L'État reste à détruire en Égypte - 14 février
Égypte : l'armée vole la victoire du peuple
Les choses n’ont pas traîné.
À peine le dictateur Moubarak chassé par le peuple et exilé à Charm-El-Cheikh, l’armée égyptienne a pris ouvertement le pouvoir qu’elle détient de fait, depuis 1952, après le renversement du roi Farouk par les officiers nationalistes révolutionnaires dont Gamal Abdel Nasser.
Le peuple a abattu une dictature de 30 ans, et l’État-Major rafle la mise.
Cherchez l’erreur…
C’est la révolution «ordonnée» et «crédible» dont rêvait l’Occident.
Mais à peine les occupants de la place Tahrir avaient-ils terminé leur Osterputz et rendu les lieux à l’infernale circulation automobile, qu’ils ont compris à quelle sauce ils étaient consommés.
Et ils sont revenus s’y installer bien décidés à ne pas se laisser voler leur victoire par d’ex-maréchaux à la soviétique. Et cette fois, l’armée, prétendue neutre, les a délogés vite fait. Faut pas pousser !
Et dans le même temps, les grèves se multiplient dans les entreprises, dont beaucoup sont précisément la propriété des militaires, de haut rang, il va sans dire.
Bref, la révolution confisquée, provisoirement, a encore des perspectives d’avenir.
Et ce n’est ni la dissolution de l’Assemblée, frauduleusement élue, ni la mini révision constitutionnelle annoncée, ni même la date, lointaine, des élections qui feront oublier le putsch à froid réalisé au nez et à la barbe du monde.
On est sûr que bientôt, le peuple demandera à l’armée : qui t’a fait Raïs ?
Si les militaires égyptiens avaient été vraiment des démocrates, ils auraient organisé une transition en y associant des représentants de tous les partis, de toutes les associations, et surtout de tous les occupants de la place Tahrir, et d’ailleurs qui représentent eux véritablement le pouvoir populaire.
Mais allez demander ça à des chefs militaires !
La Feuille de chou, 14 février 2011.
Égypte : armée et militants discutent ensemble des réformes
Les cyber-militants à l'origine de la révolte qui a fait chuter le président égyptien Hosni Moubarak ont rencontré l'armée, détentrice des pleins pouvoirs, pour discuter des réformes démocratiques à venir, après la dissolution du Parlement et la suspension de la Constitution.
Selon eux, les militaires ont l'intention de proposer des amendements à la Constitution dans les dix prochains jours et de soumettre ces changements à un référendum dans deux mois, conformément aux revendications des protestataires.
Le conseil suprême des forces armées a indiqué dimanche qu'il prenait «en charge la direction des affaires du pays provisoirement pendant six mois, ou jusqu'à la fin des élections législatives et pour la présidence de la République», tout en maintenant, pour la gestion des affaires courantes, le gouvernement formé par M. Moubarak le 31 janvier.
«Nous avons rencontré l'armée (…) pour comprendre leur point de vue et présenter le nôtre», déclarent Waël Ghonim, un jeune informaticien devenu icône du soulèvement, et le blogueur Amr Salama, dans une note intitulée «Rendez-vous avec le conseil suprême des forces armées» sur un site internet pro-démocratie.
Cadre du géant américain de l'internet Google, Waël Ghonim a passé 12 jours en détention pendant les manifestations, et raconté être resté en permanence les yeux bandés.
Cette rencontre marque une rupture avec le régime Moubarak, qui avait été très lent à considérer les mouvements nés sur internet comme une force d'opposition légitime. «L'armée a affirmé qu'elle n'aspirait pas à gouverner l'Égypte, et que l'avenir de l'Égypte résidait dans un pouvoir civil», écrivent MM. Ghonim et Salama.
L'armée égyptienne a commencé dimanche à démanteler les institutions du régime de l'ex-président Hosni Moubarak, qui a cédé le pouvoir vendredi après 30 ans à la tête du pays, poussé vers la sortie au terme de 18 jours d'une révolte populaire sans précédent.
