Delenda est Carthago - 22 janvier
Tunisie : des centaines d'habitants du centre-ouest marchent sur la capitale
Des centaines d'habitants du centre-ouest de la Tunisie, d'où est partie la «révolution du jasmin», ont entamé samedi une marche sur Tunis, «la Caravane de la libération», pour réclamer le départ du gouvernement des caciques de l'ancien régime, selon un correspondant de l'AFP.
Ils étaient environ 300 à leur départ dans la matinée de la localité de Menzel Bouzaiane, à 280 km au sud de la capitale, mais ont agglutiné d'autres manifestants en chemin et approchaient dans la soirée de la localité de Regueb (centre-ouest) où ils étaient attendus par la population.
Selon le correspondant de l'AFP, ils étaient environ 800 dans la soirée. Un syndicaliste qui participe à la marche, Mohamed Fadhel, a avancé le chiffre de 2.500.
Des appels circulent sur les réseaux sociaux pour que d'autres manifestants d'autres régions rejoignent la marche qui compte arriver à Tunis «dans quatre ou cinq jours», selon M. Fadhel.
Leur presse (Agence Faut Payer), 22 janvier 2011.
Tunisie : grève illimitée dans l'enseignement primaire dès lundi
Le syndicat tunisien des enseignants du primaire a appelé ses adhérents à observer une grève illimitée dès la rentrée prévue lundi pour exiger «la dissolution du gouvernement», a indiqué samedi à l'AFP un porte-parole de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT).
«Les enseignants du primaire vont observer une grève illimitée à partir de lundi pour demander la dissolution du gouvernement de transition», a déclaré Ifa Nasr, joint au téléphone par l'AFP.
Cette grève est également destinée à marquer leur solidarité avec les victimes de la révolte populaire d'un mois, réprimée dans le sang, par la police, qui a précipité la chute du président Ben Ali le 14 janvier, a-t-il ajouté.
Leur presse (Agence Faut Payer), 22 janvier.
Tunisie : nouvelles manifestations, les policiers dans la rue
Des milliers de Tunisiens, dont de nombreux policiers, ont de nouveau manifesté samedi, mêlant revendications sociales et appels à débarrasser le nouveau gouvernement des caciques de l'ancien régime qui y ont été maintenus malgré les promesses de rupture.
Inscriptions sur la façade des bureaux du Premier ministre
à Tunis, le 22 janvier
En Algérie voisine, la police a empêché dans le centre d'Alger une manifestation pour la démocratie appelée par l'opposition mais interdite par les autorités. Des heurts ont fait plusieurs blessés, policiers et manifestants selon les sources, alors que des interpellations d'opposants ont eu lieu.
Manif réprimée à Alger, le 22 janvier
À Tunis, des milliers de Tunisiens ont manifesté dans des cortèges éparpillés dans le centre ville, avenue Habib Bourguiba, devant le siège du gouvernement, ou celui de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), la centrale syndicale, ont constaté des journalistes et photographes de l'AFP.
De nombreux policiers en civil ou en uniforme défilaient dans le centre de la capitale, se disant «des Tunisiens comme les autres».
Les cortèges prenaient souvent un tour social, des salariés de mairie exigeant ici une amélioration de leurs conditions de travail, des employés de ménage dans les entreprises réclamant là des augmentations de salaires.
En ce deuxième jour, sur trois, de «deuil national» en mémoire des victimes de la révolution du jasmin — une centaine de morts en un mois selon l'ONU —, tombés pour la plupart sous les balles de la police, les policiers réclament la création d'un syndicat pour défendre leurs droits.
«Y'en a marre de recevoir les ordres et pour une fois on veut crier notre colère», tempêtait un policier devant le siège de l'UGTT, la puissante centrale syndicale qui a joué un rôle crucial dans la chute de Ben Ali le 14 janvier, en canalisant et politisant une révolte à l'origine sociale.
Des policiers qui manifestaient devant le siège du gouvernement en ont bloqué un moment l'accès à la voiture du président tunisien de transition, Foued Mebazaa, avant d'être écartés en douceur par des collègues en service.
À Sidi Bouzid (centre-ouest), la ville déshéritée d'où est partie la contestation après l'immolation d'un marchand de fruits, une centaine de policiers se proclamant «victimes» de l'ancien régime ont également manifesté, a constaté un correspondant de l'AFP.
