"Je souhaite être libre immédiatement" - JLD Paris, vendredi 23 juillet

Publié le par la Rédaction

Vendredi 23 juillet 2010

 

JLD de Paris, présidé par M. Halphen, ancien juge d’instruction — pugnace — dans laffaire des HLM de Paris. Aujourdhui, il apparaît nettement moins volontaire, il enchaîne les «dossiers», comme ils appellent les personnes, avec indifférence et nonchalance.

 

Tout-e-s les retenu-e-s étaient assisté-e-s dun-e interprète.

 

11h15

La Préfecture : «Il y a plusieurs Singh. Vous êtes sûrs quils ne se mélangent pas ? Parce quil y a trois Singh !»

 

Lavocate de permanence et le gendarme partent à la recherche du bon Singh dans le local où attendent les retenus. La représentante de la Pref saperçoit quil y a quatre Singh et non pas trois ! Lavocate revient et demande à la Pref «est-ce quil a pris lavion ? Parce que les gendarmes disent quil aurait pris lavion de 7h40». La représentante de la Pref nen sait rien, elle téléphone à la Préfecture… Elle sort et revient cinq minutes plus tard. «Il est parti, M. Singh N. !»

 

Le Juge  Halphen, na pas la même information «Non, il nest pas encore parti, il est à laéroport. Donc sil refuse dembarquer…» On attend.

 

Quelques minutes plus tard, la greffière reçoit une note et sexclame «Ah voilà, il a bien embarqué !» Dossier suivant.

 

Madame A.

Le juge rappelle lidentité de Madame A. qui est de nationalité irakienne.

 

«Vous avez été interpellée avec une fausse carte didentité grecque, la Préfecture veut vous reconduire à la frontière, Bon, jimagine que cest lIrak, mais cest pas précisé. La Pref veut vous maintenir en rétention, est-ce que vous avez quelque chose à dire ?»

 

Madame A. explique quelle ny est pour rien pour la fausse carte didentité et que son but est de retrouver son mari qui est en Allemagne ou en Suède, elle ne sait pas précisément.

 

Le juge : «Oui mais bon, vous voulez quoi ?»

 

Madame A. : «Je souhaite être libre immédiatement.»

 

Lavocate de permanence trouve que la procédure est régulière et signale que Madame A. a fait une demande dasile, elle sen rapporte donc au juge.

 

«Je décide de vous maintenir. Les autorités vont tenter de vous faire embarquer pour lIrak», déclare-t-il en souriant.

 

Madame A. nest pas daccord : «Mais il ny a pas de raison de me renvoyer en Irak, je ne suis pas venue de là. En plus ma famille vit en Syrie.» Puis elle demande si le 7 août elle sera libérée.

 

Le juge qui commence à simpatienter lui explique que la Pref peut demander un prolongement de cinq ou quinze jours.

 

Madame A. sexclame alors : «Autrement dit je vais rester un mois ?!»

 

Le juge acquiesce et Madame A. poursuit : «Je préfère repartir en Grèce, je suis menacée en Irak.» Le juge finit par sénerver : «Ça ne dépend pas de moi, cest la Pref qui décide.» Mais Madame A. persiste et commence à expliquer son histoire.

Le juge n
en peut plus et linterrompt : «Ça ne dépend pas de moi, alors soit elle signe soit non, de toute façon ça change rien.» Elle refuse.

 

La greffière rapporte la feuille oubliant de la présenter à lavocate de permanence qui sexclame alors : «Et moi ?, moi je ne refuse pas de signer !» Rires entendus de lavocate, de la greffière et du juge.

 

11h40

Monsieur H.

 

Le juge rappelle son identité puis lui demande sil a quelque chose à dire.

 

Monsieur H. lui répond quil a fait une demande dasile et quelle a été jugée recevable et quil doit juste fournir un papier supplémentaire. Lavocate de permanence intervient alors : «Mais ce nest pas vrai ! LOFPRA a considéré que ce nest pas recevable. Vous avez trente jours pour faire le recours», puis sadressant au juge : «Je lui ai déjà expliqué tout à lheure mais il ne veut rien comprendre.»