La dissolution du Parlement, après des élections fin 2010 entachées selon l'opposition par des fraudes massives, et la révision de la Constitution, qui limite les candidatures à la présidence, faisaient partie des revendications politiques des manifestants.
Le gouvernement d'Ahmad Chafic, qui s'est réuni dimanche pour la première fois depuis le départ de M. Moubarak, a promis de faire de la sécurité sa première priorité.
Selon les jeunes militants, l'armée a également promis de «poursuivre en justice tous ceux accusés de corruption, quel que soit leur poste actuel ou passé».
Les militaires, accusés par des groupes de défense des droits de l'Homme d'avoir emprisonné et torturé des protestataires pendant la révolte, se sont aussi engagés à «retrouver tous les manifestants portés disparus», selon MM. Ghonim et Salama.
L'armée a toutefois été saluée par la population pour sa retenue, contrairement à la police mise en cause dans les principales violences.
Lundi, les voitures avaient repris possession de la place Tahrir, épicentre de la révolte au Caire. Seul un petit groupe de militants étaient encore mobilisés, entourés par un cordon de militaires.
La place restait cependant ornée d'immenses portraits des «martyrs» de la révolte populaire au cours de laquelle au moins 300 personnes ont été tuées, selon un bilan non confirmé de l'ONU.
Dimanche, la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, a eu des entretiens téléphoniques pour discuter du processus de transition démocratique en Égypte, appelant plusieurs dirigeants dont le ministre indien des Affaires étrangères.
Et le ministre britannique du Commerce, Vince Cable, a estimé que les éventuels avoirs à l'étranger de l'ex-président Moubarak devaient faire l'objet d'une «action internationale concertée».
Leur presse (Jailan Zayan, AFP), 14 février.
Luttes de classe en Égypte
Premier jour de la Liberté, samedi 12 février 2011.
Le lendemain de la chute de Hosni Moubarak, première des revendications de la révolution égyptienne, les ouvriers d’Égypte poursuivent leurs grèves et leurs occupations pour revendiquer leurs droits volés sous la présidence de Moubarak et ses gouvernements successifs.
Ainsi, ce samedi 12 février,
— 4000 ouvriers des minoteries de l’est du Delta (Ismailiya, Mansoura, Suez, Port Said) se sont mis en grève pour une hausse de 70% de leurs salaires, «humaniser» leurs moyens de transports, réduire les sanctions, aligner tous les salaires sur ceux des CDI, départ du directeur financier.
— Les 1200 employés de la sucrerie de El Fayoum entament leur deuxième jour de grève pour relever leurs salaires (1200 LE pour un ouvrier qualifié) au niveau de ceux de la sucrerie El Nil (5000 LE pour le même poste) réintégrer les licenciés, dont le syndicaliste Ashraf Abd El Yunis, pour avoir défendu leurs droits, et juger les cadres qui ont détourné l’argent de l’entreprise, dont le PDG, qui a 80 ans, a amassé plus de 30 millions, se moque de son devenir et de celui de ses employés.
— Après avoir refusé une augmentation de 11%, les 10.000 employés de la poste poursuivent leur grève pour relever leurs salaires au niveau de ceux de leurs camarades aux télécommunications et relever les salaires des diplômes en formation permanente sur ceux des diplômes à l’embauche, embaucher les CDI, licencier les consultants issus de l’armée aux salaires exorbitants.
— Les milliers de salariés de la pétrochimie et du ministère de l’agriculture, poursuivent des grèves avec occupation, pour l’embauche des CDI et le remboursement des écarts de salaires avec les CDD depuis leur premier contrat.
— 9000 employés de l’usine d’aluminium de Naga Hamadi menacent de grève si le PDG n’est pas suspendu et jugé pour les fonds détournés à l’usine pour sa fortune personnelle.
— 1500 employés de l’hopital public de Kafr El Zayat ont cessé leur occupation le 11 février après avoir obtenu la démission de deux directeurs qui les humiliaient, leurs retards de salaires, l’embauche des CDI.
