Égypte : Les démocrates travaillent place Tahrir - 12 février
Les manifestants égyptiens structurent leur mouvement
Les organisateurs des manifestations égyptiennes se sont engagés samedi à occuper la place Tahrir, épicentre de la révolution, jusqu'à ce que le Conseil suprême des forces armées accepte leur programme de réformes démocratiques.
Ils ont également annoncé la création d'une structure représentant le mouvement populaire pour défendre la révolution et négocier avec les militaires.
«Le but de ce Conseil de surveillance sera de mener un dialogue avec le Conseil suprême des forces armées et de porter la révolution tout au long de la phase de transition», a annoncé à la presse l'universitaire Abdelkader Ouda, qui se trouvait place Tahrir.
«Ce conseil sera habilité à appeler à des manifestations ou à les annuler en fonction des développements de la situation», a-t-il ajouté.
Cette structure sera formée d'une vingtaine de membres, figures de la contestation, personnalités d'envergure et représentants de partis politiques. Elle devrait dans un premier temps appeler à un grand rassemblement vendredi prochain pour célébrer le succès du soulèvement contre le régime de Hosni Moubarak.
Dans deux communiqués diffusés plus tôt dans la journée, les organisateurs des rassemblements demandent la levée de l'état d'urgence instauré par le président déchu, Hosni Moubarak, contraint à la démission vendredi après près de trente ans de pouvoir.
Le premier des deux communiqués exige la dissolution du gouvernement désigné par Hosni Moubarak le 29 janvier dernier et la suspension du parlement élu après le scrutin controversé de novembre.
Il appelle à la mise en place d'un conseil présidentiel transitoire composé de cinq membres — quatre civils et un militaire.
Le communiqué demande en outre la formation d'un gouvernement de transition pour organiser des élections dans les neuf mois à venir ainsi que la mise en place d'un comité chargé d'esquisser un projet de constitution démocratique.
Parmi les autres aspirations de ce «communiqué du peuple numéro un» figurent la liberté de la presse et syndicale, la formation de partis politiques et la fin des tribunaux militaires et d'exception.
Leur presse (Reuters), 12 février 2011.
Enthousiasme et méfiance se mêlent place Tahrir au Caire
De nombreux Égyptiens ont continué d'affluer samedi sur la place Tahrir au Caire pour nettoyer le lieu emblématique de la révolution qui a chassé Hosni Moubarak, tandis que d'autres refusent de partir tant que l'armée au pouvoir n'aura pas donné tous les gages.
Certains, munis de balais ou de brosses, lavent le sol sous le regard de ceux qui démontent leurs tentes, tout sourire et discutant de la nouvelle situation politique du pays.
Des Cairotes qui n'ont pas participé aux manifestations, accourent sur la place pour témoigner de leur sympathie à leurs «frères et sœurs» qui ont tenu bon lors des 18 journées révolutionnaires qui ont eu raison de Hosni Moubarak, resté au pouvoir pendant trente ans.
«Je n'ai pas participé aux manifestations mais la joie de la libération est si contagieuse. Laver les rues est bien la moindre des choses que je puisse faire pour aider ceux qui ont sauvé l'Égypte», s'enthousiasme Dina Sayyed, une ingénieur âgée de 30 ans, qui balaie les détritus de la place. «Le pays est à nouveau à nous. Pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression que la rue est à moi et qu'en compagnie de tous mes compatriotes, nous allons remettre la nation sur le droit chemin», ajoute-t-elle.
Au son de chansons nationales crachées par des haut-parleurs, des enfants, des femmes et des hommes nettoient la place. Sur leur dos, ils ont accroché l'inscription «fier de laver l'Égypte». Ils n'hésitent pas à entonner des hymnes révolutionnaires des années 1960, écrits par le populaire compositeur Cheikh Imam, fredonnant le couplet «La rue est à nous, c'est notre droit».
Le slogan «Hier j'étais un manifestant. Aujourd'hui je construis l'Égypte» fleurit également sur quelques tee-shirts.
MÉFIANCE
Mais tous ne partagent pas cet enthousiasme et attendent de voir si le Conseil suprême des forces armées, qui détient aujourd'hui les rênes de l'Égypte, va bien respecter sa promesse de transférer le pouvoir aux civils et organiser des élections libres.
