"Je souhaite être libre immédiatement" - JLD Paris, vendredi 23 juillet
JLD de Paris, présidé par M. Halphen, ancien juge d’instruction — pugnace — dans l’affaire des HLM de Paris. Aujourd’hui, il apparaît nettement moins volontaire, il enchaîne les «dossiers», comme ils appellent les personnes, avec indifférence et nonchalance.
Tout-e-s les retenu-e-s étaient assisté-e-s d’un-e interprète.
11h15
La Préfecture : «Il y a plusieurs Singh. Vous êtes sûrs qu’ils ne se mélangent pas ? Parce qu’il y a trois Singh !»
L’avocate de permanence et le gendarme partent à la recherche du bon Singh dans le local où attendent les retenus. La représentante de la Pref s’aperçoit qu’il y a quatre Singh et non pas trois ! L’avocate revient et demande à la Pref «est-ce qu’il a pris l’avion ? Parce que les gendarmes disent qu’il aurait pris l’avion de 7h40». La représentante de la Pref n’en sait rien, elle téléphone à la Préfecture… Elle sort et revient cinq minutes plus tard. «Il est parti, M. Singh N. !»
Le Juge Halphen, n’a pas la même information «Non, il n’est pas encore parti, il est à l’aéroport. Donc s’il refuse d’embarquer…» On attend.
Quelques minutes plus tard, la greffière reçoit une note et s’exclame «Ah voilà, il a bien embarqué !» Dossier suivant.
Madame A.
Le juge rappelle l’identité de Madame A. qui est de nationalité irakienne.
«Vous avez été interpellée avec une fausse carte d’identité grecque, la Préfecture veut vous reconduire à la frontière, Bon, j’imagine que c’est l’Irak, mais c’est pas précisé. La Pref veut vous maintenir en rétention, est-ce que vous avez quelque chose à dire ?»
Madame A. explique qu’elle n’y est pour rien pour la fausse carte d’identité et que son but est de retrouver son mari qui est en Allemagne ou en Suède, elle ne sait pas précisément.
Le juge : «Oui mais bon, vous voulez quoi ?»
Madame A. : «Je souhaite être libre immédiatement.»
L’avocate de permanence trouve que la procédure est régulière et signale que Madame A. a fait une demande d’asile, elle s’en rapporte donc au juge.
«Je décide de vous maintenir. Les autorités vont tenter de vous faire embarquer pour l’Irak», déclare-t-il en souriant.
Madame A. n’est pas d’accord : «Mais il n’y a pas de raison de me renvoyer en Irak, je ne suis pas venue de là. En plus ma famille vit en Syrie.» Puis elle demande si le 7 août elle sera libérée.
Le juge qui commence à s’impatienter lui explique que la Pref peut demander un prolongement de cinq ou quinze jours.
Madame A. s’exclame alors : «Autrement dit je vais rester un mois ?!»
Le juge acquiesce et Madame A. poursuit : «Je préfère repartir en Grèce, je suis menacée en Irak.» Le juge finit par s’énerver : «Ça ne dépend pas de moi, c’est la Pref qui décide.» Mais Madame A. persiste et commence à expliquer son histoire.
Le juge n’en peut plus et l’interrompt : «Ça ne dépend pas de moi, alors soit elle signe soit non, de toute façon ça change rien.» Elle refuse.
La greffière rapporte la feuille oubliant de la présenter à l’avocate de permanence qui s’exclame alors : «Et moi ?, moi je ne refuse pas de signer !» Rires entendus de l’avocate, de la greffière et du juge.
11h40
Monsieur H.
Le juge rappelle son identité puis lui demande s’il a quelque chose à dire.
Monsieur H. lui répond qu’il a fait une demande d’asile et qu’elle a été jugée recevable et qu’il doit juste fournir un papier supplémentaire. L’avocate de permanence intervient alors : «Mais ce n’est pas vrai ! L’OFPRA a considéré que ce n’est pas recevable. Vous avez trente jours pour faire le recours», puis s’adressant au juge : «Je lui ai déjà expliqué tout à l’heure mais il ne veut rien comprendre.»