Des centaines de milliers de travailleurs d’Égypte se sont mis en grève ou ont occupé leurs entreprises au cours des jours précédents en solidarité avec la révolution et pour réclamer leurs droits volés sous le régime de Moubarak.
Vive la lutte des travailleurs d’Égypte ! Continuons ensemble pour rendre effectifs les mot d’ordre de la révolution égyptienne : «Changement, liberté, justice sociale».
Fatma Ramadan, syndicaliste égyptienne
La Feuille de chou, 13 février.
Le difficile redéploiement de la police égyptienne
L'armée égyptienne devrait encore rester déployée longtemps dans les rues pour assurer l'ordre public à la place de la police, instrument honni de la répression, mais cette tâche ne sera pas simple pour des soldats plus formés à la lutte contre des ennemis extérieurs qu'au maintien de l'ordre.
Les policiers ont disparu des rues des villes égyptiennes après les premiers jours de manifestations contre le président Hosni Moubarak, qui a fini par démissionner et céder vendredi le pouvoir à l'armée.
Leur redéploiement dans de brefs délais est une priorité pour les militaires qui assument désormais le pouvoir en Égypte. La question a été évoquée dès samedi soir par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, qui dirige le Conseil suprême des forces armées, et le ministre de l'Intérieur Mahmoud Wagdy, nommé par Moubarak dans les premier jours de la contestation.
Certains agents de police affectés à la circulation ont certes fait leur retour dans les rues du Caire. Mais d'importantes forces de police manquent toujours à l'appel.
Et l'objectif assigné n'est pas simple à atteindre.
Il va falloir d'abord remettre en état les nombreux commissariats et postes de police détruits lors des dix-huit journées révolutionnaires qui ont eu raison de Hosni Moubarak.
Il faudra aussi rétablir les liens entre la population égyptienne et sa police. Les forces du ministère de l'Intérieur, dont les effectifs dépasseraient le million d'hommes, ont concentré la colère et la haine des manifestants. Ce sont les policiers qui ont durement réprimé les premiers jours de la contestation (l'Onu parle d'au moins 300 morts). Ce sont eux aussi qui ont été pendant des années l'instrument de la répression au service du régime.
Il faudra enfin régler le malaise social de policiers qui, à l'image d'autres catégories professionnelles, ont entamé un mouvement de grève. Dimanche, plusieurs centaines d'entre eux ont manifesté près du ministère de l'Intérieur pour réclamer une augmentation de leurs salaires et l'absence de poursuites à leur encontre.
«Nous n'avons pas de droits, pas de primes, rien. Nous ne sommes pas traités comme des êtres humains. Nous travaillons douze heures ou vingt-quatre heures d'affilée et si cela ne nous plaît pas, on passe en procès», se lamente Yasser Ferghali.
À présent que leurs hauts dirigeants ont quitté la scène, ils craignent aussi de devenir des boucs émissaires. «Je travaille depuis douze ans et mon salaire est de 678 livres (85 euros)», déplore Ayman, un de ses collègues. «Que voulez-vous qu'on fasse ? Ce type (l'ancien ministre de l'Intérieur, Habib al Adli), nous a appris à être des lâches.»
Habib al Adli dirigeait le ministère de l'Intérieur depuis treize ans. Sa tête a été l'une des premières à rouler, Moubarak le limogeant dès le 29 janvier. Il fait aujourd'hui l'objet d'une enquête sur des faits présumés de corruption et est interdit de sortie du territoire.
Les militaires qui détiennent les rênes du pays pourraient être tentés de poursuivre la purge parmi les unités les plus détestées de la police, comme la police secrète ou le renseignement d'État.
«La chute du régime est un tournant parce que, peut-être pour la première fois, il va être possible de restructurer l'appareil de sécurité», note Safouat al-Zayyat, ancien officier de l'armée aujourd'hui spécialiste des questions de sécurité.
Une absence prolongée des forces de police aurait aussi des conséquences potentiellement graves sur la sécurité et l'ordre public.