 

La Préfecture dit alors que les autorités palestiniennes ne lont pas reconnu et quelle a contacté les autorités tunisiennes, algériennes, marocaines et égyptiennes.

 

Lavocate de permanence précise que la Pref justifie dune diligence et quelle na rien à ajouter.

 

Le juge renchérit : «La Préfecture va voir sil peut être accueilli dans un autre pays.»

 

Monsieur H. intervient : «La Tunisie et le Maroc ne mont pas reconnu. Moi je dois sortir pour faire mon recours.»

 

Le juge : «Je ny peux rien, vous navez aucun papier.» Monsieur H. réexplique quil lui manque un document quil na pas avec lui pour faire son recours. Le juge lance sa tirade favorite : «Ça ne dépend pas de moi.» Dans le même temps, lavocate sénerve contre son client qui essaye toujours de sexpliquer : «Mais cest faux, il ne vous manque pas un papier pour demande dasile, elle a été rejetée !» Le juge intervient et hausse la voix en montrant ses oreilles : «Vous pourriez écouter au lieu de parler !» «Il faut faire un recours», hurle-t-il, «Au lieu de parler, écoutez.»

 

Le juge maintient sa rétention.

 

11h50

Le juge demande aux gendarmes : «Bon il est prêt ou il est pas prêt son dossier ?»

 

Visiblement non. On passe à Monsieur B.

 

Monsieur B. est tunisien et a été interpellé dans un squat. Une autre avocate de permanence prend pour cette fois le relais. Elle argumente sur labsence dinterprète au moment de la notification des droits. La Pref trouve que Monsieur B. sest exprimé clairement en français tout au long de la procédure. Le juge décide lannulation de la procédure parce quil considère que le retenu parle un français trop sommaire.

 

12h

Une autre audience débute dans une toute petite salle à côté de la principale. Il ny a pas de place pour le public.

 

Salle principale

 

Monsieur A. entre, sa famille est présente dans la salle. Il est en France depuis dix ans, il ne veut pas retourner en Turquie.

 

«Pourquoi ?» demande le juge, «vous avez de la famille là-bas ?» «Ma femme, je suis Kurde et pour des raisons politiques je ne peux pas retourner en Turquie.» Le juge est dubitatif. La nouvelle avocate de permanence argumente sur labsence de téléphone pendant le transfert du commissariat au centre de rétention. La Pref trouve que le délai de transfert dune heure et quart est un délai raisonnable et que Monsieur A. a pu exercer ses droits au commissariat et à son arrivée. Sur le fond lavocate na pas dobservation.

 

«Je maintiens la rétention», dit le juge.

 

Monsieur S.

Il est de nationalité indienne et a été interpellé le 20 juillet lors dune rafle à Gare de lest.

 

Lavocate argumente sur labsence dinstruction du procureur pour la fin de la garde à vue. La Pref sort un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juin 2010 qui admet quil puisse y avoir un délai de plusieurs heures entre la demande du procureur de fin de garde à vue et son effectivité. Lavocate fait remarquer que la Pref répond à côté de la plaque.

 

La Pref sétrangle alors : «Mais le procureur ne demande jamais la fin de la garde à vue, il demande de privilégier la voie administrative !»

 

Le juge intervient : «Il faudrait quil apprenne à le faire ! Je ne suis pas du tout daccord avec larrêt de la Cour de Cassation !» Dans la foulée, le juge soulève alors un moyen que navait même pas évoqué lavocate : «La garde à vue de Monsieur S. est trop longue. Le dernier PV date de 17h50 et la fin de la gav est à 10h25 ; donc il a été gardé à vue pendant 17 heures sans justification. La procédure est nulle.»

 

La Préfecture dans un éclat de rire : «Et là, je fais appel !»

 

Il est 13 heures et le juge va manger son sandwich.

 

14h

Monsieur P. Il a lui aussi été arrêté lors de la rafle du 20 juillet à Gare de lest. Questions rituelles sur lidentité. Le juge lui donne la parole.