«Nous ne partirons pas parce que nous voulons être sûrs que ce pays va aller dans la bonne direction. Nous ne laisserons pas les forces armées confisquer le succès de notre révolution», observe Ahmed Saber, chômeur de 27 ans.
«Nous allons rendre la place Tahrir et l'Égypte meilleures qu'elles ne l'étaient. Mais nous n'allons pas partir comme cela, nous voulons avoir des garanties», prévient Ali el Beblaoui, étudiant de 17 ans.
Un sentiment partagé par de nombreux manifestants qui refusent de démonter leurs tentes installées place Tahrir.
«L'armée est avec nous mais elle doit répondre à nos aspirations. Maintenant, nous connaissons la place, dès qu'il y aura une injustice, nous y reviendrons», jure Ghada Elmasalamy, 43 ans, pharmacienne.
Dans un pays où 40% de la population vit avec deux dollars ou moins par jour, les habitants ne peuvent se permettre d'arrêter de travailler trop longtemps.
«Ce n'est que le début de la révolution, elle n'est pas encore terminée. Mais je dois retourner au boulot», reconnaît Mohamed Saed, 30 ans, en terminant de plier sa tente.
Leur presse (Dina Zayed,
Reuters), 12 février.
Après la «révolution», opération propreté place Tahrir
Armés de balais et de sacs, des volontaires s'employaient samedi dans une ambiance bon enfant à nettoyer au Caire la place Tahrir, symbole du soulèvement populaire qui a chassé le président Hosni Moubarak du pouvoir, et lieu de ralliement des manifestants pendant 18 jours.
«Votre maison, vous la nettoyez, non ? Eh bien, l'Égypte est notre maison, c'est pour cela que nous la rendons propre», affirme Abdelrahmane Atta, père de six filles, en époussetant un réverbère à l'aide d'un balai. «C'est une nouvelle Égypte, c'est le jour 1 de l'histoire de l'Égypte», clame ce sexagénaire, au moment où plusieurs milliers de personnes affluaient dès le petit matin pour rejoindre ceux qui ont fêté toute la nuit le départ du président.
Ils étaient plusieurs dizaines de jeunes, mais aussi de moins jeunes, à déblayer, frotter, astiquer le sol, les réverbères et même les statues sur la place et ses environs, où des centaines de milliers de manifestants ont défilé depuis le 25 janvier pour réclamer la démission de M. Moubarak, qui s'est maintenu au pouvoir pendant près de 30 ans.
«Jeunes courageux, allons nettoyer la place !», scandait un groupe de jeunes sous les regards admiratifs de la foule. Sur l'un des viaducs proches de la grande place, des dizaines de personnes les observaient ou les prenaient en photo.
Un vieil homme, pris d'émotion, les suit en applaudissant frénétiquement. D'autres groupes chantent et dansent en riant et des familles entières arrivent sur la place en brandissant des drapeaux égyptiens.
Certains ont des feuilles scotchées à la poitrine sur lesquelles on peut lire en arabe et en anglais : «Nous nous excusons pour tout dérangement, nous bâtissons l'Égypte», ou «Hier, je manifestais, aujourd'hui, je construis».
Les appels spontanés pour nettoyer la place ont été transmis de bouche à oreille, via sms et les sites de socialisation.
«Je nettoie pour que les touristes reviennent», lance Hoda Salah, institutrice, en arborant un masque pour se protéger de la poussière près du Musée national qui jouxte la place.
Le secteur touristique a été durement touché durant les 18 jours qu'a duré la contestation, notamment après des affrontements entre forces de l'ordre et manifestants et pro et anti-Moubarak qui ont fait au moins 300 morts.
Les volontaires viennent non seulement de plusieurs provinces égyptiennes mais également de différentes couches sociales.
«On nous accuse d'être des bourgeois et de ne pas nous mêler à la foule, mais nous sommes venus avec des balais pour aider», assure Cherihane Ahmed, étudiante en journalisme de 22 ans, qui habite un quartier huppé de la capitale. «Nous sommes tellement fiers de l'Égypte, c'est le plus beau pays au monde, nous appelons le monde entier à venir le visiter», soutient son compagnon Mohamed, également armé d'un balai.
Beaucoup insistent que ce n'est pas seulement le pays qui change, mais eux-mêmes. «Il y aura un changement dans notre comportement au quotidien, nous devons tous travailler pour la patrie. Nous voulons prouver au monde que nous sommes une grande nation civilisée», dit Cherif Assad, 27 ans, un employé de Microsoft. «Nous avons commencé à changer sur le plan politique, les gens eux-mêmes vont changer.»