Certes, les Égyptiens s'enorgueillissent d'avoir su maintenir la sûreté publique tout au long des journées révolutionnaires. Des comités de défense se sont très vite formés dans les quartiers pour stopper les pillards qui tentaient de mettre à profit le vide. Mais combien de temps cette situation peut-elle durer ?
«Vendredi au Caire, souligne Safouat al-Zayyat, il y avait près de 10 millions de personnes dans les rues pour célébrer (la chute de Moubarak) sans aucune force de police pour régler la circulation, sans présence de force de sécurité intérieure.»
Leur presse (L’Express), 13 février.
Égypte : Le dictateur a dégagé, la dictature aussi doit dégager
Avec la chute de Moubarak sous la pression puissante de la révolution, la population d’Égypte a accompli son premier but. Un dictateur qui, depuis près de 30 ans a fait de la vie des gens un enfer dans un pays basé sur le modèle du capitalisme de l’économie de marché et avec le soutien politique et militaire total des États-Unis et des autres gouvernements occidentaux, a été forcé de démissionner. Dix huit jours de protestations populaires massives au Caire, à Alexandrie, Suez et d’autres villes, les confrontations intelligentes et courageuses face à tous les complots vicieux du régime et les grèves ouvrières massives ont finalement mis Moubarak à genoux et l’ont forcé à partir.
C’est une étape importante, mais pas la seule étape, dans le progrès de la révolution. Les gens veulent la destruction complète du régime corrompu et répressif. Leur lutte contre Moubarak est en fait une lutte contre un système dont Moubarak était le dirigeant et l’icône. La révolution a brisé cette icône, mais le système est toujours en place. Suite à la démission de Moubarak, on a annoncé que le pouvoir était transféré au Conseil Suprême de l’Armée, dirigé par le ministre de la défense. On a prétendu que cette passation de pouvoir était une «transition vers la démocratie». En fait, c’est un processus de transition vers le prochain dictateur ! C’est le jeu des forces réactionnaires et contre-révolutionnaires pour renvoyer les gens chez eux. La contre-révolution, des gouvernements occidentaux jusqu’à l’armée et tous ceux qui attendent des négociations et des compromis, ont donné Moubarak sous la pression de la révolution pour sauver l’ensemble du système. La révolution peut et doit déjouer aussi ce jeu.
Les dictateurs de notre époque sont les produits nécessaires d’un système politique et économique qui protège les intérêts d’une minorité capitaliste dirigeante face au développement de la pauvreté et à la négation des droits de la grande majorité de la population. La révolution doit prendre pour cible tout le système et le balayer. La révolution égyptienne, avec son slogan «Pain, liberté, dignité humaine», va dans cette direction. Maintenant qu’elle a gagné sa première victoire, elle doit clairement mettre dans son agenda son but suivant et les étapes pratiques pour le réaliser. La révolution doit déclarer que Moubarak et les dirigeants de son régime doivent être jugés pour les 30 années de crimes et de pillage. Elle doit déclarer qu’aucun des dirigeants de l’État ou de l’armée ne doit avoir de position gouvernementale appelée «conseil», «gouvernement provisoire» ou d’un autre nom sous prétexte de période de transition. Leurs places sont dans les tribunaux, ils doivent être jugés, et pas à la tête du pouvoir d’État. Le peuple doit appeler à la libération immédiate des prisonniers politiques, à la liberté de presse, d’organisation, d’assemblée, de manifestation et de grève et à la dissolution immédiate des forces de renseignement et de sécurité. Une véritable transition vers la liberté passe par la réalisation de ces revendications, des revendications qui ne peuvent être obtenues, tout comme la chute de Moubarak, que par la puissance des protestations et des luttes, par la puissance de la rue. Moubarak est tombé, mais la révolution peut et doit avancer avec encore plus de puissance et de détermination jusqu’à la destruction complète de tout le système.
Salutations au peuple révolutionnaire d’Égypte ! Vive la révolution !
Parti Communiste-Ouvrier d’Iran (PCOI), 11 février
Initiative Communiste-Ouvrière.