 

Monsieur P. : «Je veux bien rentrer en Inde. Jai donné mon passeport à la Préfecture.» Lavocate précise quelle a été le porter elle-même au 8e Bureau. La Préfecture fait remarquer que pendant sa garde à vue il a dit le contraire et soppose donc à son assignation à résidence.

 

Lavocate personnelle du retenu précise alors quil a eu un titre de séjour de 3 ans pour maladie, quil vit depuis 9 ans en France, qu’il a fait toutes les démarches nécessaires pour obtenir un titre de séjour, quil avait une requête en cours au TA au moment de son arrestation qui a été rejetée le matin même, quil a des garanties de représentation sérieuses et demande lassignation à résidence pour quil puisse repartir par ses propres moyens. Le juge sexclame alors : «Sil veut partir en Inde, autant le faire gratuitement, sil est daccord pour rentrer quil attende son vol au Centre de rétention !» Lavocate proteste.

 

Le juge : «Il faut être cohérent. Soit il veut rester en France parce que ça fait 9 ans etc., soit il veut partir.» Lavocate : «Il est daccord pour partir, mais pas pour rester quinze jours en centre de rétention. Cest autre chose !»

 

Le juge : «Je maintiens.»

 

Monsieur P. tente dintervenir : «Je suis prêt à payer mon billet davion !» Lavocate dépitée au juge impassible : «De toute façon quoi quon vous dise cest toujours la même chose.»

 

Le juge nie : «Sil me dit quil a une femme en France, quil travaille, et personne en Inde, cest pas pareil.»

 

Lavocate hors delle : «Mais vous nêtes pas au TA !»

 

Le juge, qui sest pris les pieds dans le tapis, bredouille : «Je regarde les conditions humaines…»

 

14h15, fin de laudience du matin.

 

14h30

Mademoiselle K. Elle a été arrêtée dans un atelier de confection. «Quest-ce que vous avez à dire ?» lui lance le juge.

 

«Je ne veux pas renter en Thaïlande» dit la retenue. «Et pourquoi ?» «Je veux gagner plus dargent avant de rentrer.» «Il fallait faire des démarches pour pouvoir rester en France !» La Préfecture signale que les autorités thaïlandaises ont été saisies.

 

Lavocat de permanence na rien à ajouter.

 

Le juge Halphen : «Je ne peux faire autrement que de vous maintenir.»

 

Madame T. idem que Mademoiselle K. Questions rituelles sur lidentité. «Vous êtes SDF.» Madame T proteste : «Non, jai une adresse chez Madame …» et désigne quelquun dans la salle. Le juge : «Ce nest pas une adresse fixe. Quest-ce que vous avez à dire ?» «Je ne veux pas rentrer en Thaïlande, la situation politique nest pas stable.» «Ah bon, vous faites de la politique ?» lui demande-t-il avec un sourire narquois. «Jétais dans le parti opposé au gouvernement et qui a perdu. Jai peur dêtre attendue…»

 

Lavocat de permanence fait alors remarquer que cest le nom de sa cliente qui apparaît sur le procès verbal en guise du nom de linterprète. La Préfecture ny voit pas dinconvénient puisque la signature de la retenue est différente de celle de linterprête : «Cest une erreur de plume qui ne fait pas grief.»

 

Le juge opine : «Il sagit dune erreur de copié-collé. Je prolonge, ça repart pour quinze jours. Vous devriez être embarquée dans un avion dici là.» Madame T. : «Je peux faire appel ?»

 

Mademoiselle L. idem que les deux précédentes. Mademoiselle L. ne veut pas rentrer en Thaïlande et na pas eu le temps de réunir des garanties de représentations pour sortir.

 

Lavocat na rien à dire.

 

«Je vous maintiens» dit le juge.

 

Un monsieur du public, bouleversé mais combatif, prend alors la parole : «Je veux faire un recours pour elle.» Le juge rigolard : «Mais il faut être avocat pour faire un recours. Tout seul vous ny arriverez pas !»

 

Liste rétention, 23 juillet 2010.

 


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