Et si l'armée, chargée des affaires du pays depuis la démission vendredi de Hosni Moubarak, a promis samedi une «transition pacifique» vers «un pouvoir civil élu», la foule attend une véritable transition vers la démocratie.
«Nous pouvons toujours revenir à Tahrir. Nous connaissons le chemin», lance Ahmad Ibrahim, doctorant en ingénierie, venu aussi participer au grand nettoyage.
Leur presse (Agence Faut Payer), 12 février.
Égypte : l'armée commence à enlever les barricades de la place Tahrir, au premier jour sans Moubarak
L'armée égyptienne commençait samedi matin à enlever les barricades et barbelés autour de la place Tahrir au Caire, épicentre de la révolte qui a fait tomber le président Hosni Moubarak, tandis que des milliers d'Egyptiens étaient encore présents sur ce lieu, symbole de la contestation.
Les militaires s'attelaient notamment à retirer les barricades situées à côté du Musée national égyptien, à l'entrée nord de la place.
L'armée, aidée par des grues mobiles, retirait également les carcasses de voitures brûlées, traces des affrontements qui ont opposé forces de l'ordre, pro et anti-Moubarak au plus fort de la révolte.
Elle était assistée dans ses efforts par des civils qui nettoyaient la place.
Certains tanks stationnés au milieu des rues ont commencé de se ranger sur les côtés, mais d'autres étaient encore en position, sans toutefois barrer le passage.
Les soldats ont cessé les contrôles des passants à l'entrée de la place, et ceux effectués par des militants étaient moins stricts qu'auparavant.
Ce début de normalisation, au lendemain de la démission de M. Moubarak, a provoqué un débat parmi la foule présente sur la place, parmi laquelle de nombreuses personnes qui campaient depuis plusieurs jours près des chars pour les empêcher de manœuvrer.
«Il y a plusieurs camps. Certains disent qu'il faut rester, d'autres disent qu'on a obtenu ce qu'on voulait et qu'il faut rentrer chez soi. D'autres encore disent qu'il faut partir, et que l'on pourra revenir si nécessaire», a expliqué Essam Chabana, un médecin de 34 ans travaillant dans les Émirats, revenu au Caire pour participer aux manifestations.
Certains semblaient ainsi vouloir rester dans le village de tentes érigé sur la place — où quelques milliers d'Égyptiens euphoriques étaient toujours rassemblés — tandis que d'autres commençaient à partir, couvertures et sacs de couchage sous le bras.
«Nous sommes en train de créer une page Facebook pour rester en contact, et nous reviendrons très certainement pour nous réunir ici tous les ans le 25 janvier», date du début de la révolte populaire, a assuré Essam Chabana, en soulignant que la place Tahrir allait lui manquer.
Des milliers d'Égyptiens euphoriques étaient toujours rassemblés à l'aube sur la place.
Sur le pont menant à l'une des entrées de la place Tahrir, symbole de la contestation populaire qui a chassé M. Moubarak après près de 30 ans de règne, un groupe de jeunes dansaient, arborant des drapeaux égyptiens et arrêtant les voitures pour féliciter les conducteurs.
«Ô matin de la victoire», s'écriait l'un d'eux avec un grand sourire.
Sur la place, certains dormaient encore au petit matin mais beaucoup d'entre eux avaient passé toute la nuit éveillés à célébrer. Certains avaient la voix enrouée tellement ils avaient crié de joie. Plusieurs groupes de jeunes se réchauffaient auprès d'un feu improvisé, tandis que d'autres applaudissaient des militants sur une tribune appelant à la poursuite du «combat» en vue d'une Égypte «démocratique».
«C'est la fête, nous sommes nés de nouveau», s'écriait Oussama Toufic Saadallah, un ingénieur agricole de 40 ans.
«C'est la fin de l'injustice ! Nous étions en retard par rapport à d'autres pays, maintenant, nous avons une valeur aux yeux de l'étranger, du monde arabe», déclarait-il à l'AFP, les yeux brillant d'émotion.
«Nous voulons que tous les prisonniers politiques soient libérés», ajoutait cet homme, qui dit avoir été détenu la semaine dernière pendant quatre jours par la police militaire.
Leur presse (Agence Faut Payer), 12 février.