La Préfecture dit alors que les autorités palestiniennes ne l’ont pas reconnu et qu’elle a contacté les autorités tunisiennes, algériennes, marocaines et égyptiennes.
L’avocate de permanence précise que la Pref justifie d’une diligence et qu’elle n’a rien à ajouter.
Le juge renchérit : «La Préfecture va voir s’il peut être accueilli dans un autre pays.»
Monsieur H. intervient : «La Tunisie et le Maroc ne m’ont pas reconnu. Moi je dois sortir pour faire mon recours.»
Le juge : «Je n’y peux rien, vous n’avez aucun papier.» Monsieur H. réexplique qu’il lui manque un document qu’il n’a pas avec lui pour faire son recours. Le juge lance sa tirade favorite : «Ça ne dépend pas de moi.» Dans le même temps, l’avocate s’énerve contre son client qui essaye toujours de s’expliquer : «Mais c’est faux, il ne vous manque pas un papier pour demande d’asile, elle a été rejetée !» Le juge intervient et hausse la voix en montrant ses oreilles : «Vous pourriez écouter au lieu de parler !» «Il faut faire un recours», hurle-t-il, «Au lieu de parler, écoutez.»
Le juge maintient sa rétention.
11h50
Le juge demande aux gendarmes : «Bon il est prêt ou il est pas prêt son dossier ?»
Visiblement non. On passe à Monsieur B.
Monsieur B. est tunisien et a été interpellé dans un squat. Une autre avocate de permanence prend pour cette fois le relais. Elle argumente sur l’absence d’interprète au moment de la notification des droits. La Pref trouve que Monsieur B. s’est exprimé clairement en français tout au long de la procédure. Le juge décide l’annulation de la procédure parce qu’il considère que le retenu parle un français trop sommaire.
12h
Une autre audience débute dans une toute petite salle à côté de la principale. Il n’y a pas de place pour le public.
Salle principale
Monsieur A. entre, sa famille est présente dans la salle. Il est en France depuis dix ans, il ne veut pas retourner en Turquie.
«Pourquoi ?» demande le juge, «vous avez de la famille là-bas ?» «Ma femme, je suis Kurde et pour des raisons politiques je ne peux pas retourner en Turquie.» Le juge est dubitatif. La nouvelle avocate de permanence argumente sur l’absence de téléphone pendant le transfert du commissariat au centre de rétention. La Pref trouve que le délai de transfert d’une heure et quart est un délai raisonnable et que Monsieur A. a pu exercer ses droits au commissariat et à son arrivée. Sur le fond l’avocate n’a pas d’observation.
«Je maintiens la rétention», dit le juge.
Monsieur S.
Il est de nationalité indienne et a été interpellé le 20 juillet lors d’une rafle à Gare de l’est.
L’avocate argumente sur l’absence d’instruction du procureur pour la fin de la garde à vue. La Pref sort un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juin 2010 qui admet qu’il puisse y avoir un délai de plusieurs heures entre la demande du procureur de fin de garde à vue et son effectivité. L’avocate fait remarquer que la Pref répond à côté de la plaque.
La Pref s’étrangle alors : «Mais le procureur ne demande jamais la fin de la garde à vue, il demande de privilégier la voie administrative !»
Le juge intervient : «Il faudrait qu’il apprenne à le faire ! Je ne suis pas du tout d’accord avec l’arrêt de la Cour de Cassation !» Dans la foulée, le juge soulève alors un moyen que n’avait même pas évoqué l’avocate : «La garde à vue de Monsieur S. est trop longue. Le dernier PV date de 17h50 et la fin de la gav est à 10h25 ; donc il a été gardé à vue pendant 17 heures sans justification. La procédure est nulle.»
La Préfecture dans un éclat de rire : «Et là, je fais appel !»
Il est 13 heures et le juge va manger son sandwich.
14h
Monsieur P. Il a lui aussi été arrêté lors de la rafle du 20 juillet à Gare de l’est. Questions rituelles sur l’identité. Le juge lui donne la parole.
