont débuter, et cela n’a encore jamais été le cas… C’est scandaleux de laisser un immeuble vide au cœur de la ville, alors que la crise du logement fait rage. Nous sommes parvenus à un accord avec la banque WIR, et quitterons les lieux lorsqu’on nous présentera un contrat signé avec une entreprise générale, ainsi que le planning des travaux. Au niveau du tribunal, pour la première fois un juge a reconnu qu’un permis de construire n’était pas suffisant pour justifier du début imminent de travaux : c’est une grande victoire.
Parlez-moi de cette maison… quelle est son histoire ?
Il s’agit d’une ancienne laiterie de quartier, que nous occupons depuis 2004. C’est déjà à la suite d’une annonce de «travaux imminents» que ce petit commerce avait dû fermer aux alentours de 1997. La maison est ensuite restée vide, laissée à l’abandon et aux pigeons. La vitrine d’en bas était recouverte d’affiches, les logements rendus inutilisables. Dès le début, nous avons entrepris des travaux de rénovation : remise en fonction du système électrique, réfaction des volets, installation d’une cuisine à l’aide de matériaux de récupération… nous avons également remis en état le chauffage à bois qui existait d’origine mais avait été remplacé par un système à mazout. Pour nous, c’est un gain d’autonomie : disons que nous sommes moins dépendants de ce qui se passe en Irak (rires). Surtout, ces travaux sont l’occasion de mettre en pratique un partage des connaissances : chacun amène son savoir et son expérience et en fait profiter l’ensemble de la communauté. Cette maison est en réalité beaucoup plus qu’un logement : le squat, ce n’est pas que l’habitation, c’est avant tout un réseau de solidarité, un lieu d’échange et de partage. C’est également la possibilité d’habiter de manière écologique : à chaque occupation, l’installation de panneaux solaires thermiques est systématique. Nous recyclons des matériaux de construction, et l’habitation consomme très peu d’énergie. Pour quinze personnes, nous n’avons par exemple qu’un seul frigo.
Vous dites que le squat, ce n’est pas que l’habitation. C’est avant tout un acte politique ?C’est fondamental. Squater, c’est réfléchir à l’aliénation du logement «chacun dans sa boîte», c’est critiquer par la pratique le système producteur-consommateur-exploité. À Lausanne, la gentrification du centre-ville fait qu’il est de plus en plus difficile d’y habiter. Des immeubles sont littéralement sacrifiés aux commerces : il y a le magasin au rez, les stocks au premier, et les étages supérieurs ne sont pas utilisés. Les bureaux prennent également de plus en plus de place sur les logements, sans parler de la spéculation immobilière. Squater, c’est résister au jour-le-jour contre ces politiques. Le plus important, c’est que nous puissions vivre ensemble, partager des activités avec d’autres gens. Nous faisons vivre cette maison de différentes manières, que ce soit en installant un salon de thé, en accueillant des artistes ou encore en organisant plusieurs fois par an des fêtes de rue avec les habitants du quartier. L’essentiel, c’est que la Laiterie soit un lieu ouvert au public, que les passants puissent s’y arrêter : les riverains l’ont compris et nous soutiennent, à l’image de ce commerçant qui a apporté des pizzas, ou de ce masseur qui est venu installer son banc une journée ici.
Notre syndic, Daniel Brélaz, est élu des Verts, un parti classé habituellement à gauche. J’imagine que vous devez recevoir un important soutien de sa part, et de la municipalité d’une manière générale ?
Je ne sais pas si Daniel Brélaz se considère lui-même comme à gauche !? Les Verts sont devenus une sorte de poubelle dans laquelle on peut tout mettre… Nous n’avons aucun contact avec le syndic : les seuls politiques qui sont venu nous voir sont Oscar Tosato et Évelyne Knecht.
Qui êtes-vous ? Comment devient-on squater ?
Il n’y pas de «profil typique»… c’est très variable. Certains squaters viennent d’une famille pratiquant ce mode de vie, d’autres viennent de milieux catho-bourgeois… Les histoires personnelles sont très diverses : il y a des gens qui commencent à squater vers seize-dix-sept ans, pour le côté fun, et d’autres qui y viennent à trente ans, pour des motifs politiques. Notre collectif, c’est avant tout un groupe d’amis. On se connaissait avant d’occuper la maison. Je pense que pour habiter en squat, il faut partager un minimum de valeurs, même s’il n’y a aucun dogme et que tout peut être remis en question. Par exemple, ici, nous sommes tous vegan, mais on discute des choix et des orientations, c’est la base. On n’a pas forcément tous les mêmes idées, mais on partage un projet de société. Lausanne est une petite ville : on se retrouve avec d’autres connaissances dans de nombreuses luttes, que ce soit au niveau de l’antiracisme, de la défense des sans-papiers… On fait partie de cette nébuleuse de collectifs qui luttons ensemble.
Pour terminer, comment voyez-vous la suite ? Quel est l’avenir de la maison ?
Si le projet de la banque WIR se concrétise, nous partirons sur une victoire politique importante : nous avons résisté pendant cinq ans à un propriétaire très hostile au mouvement squat, nous avons fait vivre ce lieu, accueillis des groupe de passage, organisé des échanges… C’est un vrai succès. Et, qui sait, peut-être que nous sommes encore ici pour de nombreuses années ?
Julien Sansonnens, 28 décembre 2009.
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