L'Antiterrorisme espagnol travaille en France
Après l’article de Gara du 2 octobre 2009, citant des sources fiables, et affirmant que Jon Anza avait été «intercepté» par des agents de police et soumis à un interrogatoire qui aurait mal tourné, et enterré clandestinement, le journaliste Jacques Massey publie dans son livre qui sortira le 24 février prochain un fait nouveau. Dans l’épilogue de son livre, Jacques Massey révèle (voir extrait en bas) que les auteurs de la disparition de Jon Anza seraient les membres d’une unité du CGI, agence de renseignement de la police espagnole, dont le point de contact sur l’Hexagone est la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire. «Il existe des écoutes téléphoniques sur cet incident» lui a assuré l’un de ces interlocuteurs. Jacques Massey affirme dans son livre «que les radicaux basques ont été aidés dans leur propre enquête par des interlocuteurs du Parti Nationaliste Basque, resté en contact avec des sources bien informées de la police basque, la Ertzaintza».
Contacté par notre rédaction Jacques Massey indique avoir été informé par des interlocuteurs, «importants» et dignes de foi. Le journaliste est connu sur la place pour le sérieux de ses enquêtes et a rédigé de nombreux ouvrages. Fort de cette information, Jacques Massey a contacté à Levallois-Perret la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) qui «ne dément pas la version», mais qui n’a néanmoins pas fait de rapport sur cette version, selon J. Massey. Le journaliste donne une explication en indiquant que les Français souhaitent préserver la coopération opérationnelle avec les services espagnols opérant sur le territoire français contre ETA. Et cette affaire démontrerait que la police espagnole agit en toute impunité et sans en informer les Français. Le journaliste ajoute que le «ménage» semble avoir été particulièrement bien fait après la disparition de Jon Anza. «Je situe le cheminement d’un questionnement sur cette affaire» nous explique Jacques Massey. Il révèle également dans son livre que le dossier Jon Anza est explosif, car il témoigne des tensions existant entre le nouveau gouvernement basque et le PNV. L’accusation sur l’enlèvement de Jon Anza aurait été diffusée par l’entourage de Joseba Egibar, le président du PNV en Gipuzkoa. Au départ, «des fonctionnaires écartés auraient transmis cette information embarrassante pour les socialistes au pouvoir, tant à Madrid comme à Vitoria».
Dans nos colonnes (19/09/2009), Joseba Egibar qui fut le premier politique à interpeller publiquement le ministre de l’Intérieur sur cette affaire avait posé directement la question aux Forces espagnoles de sécurité en ces termes : «Avez-vous arrêté ou retenu Jon Anza en territoire français ?»
Reste à savoir quelle suite auront ces révélations. Joint par notre rédaction, le Juge Brunault, juge d’instruction au pôle antiterroriste, à qui nous avons lu l’extrait cité plus bas, nous a indiqué qu’il n’avait pas de déclarations à faire.
Extrait de ETA - histoire secrète d’une guerre de cent ans, Jacques Massey, journaliste (Éditions Flammarion) :
Un fait nouveau peut-être révélé. Les radicaux basques, après avoir prudemment attendu avant de monter au créneau, ont été aidés dans leur propre enquête par des interlocuteurs du Parti Nationaliste Basque resté en contact avec des sources bien informées de la police basque, la Ertzaintza. Qui assurent que le coup est venu d’une unité du CGI, l’agence de renseignement de la police nationale espagnole dont le point de contact en France est la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire. «Il existe des écoutes téléphoniques sur cet incident» assure l’un de ces interlocuteurs. À Levallois-Perret, dans les locaux de la direction centrale du renseignement intérieur, cette version n’est pas démentie. Mais elle n’a pas fait non plus l’objet d’un rapport. La DCRI qui traite exclusivement avec la Garde civile pour s’attaquer à ETA, n’a plus qu’une envie : se tenir éloignée de l’affaire. L’enjeu est clair pour ses responsables. Il faut préserver la coopération opérationnelle avec les services espagnols opérant en France contre ETA. Or, l’affaire Jon Anza pourrait faire scandale en montrant que les détails de cette opération, tout au moins celles de la police espagnole, ne sont toujours pas connus des Français. Impossible dès lors d’exclure des actions clandestines à la limite de la légalité, voire au-delà. Ce constat fait douter de la nature de cette coopération même s’il faut se garder de tout amalgame avec l’époque des GAL, comme les séparatistes cherchent eux, à l’établir. Bref, la justice n’est pas au bout de ses peines pour mener le dossier à son terme, d’autant que le ménage semble avoir été particulièrement bien fait dès après la disparition de Jon Anza…
Le dossier Jon Anza est explosif pour une autre raison. La manière dont les journalistes de Gara ont obtenu leur «tuyau» est en effet révélateur des tensions existant entre le nouveau pouvoir régional en Euskadi et les nationalistes du PNV, écartés de la conduite des institutions régionales depuis 2009 par l’alliance des socialistes avec les conservateurs. Pour venger l’affront, les fonctionnaires semblent avoir transmis une information embarrassante pour les socialistes au pouvoir à Madrid et à Vitoria. Cela, alors que les nouveaux cadres de la Ertzaintza sélectionnés et dirigés depuis 2009 par le conseiller à l’Intérieur Rodolfo Ares commencent à avoir accès aux renseignements collectés par leurs collègues des polices françaises et espagnoles. Et l’accusation a ensuite été diffusée par l’entourage de Joseba Eguibar, le président du PNV en Gipuzkoa. L’affaire est révélatrice des tensions du moment, alors que le PNV craint de voir l’alliance PSOE-PP se reproduire aux élections municipales de 2011. Et pourtant Eguibar ne porte pas ETA dans son cœur. Comme son mentor, l’ex-Lehendakari Ibarretxe, celui-ci estime que «la lutte armée nourrit la stratégie de l’État espagnol qui est finalement très à l’aise dans cette confrontation avec le nationalisme basque».
Béatrice Molle - Le Journal du Pays Basque, 26 janvier 2010.