Monsieur P. : «Je veux bien rentrer en Inde. J’ai donné mon passeport à la Préfecture.» L’avocate précise qu’elle a été le porter elle-même au 8e Bureau. La Préfecture fait remarquer que pendant sa garde à vue il a dit le contraire et s’oppose donc à son assignation à résidence.
L’avocate personnelle du retenu précise alors qu’il a eu un titre de séjour de 3 ans pour maladie, qu’il vit depuis 9 ans en France, qu’il a fait toutes les démarches nécessaires pour obtenir un titre de séjour, qu’il avait une requête en cours au TA au moment de son arrestation qui a été rejetée le matin même, qu’il a des garanties de représentation sérieuses et demande l’assignation à résidence pour qu’il puisse repartir par ses propres moyens. Le juge s’exclame alors : «S’il veut partir en Inde, autant le faire gratuitement, s’il est d’accord pour rentrer qu’il attende son vol au Centre de rétention !» L’avocate proteste.
Le juge : «Il faut être cohérent. Soit il veut rester en France parce que ça fait 9 ans etc., soit il veut partir.» L’avocate : «Il est d’accord pour partir, mais pas pour rester quinze jours en centre de rétention. C’est autre chose !»
Le juge : «Je maintiens.»
Monsieur P. tente d’intervenir : «Je suis prêt à payer mon billet d’avion !» L’avocate dépitée au juge impassible : «De toute façon quoi qu’on vous dise c’est toujours la même chose.»
Le juge nie : «S’il me dit qu’il a une femme en France, qu’il travaille, et personne en Inde, c’est pas pareil.»
L’avocate hors d’elle : «Mais vous n’êtes pas au TA !»
Le juge, qui s’est pris les pieds dans le tapis, bredouille : «Je regarde les conditions humaines…»
14h15, fin de l’audience du matin.
14h30
Mademoiselle K. Elle a été arrêtée dans un atelier de confection. «Qu’est-ce que vous avez à dire ?» lui lance le juge.
«Je ne veux pas renter en Thaïlande» dit la retenue. «Et pourquoi ?» «Je veux gagner plus d’argent avant de rentrer.» «Il fallait faire des démarches pour pouvoir rester en France !» La Préfecture signale que les autorités thaïlandaises ont été saisies.
L’avocat de permanence n’a rien à ajouter.
Le juge Halphen : «Je ne peux faire autrement que de vous maintenir.»
Madame T. idem que Mademoiselle K. Questions rituelles sur l’identité. «Vous êtes SDF.» Madame T proteste : «Non, j’ai une adresse chez Madame …» et désigne quelqu’un dans la salle. Le juge : «Ce n’est pas une adresse fixe. Qu’est-ce que vous avez à dire ?» «Je ne veux pas rentrer en Thaïlande, la situation politique n’est pas stable.» «Ah bon, vous faites de la politique ?» lui demande-t-il avec un sourire narquois. «J’étais dans le parti opposé au gouvernement et qui a perdu. J’ai peur d’être attendue…»
L’avocat de permanence fait alors remarquer que c’est le nom de sa cliente qui apparaît sur le procès verbal en guise du nom de l’interprète. La Préfecture n’y voit pas d’inconvénient puisque la signature de la retenue est différente de celle de l’interprête : «C’est une erreur de plume qui ne fait pas grief.»
Le juge opine : «Il s’agit d’une erreur de copié-collé. Je prolonge, ça repart pour quinze jours. Vous devriez être embarquée dans un avion d’ici là.» Madame T. : «Je peux faire appel ?»
Mademoiselle L. idem que les deux précédentes. Mademoiselle L. ne veut pas rentrer en Thaïlande et n’a pas eu le temps de réunir des garanties de représentations pour sortir.
L’avocat n’a rien à dire.
«Je vous maintiens» dit le juge.
Un monsieur du public, bouleversé mais combatif, prend alors la parole : «Je veux faire un recours pour elle.» Le juge rigolard : «Mais il faut être avocat pour faire un recours. Tout seul vous n’y arriverez pas !»
Liste rétention, 23 juillet 2010.