Depuis la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite après un mois de révolte populaire, la population exprime ouvertement son hostilité envers la police, forte de 100.000 hommes et instrument privilégié de l'ancien régime répressif.
Tentant d'apaiser la colère de la rue, qui craint de se faire confisquer sa révolte par un gouvernement dominé par les ministres de l'ancienne équipe Ben Ali, le Premier ministre de transition Mohammed Ghannouchi a promis vendredi soir qu'il s'effacerait de la scène politique.
Dans une interview télévisée, il a aussi annoncé que «toutes les lois antidémocratiques seront abrogées» : les loi électorales et antiterroriste, ainsi que code de la presse. Il s'est engagé à préserver le statut de la femme qui interdit la polygamie, la gratuité de l'enseignement et l'accès à la santé.
«Il y a une volonté de sortie de crise, mais toujours dans la même incompréhension de l'ampleur du rejet exprimé par la population de tous les symboles de l'ancien régime», a réagi samedi l'opposant Mustapha Ben Jaafar, dirigeant du Forum démocratique pour le travail et les libertés, démissionnaire du gouvernement de transition.
Le ministère de l'Enseignement supérieur a annoncé que les grandes écoles et universités tunisiennes, fermées depuis le 10 janvier, vont rouvrir progressivement à partir du mardi 25 janvier.
En Suisse, un avion appartenant à l'entourage de l'ex-président Ben Ali a été bloqué à l'aéroport de Genève, alors que la Confédération a décidé de geler les avoirs de l'ex-chef d'État et de son entourage.
Le géant de l'alimentation Nestlé a annoncé samedi que Moncef el-Materi, père d'un gendre de Zine El Abidine Ben Ali, président honoraire de Nestlé Tunisie, a quitté ses fonctions, après avoir été placé par la Suisse sur la liste des personnes proches du président tunisien déchu et dont les éventuels avoirs ont été bloqués.
Au Maroc, deux hommes ont tenté de s'immoler par le feu, portant le total à trois depuis les événements de Tunisie, a rapporté samedi le quotidien arabophone Assabah. Des actes similaires ont aussi eu lieu en Égypte et en Algérie.
Enfin, un homme qui avait tenté de s'immoler en début de semaine à Nouakchott est mort de ses brulures samedi au Maroc où il avait été transféré, a déclaré sa famille.
Leur presse (Agence Faut Payer), 22 janvier.
Algérie : le Pouvoir réprime la marche pacifique du RCD
Un trafic ferroviaire suspendu, des bus retenus dans les barrages policiers, des passants contrôlés, des rues coupées à la circulation routière, Alger a vécu, durant toute la journée du samedi, en état de siège.
C’est, en tout cas, l’image qui restera à jamais gravée dans les esprits des Algériens qui ont tenté de rallier la capitale ce samedi 22 janvier. Ce jour-là, ils n’oublieront pas que leur État a pris tout simplement le contrôle du «ciel» et de la «terre» pour empêcher tout citoyen Algérien de battre le pavé et de réclamer le changement dans son pays.
En effet, des dizaines de barrages fixes de la Police ont quadrillé, dès les premières lueurs du matin de samedi, Alger et ses environs pour filtrer les véhicules et leurs passagers. Les automobilistes ont subi les uns après les autres des fouilles minutieuses et les plus jeunes d’entre eux ont été interrogés pendant de longues minutes.
«Où est-ce que vous partez ?», «Qu’allez-vous faire à Alger ?», lancent des agents de l’ordre aux jeunes qui s’apprêtaient à prendre le bus pour aller à Alger-centre.
Ainsi, dès 9 heures du matin, les forces de l’ordre ont étouffé la capitale avec un dispositif sécuritaire soigneusement étudié pour empêcher tout mouvement de foule sur les rues et les artères d’Alger. Des transporteurs privés nous ont même confié que des «civils» sont venus aux gares routières de Blida et de Boufarik pour leur expliquer qu’il n’était pas de leur intérêt de rôder encore l’après midi à la gare routière de Tafourah et de Kharrouba !
Au niveau des gares ferroviaires, les portes et les guichets ont été fermés. Et les quelques agents présents sur les lieux ont reconnu que des directives précises leur ont été transmises. «Aujourd’hui, pas de train pour que personne ne puisse aller à la marche !», confie tout de go un fonctionnaire à la gare de Birtouta.
