"Démocratie directe" à la libyenne
Rochefort (Charente-Maritime) :
Quand la joyeuse troupe était l'invitée de Kadhafi
Cinq personnalités du Pays rochefortais, dont deux élus, ont pris des cours de «démocratie directe» à Tripoli.
Aujourd'hui conseillère régionale UMP et candidate aux cantonales, la maire de Fouras a participé en 2005 aux travaux de l'Académie de la pensée jamahiriyenne. Malgré elle ?
Alors bien sûr Sylvie Marcilly n'est pas ministre des Affaires étrangères, et l'on se souviendra que l'époque bruissait déjà d'un retour en grâce du colonel Kadhafi. Mais tout de même, l'affaire que révèle Sud Ouest fait un peu désordre aujourd'hui. À l'invitation de l'avocat Dominique Jourdain, conseiller extérieur du régime de Tripoli, une improbable coterie rochefortaise est donc partie en décembre 2005 prendre des cours de «démocratie directe» aux frais de la princesse libyenne. Outre la future conseillère régionale et maire UMP de Fouras, figuraient ainsi Henri Sanna, le maire socialiste d'Échillais, un restaurateur à la retraite et un cadre des services techniques de la ville de Rochefort.
Plus qu'une simple et courtoise visite de travail, le groupe a notamment été trois jours durant sous la coupe de l'obscure «Académie de la pensée jamahiriyenne». Organisée à l'ombre du Palais du peuple et de la culture par le docteur Rajab Boudabbous — considéré à Tripoli comme le véritable gardien du dogme Kadhafi — cette table ronde d'une vingtaine de personnes ne fut en fait qu'un cours du soir à la gloire du fameux Livre vert rédigé par le dictateur. Dans un compte-rendu publié quelques jours plus tard, le docteur Boudabbous était ainsi cité devant son auditoire : «Nous faisons ici part de notre expérience (…) comme matière pour dialogue au cours des tables rondes et des stages d'études sur la démocratie directe.»
Co-organisateur du voyage avec Dominique Jourdain, le sulfureux militant belge Luc Michel rappelle un peu plus loin que les « différentes personnalités francophones devaient, à la lumière du Livre vert du Guide Kadhafi, aborder certaines questions qui touchent la démocratie, le terrorisme et la politique internationale. » Loin, bien loin donc de l'ordre du jour strictement économique invoqué aujourd'hui par Sylvie Marcilly (lire ci-dessous). Pour autant, si certaines sources évoquent un panel volontairement politisé par l'hôte libyen, celle qui n'était alors que l'un des représentants de la Charente-Maritime au bureau national de l'UMP ne semble pas avoir voyagé au nom du parti présidentiel. « Je sais, malgré tout, que les organisateurs tenaient absolument à avoir un membre officiel de l'UMP », assure un témoin du sujet.
« En toute liberté… »
Dégagé de toute activité professionnelle ou politique, l'ancien restaurateur rochefortais Michel Lunardi assume quant à lui sans aucun état d'âme : « Nous avons assisté en toute liberté à des réunions des congrès populaires, la base de leur concept de démocratie directe. Mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque tout le monde adorait à nouveau Kadhafi. Et je crois me souvenir que Sylvie Marcilly était d'abord là pour parler de développement économique. D'ailleurs nous avons croisé beaucoup d'Italiens, d'Européens et même d'Américains dans les rues de Tripoli. »
Rien d'illégal, donc, dans ce qui ressemble plus à un traquenard subtilement fomenté par le lobby pro-libyen qu'à une collaboration clandestine. Reste malgré tout la douce ironie de voir des élus français retourner à l'école de la démocratie libyenne sur les bancs du professeur Kadhafi.
Interrogée hier par « Sud Ouest », l'élue UMP assure n'avoir jamais parlé politique.
Si la conseillère régionale ne nie pas avoir été invitée en Libye en décembre 2005, elle affirme en revanche s'être contentée de parler business.
« Sud Ouest ». Dans quel but avez-vous accepté l'invitation de l'avocat Dominique Jourdain ?
Sylvie Marcilly. Un ami commun m'a dit qu'il organisait des rencontres sur le thème de l'économie. Il m'a demandé si je voulais venir avec un groupe de Rochefortais, et j'ai dit oui. J'y suis allée en tant que chef d'entreprise, pour expliquer le système de partenariats que je développe avec les pays émergents, en y créant des laboratoires cosmétiques.
Mais, pour les organisateurs, le cadre de ce voyage était pourtant bel et bien politique ?
Sauf qu'à aucun moment je n'ai eu à me prononcer sur quelque débat philosophique, politique ou religieux. Encore une fois, ils étaient intéressés par mon expérience qui consiste à aider les peuples à se développer en créant sur place de la valeur ajoutée. J'ai d'ailleurs rencontré à cette occasion le ministre du Tourisme libyen, mais hélas le projet que nous envisagions à Tripoli n'a pas abouti, comme souvent a priori en Libye. Il faut aussi rappeler qu'à l'époque il n'y avait pas de tueries, et que le climat était calme.
Qui a payé ce voyage que l'on découvre aujourd'hui lié au programme Amphithéâtre vert [Dirigé par le docteur Boudabbous, proche du colonel Kadhafi, le programme Amphithéâtre vert fait notamment la propagande du Livre vert, publié en 1975 par le dictateur libyen.], et donc directement sous le patronage du régime Kadhafi ?
Je ne sais pas qui l'a financé et je jure que je ne savais pas non plus ce qui se cachait derrière. De toute façon, je n'ai passé que deux jours là-bas. Assez d'ailleurs pour me rendre compte, lors des réunions auxquelles nous avons assisté, que la place des femmes n'était pas celle qu'ils revendiquaient. Ça m'a choqué.
Leur presse (Sylvain Cottin,
Sud-Ouest), 1er mars 2011.