L'État peut tout se permettre ?
Quand on «muscle» la loi. La loi sur la sécurité intérieure dite «Loppsi 2» version «durcie» a été adoptée le 16 février à l’Assemblée, prochaine étape le Sénat. Brièvement : les préfets pourront ordonner un couvre-feu pour les mineurs entre 23 heures et 6 heures, prestations suspendues aux parents «irresponsables», droits des polices municipales approchant ceux des flics nationaux, détenus interrogés avec visioconférence, sans-papiers jugés à l’intérieur même des centres de rétention également en visioconférence, flics autorisés à «croiser» les fichiers (sécu, banque, impôts, stic…), mouchards sur les ordinateurs, durcissement des mesures de vidéosurveillance.
Donc, on s’effraie des capacités toujours plus étendues de l’État de tout savoir, réprimer, recouper, ficher, enregistrer, conserver… et on a raison. Il est important de décortiquer, rendre public, mesurer l’ampleur de sa «main droite» toute-puissante : Perben 1 puis 2, Loppsi 2, Mickey 3…
Seulement, à force de s’émouvoir, on incorpore, on y croit, on prend avec nous cette foi quasi-religieuse dans la toute puissance de l’État. Et ainsi, on en devient le meilleur relais. Comme si ce maillage que tricote le pouvoir autour de nous se resserrait avec notre participation, devenant toujours plus proche de nos moindres faits, gestes, écrits… Cet État, ses institutions, ses médias, nous font croire qu’il peut tout, qu’il sait tout, qu’il est capable de tout. C’est faux. Il fait planer sur nous une menace, comme s’il pouvait nous pénétrer par tous les pores.
Non, le pouvoir sans limite et sans fin n’existe pas. Même dans les pires dictatures militaires, et nous n’en sommes pas encore là, il y a toujours des moyens pour créer des îlots de résistance. Il s’agit de ne pas rentrer dans l’éternel piège légaliste. Avoir conscience des dispositifs de répression légales, oui, bien sûr c’est indispensable, mais ces lois répressives ne sont que des règles d’un jeu fixé qu’il convient de toujours déjouer.
La garde à vue, les outrages, les peines, les amendes s’étendent, certes, ils servent à boucler et paralyser ceux qui bougent. Mais malgré l’arsenal répressif envahissant c’est loin d’être joué. L’histoire nous enseigne que la conscience de millions de gens peut changer en l’espace de quelques heures. Un exemple : le matin du 23 octobre 1956, début de la révolution des conseils ouvriers hongrois, des dizaines de milliers manifestaient paisiblement et quelques heures après les mêmes personnes ripostaient à coup de Kalachnikov, aux tirs de la police politique.
Cultiver, étendre ces îlots de résistance en attendant ces jours de changement historique, certainement. Mais pour cela, comme en 1956, nous n’avons pas besoin de ces avant-gardes éclairées qui prétendent nous «guider».
Éditorial du no 84 de Résistons ensemble, mars 2010
Contre les violences policières et sécuritaires.