Sur les routes, au niveau de chaque barrage policier, des bouchons monstres ont bloqué des centaines de véhicules et de bus. Les manifestants en provenance de Boumerdès ou de Tizi-Ouzou ont été donc retenus durant des heures au milieu des embouteillages.
Dans les airs, un hélicoptère survolait en permanence Alger et ses environs pour passer au crible tout mouvement «suspect». Pris de panique, et apeurés par cette atmosphère policière inhabituelle, de nombreux Algérois n’ont même pas pu sortir de chez eux.
Le message du Pouvoir a été donc bien reçu : aucune manifestation ne sera tolérée par les autorités. Les militants et les sympathisants du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) qui avait appelé à une marche citoyenne pacifique au centre d’Alger pour ce samedi bénéficieront, pour leur part, d’un traitement particulier.
Tôt le matin, pas moins de 35 camions de police ont «squatté» l’avenue Didouche Mourad, qui abrite le siège du RCD, en coupant toute circulation routière. Pas moins de 300 policiers équipés de boucliers et de bâtons ont bouclé l’entrée du siège du parti de Saïd Sadi. Impossible donc de sortir dans la rue sans entrer en affrontement avec ces légionnaires impassibles à qui on a intimé l’ordre de réprimer toute tentative d’occuper la rue.
Une centaine d’étudiants, de militants, de journalistes et des syndicalistes sont, dès lors, retenus en «otages» par des policiers. Ces derniers n’ont pas hésité à proférer des menaces et à brandir leurs boucliers pour signifier aux manifestants qu’ils subiront tous un passage à tabac s’ils entêtent à vouloir marcher à Alger.
Mais les «otages» n’ont pas cédé pour autant à la résignation et à la peur. Des chaises, des pierres et des bouteilles ont été balancées sur les policiers du haut de l’immeuble qui a servi de forteresse aux militants du RCD. Quelques-uns ont même bravé les forces de l’ordre en tentant de sortir avec leurs banderoles dans la rue. Mais l’accueil musclé de la brigade anti-émeutes a vite tourné en affrontement général.
Une dizaine de personnes a été arrêtée et d’autres ont subi des coups et des blessures. Au moins deux manifestants ont été grièvement blessés dont un sera transféré, sur une civière, à un hôpital Algérois. À ce moment-là des cris de colère fusent de partout : «Pouvoir assassin», «Jazaïr Hourra, Jazaïr Democratiya».
Des drapeaux tunisiens sont aussi brandis et des chants patriotiques entonnés à haute voix. «Vous êtes des Algériens comme nous. Pourquoi vous nous maltraitez !», «Jusqu’à quand allez-vous défendre ce régime pourri ?», lâchent des jeunes manifestants en colère contre cette répression menée tambour battant par des autorités qui ne reculent devant rien pour brimer la société civile.
De son côté, Saïd Sadi prend un haut-parleur et clame sa colère : «Je suis prisonnier dans le siège du parti, je ne peux pas partir d'ici. On ne peut pas mener de lutte pacifique quand on est assiégé.» De longues minutes défilent sans que rien ne change. Les centaines de policiers ne lâcheront pas prise et le siège du RCD demeurera en quarantaine jusqu’à l’après-midi.
Plus loin, à la Place du 1er Mai, là où devait commencer cette marche pacifique, des dizaines de policiers et de camions anti-émeutes ont pris possession des lieux. Tout attroupement a été interdit. Femmes, hommes, jeunes, personnes âgées, aucun citoyen n’a pu rester debout sans risquer une réprimande de la part des policiers.
Abderrahmane Semmar
El Watan, 22 janvier.
Marche du RCD à Alger : Des blessés au siège du parti et de nombreuses arrestations
La situation reste tendue devant le siège du RCD à la Didouche Mourad, ou la police est présente en force. Les militants et sympathisants du parti sont retranché à l'intérieur du siège, alors qu'à l'extérieur les présents se sont dispersés.
De nombreux manifestants ont été blessés par les coups de matraques, d'autres ont été interpellés et conduits dans les différents commissariats d'Alger.
À 11h, la place du 1er Mai est entre les mains de la police, qui contrôle tous les accès. De nombreux manifestants sont bloqués à la rue Didouche Mourad où des affrontements sont signalés au niveau du siège du parti.
Une dizaine de blessés, dont certains à la tête, parmi les militants du RCD qui se trouvent au siège du parti. Le chef du groupe parlementaire Athmane Mazouz a été évacué à l'hôpital.
Le photographe de presse Bilel Zihani a été arrêté par la police devant le siège du RCD alors qu’il photographiait un manifestant blessé. Embarqué au commissariat d’Alger (Cavignac), il a été retenu pendant deux heures avant d’être relâché. Selon des témoignages de journalistes, la carte mémoire de son appareil a été effacée.
Le président du RCD et des dizaines de militants et de sympathisants sont bloqués au siège du parti à la rue Didouche Mourad, encerclé par des centaines de policiers anti émeutes.
Des petits groupes de manifestants ont tenté de marcher vers la rue Hassiba-Ben-Bouali, mais ont été dispersés par la police.
Les accès menant vers la place du 1er Mai, que veulent atteindre les manifestants, sont hermétiquement filtrés par de nombreux barrages, à l’est d’Alger. Le pouvoir a, même, suspendu les navettes des trains de banlieue.
Des hélicoptères survolent le ciel d'Alger.
Radio Kalima Algérie, 22 janvier.
Manif étudiante appelant à la chute du président Ali Abdullah Saleh
à Sanaa (Yémen), le 22 janvier
Dans les villas pillées de Ben Ali
Le pays observait hier un premier jour de deuil national en mémoire des victimes, une semaine après la chute de Ben Ali. Les luxueuses propriétés de ce dernier, symboles du régime déchu, ont été mises à sac.
Haner sourit derrière ses lunettes de soleil. «Tout cela est revenu au peuple !» se réjouit la jeune femme en désignant la villa blanche qui se dresse en front de mer, derrière de hauts murs couverts de graffitis vengeurs. L’enceinte de ce qui était encore il y a peu l’inviolable et luxueuse propriété d’un frère du président déchu Ben Ali, dans ce quartier qu’une armée de vigiles interdisait à la population locale, se franchit par le côté.
Les habitants d’Hammamet, station balnéaire touristique que la révolution tunisienne a mise au chômage technique, viennent désormais visiter et s’approprier ce qui reste du saccage des lieux, pillés et en partie brûlés par des émeutiers le 14 janvier. «Nous sommes venus voir ce que le clan Ben Ali-Trabelsi (NDLR : du nom de son épouse Leïla) avait fait de l’argent qu’il nous a volé !» justifie-t-on en emportant quelques débris.
À Hammamet comme à Sidi Bou Saïd ou Grammath, banlieue huppée proche du palais de Carthage, au nord de Tunis, ces villas symboles de la corruption de l’ancien pouvoir avaient été attaquées dès l’annonce du départ en Arabie saoudite de l’ancien chef d’État. Une semaine après sa chute, ces singuliers mausolées désossés se sont mus en lieux de promenade, symboles de l’opération mains propres lancée depuis en France, en Suisse et en Tunisie contre les biens mal acquis du régime déchu. L’enquête ouverte mercredi par la justice tunisienne pour acquisition illégale de biens, placements financiers illicites à l’étranger et exportation illégale de devises aurait d’ores et déjà conduit à l’arrestation de trente-trois proches de la famille de l’ex-président et de son épouse.
Commentées avec enthousiasme, les saisies sont listées dans les journaux ou exhibées à la télévision nationale — comme ces bijoux, cartes bancaires et fusils filmés jeudi après une nouvelle perquisition. «Musée Trabelsi des voleurs», annonce un tag sur l’ancienne villa d’un des frères de Leïla. «Famille Gabsi», clame un autre slogan sur celle d’Hammamet. «Gabsi est le nom des vrais propriétaires du terrain», explique l’une de leurs proches, qui raconte comment ces derniers en avaient été peu à peu spoliés et chassés. «Voilà un exemple de ce système Ben Ali-Trabelsi fondé sur les menaces, les mensonges et les pots-de-vin», résume-t-elle révoltée. Agent de la municipalité, Anouar, 53 ans, a pénétré dans ce palais avec les premiers émeutiers : «Je n’avais jamais vu un tel luxe ! Vingt-sept chambres, chacune sa télévision géante ! Et de la porcelaine partout dans la cuisine…» Alors qu’un petit garçon repart, concentré sur l’énorme pan de marbre gris qu’il serre dans ses bras, Majda, coiffeuse, se prend à rêver : «On pourrait en faire une maison de retraite pour tous les petits vieux qui n’ont rien.»
Leur presse (Le Parisien,
Pascale Égré), 22 janvier 2011.